La naissance de Yaël à la maison

J'ai écrit la naissance d'Elfie, de Maximilien et maintenant c'est la tienne; comme pour eux je ne veux pas oublier, je m'y mets au plus tôt parce que j'ai l'impression que c'est si mouvant, insaisissable, puissant et au delà de " moi " que tous les mots sont insuffisants et vont nous trahir… qu'au moins ces traces les plus fraîches possibles, avec ce que ton papa et la sage-femme ont rapporté, soient comme un fil par lequel je peux me relier, toi aussi quand tu le voudras, en aucun cas " la " réalité mais un passage vers ces instants d'éternité, même si ce qui viendra plus tard, d'autres versions, peut être intéressant… voire salutaire quand il s'agit de mettre à jour quelques croyances qui n'ont plus lieu d'être. Avant tout rien de définitif, et surtout pas en termes de ça c'est " bien " ou " mal " passé - ce n'est pas du tout la question !
C'est la première fois que je l'enverrai " publiquement " à des gens que je ne connais pas, mais pas n'importe qui non plus ! Je pense que tu n'y vois pas d'inconvénient : les bébés sont les êtres les plus généreux que je connaisse et ce n'est pas ce que nous avons partagé lors de cette naissance qui va me faire changer d'avis…

L'histoire commence dès le début de la grossesse, dans l'enfer gris de la fatigue, envie de mourir, malade (des petites choses ORL à répétition, usant), si seule (même s'il y a du monde autour de moi) : pendant presque 3 mois, le secret protège ta présence physique tout juste ébauchée, j'évite d'avoir à répondre à " suis-je enceinte ". Pourquoi viens tu dans une telle ambiance ? Je ne le mérite pas, je ne peux pas, je pleure, je pleure… Je mets à jour ce qui pèse, au quotidien et au delà. Dans ma famille comme celle de Peter, il y a le " 3eme enfant impossible " (au point que je ne pensais pas être enceinte à nouveau… avant d'avoir senti que tu étais là) : 3e enfant mort, parent mort donc pas d'enfant après les deux premiers, avortement (pour celui qui m'aurait suivie)… bref aucun 3e n'est la ! Et puis la maternité n'est plus une aventure nouvelle, déjà 2 enfants et l'enthousiasme de mes débuts de mère s'use, d'autant plus que ces quelques années m'ont fait prendre conscience du peu de considération sociale pour le statut des familles, des mères, des pères, des enfants, des bébés … des êtres humains, finalement.
J'en parle avec des personnes dont je sais qu'elles ne vont pas me taper sur l'épaule " ça va passer ", " c'est pas pareil (le 3e pour toi) " dans un prétendu geste de réconfort, qui m'aurait d'autant plus enfoncée en disant " c'est pas grave " (là j'aurai explosé : alternance de colère avec les états de tristesse, je ne lutte pas " contre " non plus). Une aube de quelque chose de nouveau émerge par moment. Alors la vie est simple, belle, lumineuse, et je n'ai rien à faire pour cela…
Je prends également conscience de l'extraordinaire mensonge auquel tant de gens - y compris moi - se lient : leur croyance dans un véritable désir de vie, alors qu'ils sont hantés par tant de peurs, malaises, difficultés que la mort les attire aussi sûrement qu'une lampe happe le papillon, solution à tous les maux. Le problème n'est pas la mort, mais ce mensonge : comment aimer quand on ne supporte pas d'exister ? Je vois que mes réactions de haine, que ce soit contre ceux " que j'aime " ou de parfaits inconnus, surgissent dans les moments d'usure, quand je n'ai plus envie de rien mais que je me sens obligée par la vie… d'être en vie. Je me sens du coup beaucoup plus tolérante, ne m'use plus à attendre des uns et des autres ce qu'ils ne peuvent donner, et ne m'use pas non plus à le faire.
Ton papa a du mal aussi, a-t-il vraiment envie d'être là ? Pas toujours, et je n'ai pas a l'exiger de lui … puis il déclare " il y avait un créneau, là (pour que tu viennes) " : il est persuadé d'être contraceptif (si c'est non, personne ne vient : j'avoue que ça a l'air de fonctionner, je n'ai rien pris depuis 6 ans, pas surveille non plus). Oui !!! Le miracle se reproduit. Tu es la… et j'ai envie que tu restes.
L'un des signes les plus clairs de ces états de grâce sont qu'avec mon ventre s'arrondissant, même si la fatigue reste en toile de fond, je suis de bonne humeur, mon cœur se remplit d'allégresse en voyant ton frère et ta sœur, et oui, tu es bien là ! Je ne connais pas ces mouvements de rejet, comme ceux que j'avais rencontré, enceinte de Maximilien, envers Elfie, je ne ressens pas le même besoin de me fermer pour me protéger. Elfie explose de joie, pour Maximilien au début c'est cauchemars, hurlements dans le noir, " rêves " de mort (" j'ai peur ! je suis bébé mort tout seul dans ma petite cage " dit il un soir, alors qu'il n'a jamais dormi seul : de qui parle t'il ?...). Puis un jour il te parle, les cauchemars cessent, il est de plus en plus attentif à toi, à mon ventre, pose des questions. Les 2 sont ravis qu'on raconte encore et encore leur naissance…

Cette fatigue finit par m'apparaître comme une accumulation qui remonte à des années, des siècles. Et si elle n'était pas non plus mon ennemie ? Encore une lutte à abandonner … J'entends " arrête de gémir, repose toi vraiment ", alors je dors, encore et encore, je me donne encore plus le droit de ne pas assurer (illusoirement !) sur tout les fronts (y'en reste même si je désarme depuis pas mal de temps !), je réduis l'accompagnement médical au strict minimum, pas d'examen invasif sauf 2 échographies suivies d'un mal de tête carabiné à la sortie (grrrrr hors de question d'en faire une autre : la 1ere fois coïncidence, me dis-je, mais à la 2eme j'en suis sûre : tu détestes les ultrasons donc c'est pas bon pour toi), vu seulement 2 fois un médecin pour des papiers (déjà trop, mais bon …). Je m'inscris par miracle, sans avoir à insister (vu les délais) aux Lilas au cas où, mais je souhaite que tu naisses à la maison. Je vois régulièrement la même sage femme que pour Maximilien. On discute, c'est tout et c'est très bien.

La vie me sourit : moins j'en fais, plus ça se fait ! Surprise… Le " temps " passe pour bien des gens et le calendrier, pour moi il se dilate de plus en plus. J'ai préparé quelques affaires (trié des petits vêtements, ressorti les porte bébés, acheté des alèses… rien d'extraordinaire).

Le terme est proche, " alors c'est pour quand " ? comme si on devait savoir… depuis 3 jours Elfie et Maximilien sont particulièrement dispersés, ça fait un moment que j'ai repéré la nouvelle lune du 14 octobre. Mercredi 13 au soir je nous fais inviter, je suis " ailleurs ", pleine de vagues, nous allons manger chez des amis qui habitent près (sans Peter, au travail tard), tu bouges dans mon ventre… je suis encore plus ralentie, nous rentrons a pied, tard du coup, mais j'ai comme dans l'idée que de toutes façons les enfants n'iront pas a l'école. Pas net, cependant, j'ai eu envie de manger !
Nous allons nous coucher dans la chambre familiale, sauf ton papa qui veille encore : lui aussi est " déphasé ", il entame sa 3è nuit blanche ! Des contractions douces se poursuivent, je profite de cet état qui m'emporte. Je n'ai rien " programmé " par rapport à ce travail, même pas fait de sac " au cas où ", ma journée se poursuit simplement, là c'est phase " repos " donc direction la chambre, je pense encore et encore à toi. Mon esprit est traversé par " mettre une alèse dans le lit "… Ok, plus tard ! Ca me revient car tout a coup je me relève, prise d'une envie de tricoter ta couverture, ce que je fais entre 1 et 3 h du matin sur mon canapé préféré (ça m'arrivait assez souvent tout ces mois !). Toujours des contractions, oui, ok, ahhh, respirer, laisser le temps s'étirer, se défaire.
Et je retourne me coucher (mon rythme de ces derniers temps) en informant Peter que " ça bouge ". Toi. Lui pense qu'on a encore le temps, je sens déjà que non, mais il verra bien ! Je suis certaine que tu choisis très bien ton moment, et qu'il est inutile d'anticiper : seul le présent nous intéresse.
Je sombre dans un sommeil noir, lourd, profond qui me surprend : du RIEN ! Puis en changeant laborieusement de côté, je sens un écoulement très liquide entre mes jambes, je tousse, il pleut ! J'allume : flotch ! en plein sur l'alèse stratégiquement disposée… Je peux faire tout ces gestes et remue ménage tranquillement en pleine nuit parce que j'en ai déjà fait plein pendant la grossesse, comme si je m'étais assurée que la nuit ça va : les enfants dorment, Peter est là !
Je vais aux toilettes, pipi et caca mou, me sens nauséeuse, sors de la chambre avec l'alèse repliée (pratique vraiment), c'est bien lourd, et la premier choc : le liquide est sombre, verdâtre… Je me réveille d'un coup, je sais que " théoriquement " c'est départ à la clinique pour beaucoup de gens. Bon, on va voir…il est 5 h ½.

J'ai le vertige, des contractions s'enchaînent plutôt fortes, pas envie de réfléchir juste d'être avec, Peter vient installer drap et alèse sur mon canapé, met le chauffage. Je laisse venir des sons, me tient plutôt à genoux ou accroupie, toi, tu bouges, je mets mes mains ici, là … Je change un peu, j'ai du mal à trouver une position vraiment satisfaisante. Peter me rejoint plus tard, ne fait rien de spécial, juste se tient à côté dans un fauteuil, se rend simplement disponible… Me tend une bassine, re caca…A peine quelques mots.
Puis non, pas de bain, j'ai si froid. Ca devient interminable, le jour se lève. Qu'est-ce que je fais la dans ces postures ridicules à prétendre accoucher alors que je me sens " normale " tout à coup ? Et ça recommence : contraction, vagues, et hop ! comme une douche froide et désagréable je " reviens ", " rien à signaler ", quel accouchement ? Mon bébé… ? Je demande à Peter de voir le temps des contractions, et l'intervalle : c'est devenu très irrégulier, et confirme mon impression de partir pour le monde des bébés… et d'en revenir très brutalement, de me faire mettre à la porte, clac !
Je suis emportée et éjectée, c'est de pire en pire, pour finir j'ai " mal " mais ça ne veut pas dire grand chose, je suis surtout vidée, désespérée chaque fois que je me retrouve sur le carreau parce que je perds le contact avec toi. Je n'essaye plus d'être dans les contractions, pas la peine… le cœur n'y est plus, je ne crois pas que les contractions soient vraiment plus fortes, mais je n'ai plus envie, ce qui me réjouissait devient un enfer. Je repense au liquide teinté, tout à coup je suis très mal a l'aise, perdue. Et toi ? Je regarde l'heure : 9 h.
Un instant tout a l'air suspendu. Alors je décide de me donner le temps d'un bain pour examiner la situation, Peter le fait couler, je m'installe, ça me laisse un répit hors du temps pour m'interroger : " que se passe t'il ? ".
Je touche mon ventre, je laisse venir… et me retrouve dans les enfers des débuts de grossesse, en démultipliés : l'épreuve de vérité ! Comme si mon désir de vie était interrogé, pas d'échappatoire. Rien de ce que j'avais mis à jour n'a " empêché " quoi que ce soit, mais peut-être (je pense que oui) que cela facilite le jaillissement de tout ce qui se présente à mon esprit pendant que nous flottons dans la baignoire… : il est temps de décider, de répondre.
Tu as besoin de moi, dans la vie ou la mort nous sommes ensemble. Oui, et alors ? Je ne peux pas faire semblant d'avoir envie-en vie de vivre si ce n'est pas vrai, la mort est aussi une attirance, la c'est très clair. Le choix est " neutre " : l'un ou l'autre, partir ou rester (" should I stay ou should I go now… " chantonne une voix quelque part) il n'y a pas de bien ou de mal, c'est comme ça, c'est tout, encore et toujours la vie sous une forme ou une autre. Personne, et surtout pas toi, n'exige rien de moi : je suis libre, nous vivons ou nous mourrons si on veut voir cela séparément, rien ne me condamne quel que soit le " choix ", ça n'a aucune importance. Cet aspect sans " bon " ou " mauvais " m'emmène au delà des peurs, je me sens très calme, une suggestion dans ma tête " pleure "… ben non, pas envie, pas vrai non plus. Ni triste ni joyeux… que se passe t'il ?
Tu as besoin de moi, toi non plus ne peux faire semblant…encore moins que moi. Et tu me fais une totale confiance. Mon cœur saigne, mon cœur s'ouvre, mon ventre n'a plus grand-chose à voir dans ce qui se passe, mais ce néant que je sens dans ma poitrine, cet " à quoi bon " qui me hante depuis des générations, ce vide qui m'attire pour que j'arrête de me fatiguer à croire qu'un tel travail d'enfantement en vaut la peine, surtout si tu es déjà morte, voilà ce qui me tenaille et me remplit à cet instant. Vivre, quelle vie ? Avec qui ?
Tout cela vient en vrac, je ne " cherche pas ", je vois, je contemple… La tentation de l'hôpital " sortez la moi, que je dorme, je m'en fous, je n'ai pas la force "… la mort, le désespoir, l'histoire triste à vie, les drames : ah la satisfaction du connu (je pense à ma tradition familiale féminine bien ancrée) !
Je comprends que je ne peux pas juste " laisser faire ", pas comme à la naissance de Maximilien ou des forces si puissantes avait tout balayé sans demander " mon " avis, pas le temps de toutes façons, il est venu très vite : pour toi ma participation est nécessaire si ce que je souhaite est d'enfanter, de vivre la vie des corps. Tu as besoin de *moi*… *j*'ai besoin de *moi*… si je veux. Il n'y aucune différence à ce moment là entre nous. Un besoin n'oblige pas, il est, c'est tout. Quoique je choisisse tu n'en conçois aucune crainte, rancœur ou autre. Il n'y a aucune " morale " là dedans, personne n'est obligé de vivre, mais si c'est " oui " c'est un véritable engagement dans le plan terrestre. Ca aussi c'est très clair. Je n'ai jamais vécu une telle liberté, une telle absence de pression dans un choix aussi vital ! Je suis sidérée par la sagesse que la vie, toi, manifestez ainsi.
Je dis tout cela de façon trop intellectuelle avec des mots, mais dans ce bain qui m'a rendue légère et suspendu le temps, ça passe par des défilés de sensations, d'impressions, d'images, comme si mes " mémoires " du passé et du futur se vidaient, faisaient de la place. Je vois des films de ma vie dans des futurs possibles, que du sombre, gris au début … et ces versions sont familières, je savais qu'un jour ça finirait mal, j'ai défié la malédiction du 3e enfant… j'aurai essayé et échoué, c'était prévu, maintenant je peux enfin m'en aller, laissez moi tranquille …
Je parle un peu avec Peter, je caresse mon ventre et sens des contractions (mais le physique est complètement passé à l'arrière plan), je lui dis mon inquiétude " je ne sais pas si elle est là ou non ". Il ne s'embarque pas dans une discussion. Ou es-tu ? Je vois encore défiler des films, sans rejeter ou chasser ou trier puis laisse passer sans être emportée, identifiée, je suis un simple témoin, je dis " oui " intérieurement et autre chose surgit, et encore et encore… Je me sens au delà des émotions, je constate, pas envie de rire ou pleurer ou…, " neutralité bienveillante " (comme on dit dans mon travail psy) pour la condition humaine dans toutes ses dimensions. Le cœur s'ouvre encore, s'il y a " oui " c'est la qu'il surgit…
Et tout a coup ce qui surgit c'est Toi, Elfie, Maximilien qui jouent ensemble, justement ils viennent de se lever, viennent me voir dans le bain… L'ici et maintenant revient en force, lumineux, et la sage femme y a une place. Tiens, je vais changer mes plans, je voulais l'appeler plus tard ? Je sens que le simple fait de sa présence me donne de l'énergie, c'est bon à prendre pour nous : pas d'état d'âme, rien a faire de ce qui " était " prévu… Tout a coup se dessine du très clair, voila comment ça se passe, je me sens portée à agir comme ci, comme ça… avec MON accord : je ne sais toujours pas si tu es la, je sens parfois de très légers mouvements, mais je sais que j'ai en vie d'essayer, quel que soit le résultat, sans garantie (et ça n'a pas lieu d'être).
Maintenant il est hors de question d'aller à la clinique, je sais que nous n'avons pas beaucoup, c'est-à-dire TOUT, le temps, et ça ne ferait que ralentir encore le travail, tout bloquer, on se fera charcuter... non ! Ce délai que je sens important est pour moi le plus difficile, j'ai tellement horreur de me sentir pressée : alors je décide d'ignorer délibérément TOTALEMENT tout ce qui de près ou de loin mesurerait le " temps " dans cette maison, de ne plus rien avoir à faire avec une pendule ! Je raye la question " combien " de temps ou de n'importe quoi pour un bon moment …

Je demande à Peter de téléphoner a la sage femme, je suis-nous sommes toujours si " fatiguées " : je veux faire appel à tout ce que je sens comme ressource, je n'ai pas besoin de gestes, de techniques, seulement de présences humaines dans lesquelles je peux puiser des forces, que les gens en soient conscients ou non. Je prends intérieurement la direction des opérations (pas volontairement, ça se fait !), profite encore un peu du bain pour " faire le plein " de légèreté avant la fin du travail. Je capte l'ambiance de la maison, Peter avec les enfants… la vie. C'est drôle comme tout a l'air clair, évident, plus de questions, comme si la lumière était d'autant plus claire que l'ombre avait été sombre… Le choix est fait. Est-ce le " mien " ? A l'évidence *je* préfère cette version, mais était-ce possible si les autres me hantaient, si je les avais rejetées et qu'elles étaient restées cachées, agissant en secret ?
Je flotte encore un peu, je sens parfois tes petits mouvements, bien moins forts qu'il y a seulement quelques heures. Je sors du bain juste quand la sage femme arrive, eh eh : ce " timing " à pic et sans calculs est aussi une signature importante de bien des vécus de cette grossesse et de ta naissance. La sage femme dit ne pas trop " être pour " la présence des enfants, Peter clôt la discussion " on en a beaucoup discuté, ils ont choisi et on peut changer si besoin ". Pour moi il est hors de question qu'ils partent, leur confiance est magnifique, je ne savais pas encore à quel point une telle présence est nourrissante. Je le découvre avec joie. Agir n'est pas forcement visible, les actes les plus puissants peuvent être les plus secrets…

Moi je donne mes dernières consignes verbales, avec effort pour parler, " je veux être tranquille dans la chambre ". Valable pour tous, pas besoin de le préciser… personne ne discute, mon autorité est incontestée ! Des avantages d'être chez soi. Moi qui ai tant de mal en temps ordinaire a ce qu'un enfant range ses chaussures en arrivant à la maison.
Une contraction vient bien forte, " ça travaille ! " dit la sage femme… oui ! ça repart… "et d'abord je vais faire pipi ".
Et j'y reste : les toilettes c'est un endroit magique ! déjà je m'y étais installée a la naissance de Maximilien. J'en profite je ne sais pas combien de temps, c'est bon l'ouverture dessous, pile poil sous la verticale alors si facile a sentir. Une étagère accueille béatement ma tête qui pèse si lourd entre 2 contractions. Embarquement immédiat, je décolle sans m'en rendre compte (c'est bien ça qui fait que c'est fait… euh, c'est clair ?). Les sons changent beaucoup, pendant plutôt graves, et entre les contractions, des ah de soulagement, de bien être, qui me surprennent. Je me sens sourire, l'air aussi stupéfaite et ravie qu'un chat reniflant une chatte qui a la bonne odeur.

Enfin je me dirige vers le lit (au ras du sol), j'y empile tous les coussins que je peux et que m'a amène Peter en plus de ceux qui y sont habituellement, je m'agenouille et je me pose. Ca bouge ! Plus bas, toujours plus bas, ça descend en spirale, et c'est pas évident, y'a du frein... Aie. Je pose ma main droite (parfois la gauche aussi) tout à l'entrée-sortie de mon sexe, sur le périnée, bien à plat, ce chaud est totalement bienfaisant.

Je garde les yeux mis clos, je ne suis plus capable - n'ai plus envie de parler mais un seul geste ou léger mouvement de tête suffit à communiquer si besoin, pour dire aux enfants " stop " et protéger mon espace lors d'une petite visite, et " oui " pour un monitoring express à 2 reprises. La sage femme choisit bien son moment, celui ou j'accepte un contact. Pas longtemps. Moi qui croyais ne retirer aucun bienfait de la technologie de la naissance, cette fois ci ces quelques secondes sont les bienvenues " schouf schouf schouf " : Peter dira qu'a ce moment mon visage s'est éclairé, " l'ombre " (selon ses propres termes) qu'il sentait se dissipe. Ton cœur bat, tu es là, proche, les autres sont dans le salon, pas trop de 2 pour répondre aux questions de ton frère et ta sœur. J'aime être à la fois en bonne compagnie, capter l'ambiance, et respectée dans mon intimité !

Ca s'enchaîne, les sons et la chaleur de mes mains ça fait un bien fou, tu descends, je suis à genoux, parfois assise sur les talons et parfois me redresse sur les genoux mais jamais complètement, je ne peux pas, je me plie, me protège, ou 4 pattes, j'enfouis tête, ventre dans l'énorme pile de coussins que j'embrasse devant moi, j'ai l'impression de " prier " comme je l'ai fait aussi lors de mes réveils nocturnes, de nombreuses fois, trouvant ces positions et gestes bienfaisants. Un peu de humide gluant, avec du sang, sous mes doigts : le fameux bouchon muqueux - ah que tout ce vocabulaire semble déplacé, surtout dans ces instants sans mots, trop compliqués les mots.
Un univers chaud, moite, rouge, doux, fort, par moments la lutte se poursuit encore en moi entre oui et non, il me vient des réminiscences du travail inachevé, incomplet lors de la naissance d'Elfie, provoquée, comme la mienne (pas pour Maximilien : la continuité s'opère t'elle selon le sexe, au delà du temps ?) : " l'obligation " de vivre, de s'ouvrir … Non ! Ca fait mal d'être obligée !
Et sans transitions, l'extase, je me surprends des sourires aux lèvres, je psalmodie, chante. L'alternance est féroce, épique, héroïque. Avec mon accord complet, de toute évidence la ce n'est plus " moi " seule qui fait le travail mais j'ai l'impression d'y avoir une part importante !
Parfois la sage femme jette un œil, une oreille… ils discutent, à côté. Nous, on progresse. C'est drôle de sentir les changements sous ma main, humidité et douceur, ça change, un fruit mur à point vient s'offrir. A chaque contraction, des sons de plus en plus librement inspirés, un peu de tout …

La lutte est rude, et tout à coup le " non " gagne … enfin réconcilié avec le " oui " : je suis d'accord avec, non d'avoir (eu) si mal, la vie n'est pas faite pour cela ! Une contraction particulièrement douloureuse déclenche alors une colère monumentale, commençant par quelques jurons bien sentis ; et j'ai le droit et c'est bon aussi, puis des sons encore nouveaux, râles, rauques, rrrrrrrrr c'est bon, bon, bon ! Ahhhh cette colère ! Elle est belle, elle est juste, c'est le droit de mon corps à être respecté… et c'est toi qui viens.
Tout le monde est venu dans la chambre comme sur un signal invisible, inaudible, la sage femme à ma droite, Peter à gauche, Elfie et Maximilien à ses côtés. Comme dans une scène parfaitement au point sans aucune répétition, chacun est là, et s'enchaînent les gestes dont j'ai besoin : mes fesses deviennent trop lourdes sur mes talons, je lève les bras, aussitôt je me sens soulevée juste assez pour accompagner l'élan irrésistible qui me saisit à cet instant et me retrouver redressée sur les genoux. Je sens alors que " je peux ", et je veux, ce n'est pas la force monumentale qui a poussé Maximilien hors de moi, plutôt un signal impérieux " c'est le moment, vas-y " alors je me mobilise-me laisse emporter guidée par un rugissement qui me surprend tout comme la force qui pousse ta tête hors de moi, déjà ???!!! jusque dans mes mains que j'avais redescendues aussitôt pour t'accueillir… le rugissement râle se module, je sens que je peux continuer, ah bon ?!! ok ! … et c'est tout ton corps que j'accompagne jusqu'au sol entre mes genoux… toute bleue dans une marre de sang.
" Mon bébé " " mon bébé ", je sais à nouveau parler, seulement ces 2 mots... et je plonge la tête dans mon tas de coussins, reprends mon souffle une, deux respirations ? me redresse… tu es déjà rose dans une serviette rouge, Peter et la sage femme ont déjà enlevé le reste avec les alèses.
Je te découvre, je te palpe du bout des doigts en commençant par tracer le contour de tes yeux à partir du coin intérieur à gauche… tu clignotes, avec effort tu ouvres les yeux : tu es là, c'est l'explosion de joie de toute la famille autour de toi, la sage femme s'est faite discrète et je ne la perçois plus… Je te découvre, je te parle.

Puis tout a coup je veux m'allonger, ce que je fais sur place, dans le lit c'est pratique, même si je ne m'allonge pas dans le sens habituel mais comme je suis. Je te soulève et tu viens sur moi, tu fais caca dans ma main : ça va ! Tu cherches, humes, fouisses… mmh. Mais tu prends le temps, dans ton fouissage, de t'arrêter un instant, de me regarder dans les yeux, et de me sourire : à jamais cette image me reste, oui, nous l'avons fait, toi et moi ! Qui remercie l'autre ?

La sage femme fait les prélèvements pour le rh négatif (je suis contente de ne pas m'en préoccuper), et la je vois que le cordon est vraiment très court, 30 a 40 ? cm (d'où mes positions toujours un peu pliées et pas faciles à trouver ?). Les enfants ont faim, toi aussi, tu tètes.
Plus tard je m'accroupis, soulevée par Peter et la sage femme, je pousse légèrement, le placenta sort très facilement… Elfie et Maximilien suivent tout ce qui se passe, viennent nous voir, repartent, Peter fait face à une vague de téléphone (marrant ils ont tous su comment ?) entre 2 sandwichs, et nous nous sommes tranquilles. Fatiguées, toi et moi ? Nous goûtons enfin un repos bien apprécié.

*** Plus tard : je me rends compte que la chambre est bizarre… elle est redevenue " normale " en fait ! Elle a repris sa taille (10 fois plus petite ?), la lumière est partie, l'odeur parfumée enivrante s'est envolée. Bienvenue sur Terre !

Mon périnée va bien, je récupère vite et j'ai envie de me lever et manger le soir même, les tranchées pas douloureuses, alors que je les redoutais parce que pour Maximilien ouie ouie ouie, un de mes plus mauvais souvenirs …

Quelques jours plus tard : j'apprends que tu avais le cordon autour du cou, pas serré (mais ça raccourcissait encore la marge de manœuvre). La sage femme est arrivée à 10h15, tu es née a 11h32 (31 pour ton papa) : long ? court ? drôles de questions ! Je me demande quels étaient les risques " réels " ? C'était quoi ce liquide teinté ? J'ai eu de la chance ? Je me suis fait un film ? On avait combien de temps encore devant nous ? Ces questions que je me pose et qui peuvent avoir un intérêt n'ont été d'aucune utilité pendant le travail. Je pense même qu'elles m'auraient vraiment gênées ! Mais après, histoire de discuter…pourquoi pas

Valérie