La naissance de Yaël à la maison
J'ai écrit la naissance d'Elfie, de Maximilien et maintenant c'est
la tienne; comme pour eux je ne veux pas oublier, je m'y mets au plus
tôt parce que j'ai l'impression que c'est si mouvant, insaisissable,
puissant et au delà de " moi " que tous les mots sont
insuffisants et vont nous trahir
qu'au moins ces traces les plus
fraîches possibles, avec ce que ton papa et la sage-femme ont rapporté,
soient comme un fil par lequel je peux me relier, toi aussi quand tu le
voudras, en aucun cas " la " réalité mais un passage
vers ces instants d'éternité, même si ce qui viendra
plus tard, d'autres versions, peut être intéressant
voire salutaire quand il s'agit de mettre à jour quelques croyances
qui n'ont plus lieu d'être. Avant tout rien de définitif,
et surtout pas en termes de ça c'est " bien " ou "
mal " passé - ce n'est pas du tout la question !
C'est la première fois que je l'enverrai " publiquement "
à des gens que je ne connais pas, mais pas n'importe qui non plus
! Je pense que tu n'y vois pas d'inconvénient : les bébés
sont les êtres les plus généreux que je connaisse
et ce n'est pas ce que nous avons partagé lors de cette naissance
qui va me faire changer d'avis
L'histoire commence dès le début de la grossesse, dans
l'enfer gris de la fatigue, envie de mourir, malade (des petites choses
ORL à répétition, usant), si seule (même s'il
y a du monde autour de moi) : pendant presque 3 mois, le secret protège
ta présence physique tout juste ébauchée, j'évite
d'avoir à répondre à " suis-je enceinte ".
Pourquoi viens tu dans une telle ambiance ? Je ne le mérite pas,
je ne peux pas, je pleure, je pleure
Je mets à jour ce qui
pèse, au quotidien et au delà. Dans ma famille comme celle
de Peter, il y a le " 3eme enfant impossible " (au point que
je ne pensais pas être enceinte à nouveau
avant d'avoir
senti que tu étais là) : 3e enfant mort, parent mort donc
pas d'enfant après les deux premiers, avortement (pour celui qui
m'aurait suivie)
bref aucun 3e n'est la ! Et puis la maternité
n'est plus une aventure nouvelle, déjà 2 enfants et l'enthousiasme
de mes débuts de mère s'use, d'autant plus que ces quelques
années m'ont fait prendre conscience du peu de considération
sociale pour le statut des familles, des mères, des pères,
des enfants, des bébés
des êtres humains, finalement.
J'en parle avec des personnes dont je sais qu'elles ne vont pas me taper
sur l'épaule " ça va passer ", " c'est pas
pareil (le 3e pour toi) " dans un prétendu geste de réconfort,
qui m'aurait d'autant plus enfoncée en disant " c'est pas
grave " (là j'aurai explosé : alternance de colère
avec les états de tristesse, je ne lutte pas " contre "
non plus). Une aube de quelque chose de nouveau émerge par moment.
Alors la vie est simple, belle, lumineuse, et je n'ai rien à faire
pour cela
Je prends également conscience de l'extraordinaire mensonge auquel
tant de gens - y compris moi - se lient : leur croyance dans un véritable
désir de vie, alors qu'ils sont hantés par tant de peurs,
malaises, difficultés que la mort les attire aussi sûrement
qu'une lampe happe le papillon, solution à tous les maux. Le problème
n'est pas la mort, mais ce mensonge : comment aimer quand on ne supporte
pas d'exister ? Je vois que mes réactions de haine, que ce soit
contre ceux " que j'aime " ou de parfaits inconnus, surgissent
dans les moments d'usure, quand je n'ai plus envie de rien mais que je
me sens obligée par la vie
d'être en vie. Je me sens
du coup beaucoup plus tolérante, ne m'use plus à attendre
des uns et des autres ce qu'ils ne peuvent donner, et ne m'use pas non
plus à le faire.
Ton papa a du mal aussi, a-t-il vraiment envie d'être là
? Pas toujours, et je n'ai pas a l'exiger de lui
puis il déclare
" il y avait un créneau, là (pour que tu viennes) "
: il est persuadé d'être contraceptif (si c'est non, personne
ne vient : j'avoue que ça a l'air de fonctionner, je n'ai rien
pris depuis 6 ans, pas surveille non plus). Oui !!! Le miracle se reproduit.
Tu es la
et j'ai envie que tu restes.
L'un des signes les plus clairs de ces états de grâce sont
qu'avec mon ventre s'arrondissant, même si la fatigue reste en toile
de fond, je suis de bonne humeur, mon cur se remplit d'allégresse
en voyant ton frère et ta sur, et oui, tu es bien là
! Je ne connais pas ces mouvements de rejet, comme ceux que j'avais rencontré,
enceinte de Maximilien, envers Elfie, je ne ressens pas le même
besoin de me fermer pour me protéger. Elfie explose de joie, pour
Maximilien au début c'est cauchemars, hurlements dans le noir,
" rêves " de mort (" j'ai peur ! je suis bébé
mort tout seul dans ma petite cage " dit il un soir, alors qu'il
n'a jamais dormi seul : de qui parle t'il ?...). Puis un jour il te parle,
les cauchemars cessent, il est de plus en plus attentif à toi,
à mon ventre, pose des questions. Les 2 sont ravis qu'on raconte
encore et encore leur naissance
Cette fatigue finit par m'apparaître comme une accumulation qui
remonte à des années, des siècles. Et si elle n'était
pas non plus mon ennemie ? Encore une lutte à abandonner
J'entends " arrête de gémir, repose toi vraiment ",
alors je dors, encore et encore, je me donne encore plus le droit de ne
pas assurer (illusoirement !) sur tout les fronts (y'en reste même
si je désarme depuis pas mal de temps !), je réduis l'accompagnement
médical au strict minimum, pas d'examen invasif sauf 2 échographies
suivies d'un mal de tête carabiné à la sortie (grrrrr
hors de question d'en faire une autre : la 1ere fois coïncidence,
me dis-je, mais à la 2eme j'en suis sûre : tu détestes
les ultrasons donc c'est pas bon pour toi), vu seulement 2 fois un médecin
pour des papiers (déjà trop, mais bon
). Je m'inscris
par miracle, sans avoir à insister (vu les délais) aux Lilas
au cas où, mais je souhaite que tu naisses à la maison.
Je vois régulièrement la même sage femme que pour
Maximilien. On discute, c'est tout et c'est très bien.
La vie me sourit : moins j'en fais, plus ça se fait ! Surprise
Le " temps " passe pour bien des gens et le calendrier, pour
moi il se dilate de plus en plus. J'ai préparé quelques
affaires (trié des petits vêtements, ressorti les porte bébés,
acheté des alèses
rien d'extraordinaire).
Le terme est proche, " alors c'est pour quand " ? comme si
on devait savoir
depuis 3 jours Elfie et Maximilien sont particulièrement
dispersés, ça fait un moment que j'ai repéré
la nouvelle lune du 14 octobre. Mercredi 13 au soir je nous fais inviter,
je suis " ailleurs ", pleine de vagues, nous allons manger chez
des amis qui habitent près (sans Peter, au travail tard), tu bouges
dans mon ventre
je suis encore plus ralentie, nous rentrons a pied,
tard du coup, mais j'ai comme dans l'idée que de toutes façons
les enfants n'iront pas a l'école. Pas net, cependant, j'ai eu
envie de manger !
Nous allons nous coucher dans la chambre familiale, sauf ton papa qui
veille encore : lui aussi est " déphasé ", il
entame sa 3è nuit blanche ! Des contractions douces se poursuivent,
je profite de cet état qui m'emporte. Je n'ai rien " programmé
" par rapport à ce travail, même pas fait de sac "
au cas où ", ma journée se poursuit simplement, là
c'est phase " repos " donc direction la chambre, je pense encore
et encore à toi. Mon esprit est traversé par " mettre
une alèse dans le lit "
Ok, plus tard ! Ca me revient
car tout a coup je me relève, prise d'une envie de tricoter ta
couverture, ce que je fais entre 1 et 3 h du matin sur mon canapé
préféré (ça m'arrivait assez souvent tout
ces mois !). Toujours des contractions, oui, ok, ahhh, respirer, laisser
le temps s'étirer, se défaire.
Et je retourne me coucher (mon rythme de ces derniers temps) en informant
Peter que " ça bouge ". Toi. Lui pense qu'on a encore
le temps, je sens déjà que non, mais il verra bien ! Je
suis certaine que tu choisis très bien ton moment, et qu'il est
inutile d'anticiper : seul le présent nous intéresse.
Je sombre dans un sommeil noir, lourd, profond qui me surprend : du RIEN
! Puis en changeant laborieusement de côté, je sens un écoulement
très liquide entre mes jambes, je tousse, il pleut ! J'allume :
flotch ! en plein sur l'alèse stratégiquement disposée
Je peux faire tout ces gestes et remue ménage tranquillement en
pleine nuit parce que j'en ai déjà fait plein pendant la
grossesse, comme si je m'étais assurée que la nuit ça
va : les enfants dorment, Peter est là !
Je vais aux toilettes, pipi et caca mou, me sens nauséeuse, sors
de la chambre avec l'alèse repliée (pratique vraiment),
c'est bien lourd, et la premier choc : le liquide est sombre, verdâtre
Je me réveille d'un coup, je sais que " théoriquement
" c'est départ à la clinique pour beaucoup de gens.
Bon, on va voir
il est 5 h ½.
J'ai le vertige, des contractions s'enchaînent plutôt fortes,
pas envie de réfléchir juste d'être avec, Peter vient
installer drap et alèse sur mon canapé, met le chauffage.
Je laisse venir des sons, me tient plutôt à genoux ou accroupie,
toi, tu bouges, je mets mes mains ici, là
Je change un peu,
j'ai du mal à trouver une position vraiment satisfaisante. Peter
me rejoint plus tard, ne fait rien de spécial, juste se tient à
côté dans un fauteuil, se rend simplement disponible
Me tend une bassine, re caca
A peine quelques mots.
Puis non, pas de bain, j'ai si froid. Ca devient interminable, le jour
se lève. Qu'est-ce que je fais la dans ces postures ridicules à
prétendre accoucher alors que je me sens " normale "
tout à coup ? Et ça recommence : contraction, vagues, et
hop ! comme une douche froide et désagréable je " reviens
", " rien à signaler ", quel accouchement ? Mon
bébé
? Je demande à Peter de voir le temps
des contractions, et l'intervalle : c'est devenu très irrégulier,
et confirme mon impression de partir pour le monde des bébés
et d'en revenir très brutalement, de me faire mettre à la
porte, clac !
Je suis emportée et éjectée, c'est de pire en pire,
pour finir j'ai " mal " mais ça ne veut pas dire grand
chose, je suis surtout vidée, désespérée chaque
fois que je me retrouve sur le carreau parce que je perds le contact avec
toi. Je n'essaye plus d'être dans les contractions, pas la peine
le cur n'y est plus, je ne crois pas que les contractions soient
vraiment plus fortes, mais je n'ai plus envie, ce qui me réjouissait
devient un enfer. Je repense au liquide teinté, tout à coup
je suis très mal a l'aise, perdue. Et toi ? Je regarde l'heure
: 9 h.
Un instant tout a l'air suspendu. Alors je décide de me donner
le temps d'un bain pour examiner la situation, Peter le fait couler, je
m'installe, ça me laisse un répit hors du temps pour m'interroger
: " que se passe t'il ? ".
Je touche mon ventre, je laisse venir
et me retrouve dans les enfers
des débuts de grossesse, en démultipliés : l'épreuve
de vérité ! Comme si mon désir de vie était
interrogé, pas d'échappatoire. Rien de ce que j'avais mis
à jour n'a " empêché " quoi que ce soit,
mais peut-être (je pense que oui) que cela facilite le jaillissement
de tout ce qui se présente à mon esprit pendant que nous
flottons dans la baignoire
: il est temps de décider, de
répondre.
Tu as besoin de moi, dans la vie ou la mort nous sommes ensemble. Oui,
et alors ? Je ne peux pas faire semblant d'avoir envie-en vie de vivre
si ce n'est pas vrai, la mort est aussi une attirance, la c'est très
clair. Le choix est " neutre " : l'un ou l'autre, partir ou
rester (" should I stay ou should I go now
" chantonne
une voix quelque part) il n'y a pas de bien ou de mal, c'est comme ça,
c'est tout, encore et toujours la vie sous une forme ou une autre. Personne,
et surtout pas toi, n'exige rien de moi : je suis libre, nous vivons ou
nous mourrons si on veut voir cela séparément, rien ne me
condamne quel que soit le " choix ", ça n'a aucune importance.
Cet aspect sans " bon " ou " mauvais " m'emmène
au delà des peurs, je me sens très calme, une suggestion
dans ma tête " pleure "
ben non, pas envie, pas
vrai non plus. Ni triste ni joyeux
que se passe t'il ?
Tu as besoin de moi, toi non plus ne peux faire semblant
encore moins
que moi. Et tu me fais une totale confiance. Mon cur saigne, mon
cur s'ouvre, mon ventre n'a plus grand-chose à voir dans
ce qui se passe, mais ce néant que je sens dans ma poitrine, cet
" à quoi bon " qui me hante depuis des générations,
ce vide qui m'attire pour que j'arrête de me fatiguer à croire
qu'un tel travail d'enfantement en vaut la peine, surtout si tu es déjà
morte, voilà ce qui me tenaille et me remplit à cet instant.
Vivre, quelle vie ? Avec qui ?
Tout cela vient en vrac, je ne " cherche pas ", je vois, je
contemple
La tentation de l'hôpital " sortez la moi,
que je dorme, je m'en fous, je n'ai pas la force "
la mort,
le désespoir, l'histoire triste à vie, les drames : ah la
satisfaction du connu (je pense à ma tradition familiale féminine
bien ancrée) !
Je comprends que je ne peux pas juste " laisser faire ", pas
comme à la naissance de Maximilien ou des forces si puissantes
avait tout balayé sans demander " mon " avis, pas le
temps de toutes façons, il est venu très vite : pour toi
ma participation est nécessaire si ce que je souhaite est d'enfanter,
de vivre la vie des corps. Tu as besoin de *moi*
*j*'ai besoin de
*moi*
si je veux. Il n'y aucune différence à ce moment
là entre nous. Un besoin n'oblige pas, il est, c'est tout. Quoique
je choisisse tu n'en conçois aucune crainte, rancur ou autre.
Il n'y a aucune " morale " là dedans, personne n'est
obligé de vivre, mais si c'est " oui " c'est un véritable
engagement dans le plan terrestre. Ca aussi c'est très clair. Je
n'ai jamais vécu une telle liberté, une telle absence de
pression dans un choix aussi vital ! Je suis sidérée par
la sagesse que la vie, toi, manifestez ainsi.
Je dis tout cela de façon trop intellectuelle avec des mots, mais
dans ce bain qui m'a rendue légère et suspendu le temps,
ça passe par des défilés de sensations, d'impressions,
d'images, comme si mes " mémoires " du passé et
du futur se vidaient, faisaient de la place. Je vois des films de ma vie
dans des futurs possibles, que du sombre, gris au début
et ces versions sont familières, je savais qu'un jour ça
finirait mal, j'ai défié la malédiction du 3e enfant
j'aurai essayé et échoué, c'était prévu,
maintenant je peux enfin m'en aller, laissez moi tranquille
Je parle un peu avec Peter, je caresse mon ventre et sens des contractions
(mais le physique est complètement passé à l'arrière
plan), je lui dis mon inquiétude " je ne sais pas si elle
est là ou non ". Il ne s'embarque pas dans une discussion.
Ou es-tu ? Je vois encore défiler des films, sans rejeter ou chasser
ou trier puis laisse passer sans être emportée, identifiée,
je suis un simple témoin, je dis " oui " intérieurement
et autre chose surgit, et encore et encore
Je me sens au delà
des émotions, je constate, pas envie de rire ou pleurer ou
,
" neutralité bienveillante " (comme on dit dans mon travail
psy) pour la condition humaine dans toutes ses dimensions. Le cur
s'ouvre encore, s'il y a " oui " c'est la qu'il surgit
Et tout a coup ce qui surgit c'est Toi, Elfie, Maximilien qui jouent ensemble,
justement ils viennent de se lever, viennent me voir dans le bain
L'ici et maintenant revient en force, lumineux, et la sage femme y a une
place. Tiens, je vais changer mes plans, je voulais l'appeler plus tard
? Je sens que le simple fait de sa présence me donne de l'énergie,
c'est bon à prendre pour nous : pas d'état d'âme,
rien a faire de ce qui " était " prévu
Tout
a coup se dessine du très clair, voila comment ça se passe,
je me sens portée à agir comme ci, comme ça
avec MON accord : je ne sais toujours pas si tu es la, je sens parfois
de très légers mouvements, mais je sais que j'ai en vie
d'essayer, quel que soit le résultat, sans garantie (et ça
n'a pas lieu d'être).
Maintenant il est hors de question d'aller à la clinique, je sais
que nous n'avons pas beaucoup, c'est-à-dire TOUT, le temps, et
ça ne ferait que ralentir encore le travail, tout bloquer, on se
fera charcuter... non ! Ce délai que je sens important est pour
moi le plus difficile, j'ai tellement horreur de me sentir pressée
: alors je décide d'ignorer délibérément TOTALEMENT
tout ce qui de près ou de loin mesurerait le " temps "
dans cette maison, de ne plus rien avoir à faire avec une pendule
! Je raye la question " combien " de temps ou de n'importe quoi
pour un bon moment
Je demande à Peter de téléphoner a la sage femme,
je suis-nous sommes toujours si " fatiguées " : je veux
faire appel à tout ce que je sens comme ressource, je n'ai pas
besoin de gestes, de techniques, seulement de présences humaines
dans lesquelles je peux puiser des forces, que les gens en soient conscients
ou non. Je prends intérieurement la direction des opérations
(pas volontairement, ça se fait !), profite encore un peu du bain
pour " faire le plein " de légèreté avant
la fin du travail. Je capte l'ambiance de la maison, Peter avec les enfants
la vie. C'est drôle comme tout a l'air clair, évident, plus
de questions, comme si la lumière était d'autant plus claire
que l'ombre avait été sombre
Le choix est fait. Est-ce
le " mien " ? A l'évidence *je* préfère
cette version, mais était-ce possible si les autres me hantaient,
si je les avais rejetées et qu'elles étaient restées
cachées, agissant en secret ?
Je flotte encore un peu, je sens parfois tes petits mouvements, bien moins
forts qu'il y a seulement quelques heures. Je sors du bain juste quand
la sage femme arrive, eh eh : ce " timing " à pic et
sans calculs est aussi une signature importante de bien des vécus
de cette grossesse et de ta naissance. La sage femme dit ne pas trop "
être pour " la présence des enfants, Peter clôt
la discussion " on en a beaucoup discuté, ils ont choisi et
on peut changer si besoin ". Pour moi il est hors de question qu'ils
partent, leur confiance est magnifique, je ne savais pas encore à
quel point une telle présence est nourrissante. Je le découvre
avec joie. Agir n'est pas forcement visible, les actes les plus puissants
peuvent être les plus secrets
Moi je donne mes dernières consignes verbales, avec effort pour
parler, " je veux être tranquille dans la chambre ". Valable
pour tous, pas besoin de le préciser
personne ne discute,
mon autorité est incontestée ! Des avantages d'être
chez soi. Moi qui ai tant de mal en temps ordinaire a ce qu'un enfant
range ses chaussures en arrivant à la maison.
Une contraction vient bien forte, " ça travaille ! "
dit la sage femme
oui ! ça repart
"et d'abord
je vais faire pipi ".
Et j'y reste : les toilettes c'est un endroit magique ! déjà
je m'y étais installée a la naissance de Maximilien. J'en
profite je ne sais pas combien de temps, c'est bon l'ouverture dessous,
pile poil sous la verticale alors si facile a sentir. Une étagère
accueille béatement ma tête qui pèse si lourd entre
2 contractions. Embarquement immédiat, je décolle sans m'en
rendre compte (c'est bien ça qui fait que c'est fait
euh,
c'est clair ?). Les sons changent beaucoup, pendant plutôt graves,
et entre les contractions, des ah de soulagement, de bien être,
qui me surprennent. Je me sens sourire, l'air aussi stupéfaite
et ravie qu'un chat reniflant une chatte qui a la bonne odeur.
Enfin je me dirige vers le lit (au ras du sol), j'y empile tous les coussins
que je peux et que m'a amène Peter en plus de ceux qui y sont habituellement,
je m'agenouille et je me pose. Ca bouge ! Plus bas, toujours plus bas,
ça descend en spirale, et c'est pas évident, y'a du frein...
Aie. Je pose ma main droite (parfois la gauche aussi) tout à l'entrée-sortie
de mon sexe, sur le périnée, bien à plat, ce chaud
est totalement bienfaisant.
Je garde les yeux mis clos, je ne suis plus capable - n'ai plus envie
de parler mais un seul geste ou léger mouvement de tête suffit
à communiquer si besoin, pour dire aux enfants " stop "
et protéger mon espace lors d'une petite visite, et " oui
" pour un monitoring express à 2 reprises. La sage femme choisit
bien son moment, celui ou j'accepte un contact. Pas longtemps. Moi qui
croyais ne retirer aucun bienfait de la technologie de la naissance, cette
fois ci ces quelques secondes sont les bienvenues " schouf schouf
schouf " : Peter dira qu'a ce moment mon visage s'est éclairé,
" l'ombre " (selon ses propres termes) qu'il sentait se dissipe.
Ton cur bat, tu es là, proche, les autres sont dans le salon,
pas trop de 2 pour répondre aux questions de ton frère et
ta sur. J'aime être à la fois en bonne compagnie, capter
l'ambiance, et respectée dans mon intimité !
Ca s'enchaîne, les sons et la chaleur de mes mains ça fait
un bien fou, tu descends, je suis à genoux, parfois assise sur
les talons et parfois me redresse sur les genoux mais jamais complètement,
je ne peux pas, je me plie, me protège, ou 4 pattes, j'enfouis
tête, ventre dans l'énorme pile de coussins que j'embrasse
devant moi, j'ai l'impression de " prier " comme je l'ai fait
aussi lors de mes réveils nocturnes, de nombreuses fois, trouvant
ces positions et gestes bienfaisants. Un peu de humide gluant, avec du
sang, sous mes doigts : le fameux bouchon muqueux - ah que tout ce vocabulaire
semble déplacé, surtout dans ces instants sans mots, trop
compliqués les mots.
Un univers chaud, moite, rouge, doux, fort, par moments la lutte se poursuit
encore en moi entre oui et non, il me vient des réminiscences du
travail inachevé, incomplet lors de la naissance d'Elfie, provoquée,
comme la mienne (pas pour Maximilien : la continuité s'opère
t'elle selon le sexe, au delà du temps ?) : " l'obligation
" de vivre, de s'ouvrir
Non ! Ca fait mal d'être obligée
!
Et sans transitions, l'extase, je me surprends des sourires aux lèvres,
je psalmodie, chante. L'alternance est féroce, épique, héroïque.
Avec mon accord complet, de toute évidence la ce n'est plus "
moi " seule qui fait le travail mais j'ai l'impression d'y avoir
une part importante !
Parfois la sage femme jette un il, une oreille
ils discutent,
à côté. Nous, on progresse. C'est drôle de sentir
les changements sous ma main, humidité et douceur, ça change,
un fruit mur à point vient s'offrir. A chaque contraction, des
sons de plus en plus librement inspirés, un peu de tout
La lutte est rude, et tout à coup le " non " gagne
enfin réconcilié avec le " oui " : je suis d'accord
avec, non d'avoir (eu) si mal, la vie n'est pas faite pour cela ! Une
contraction particulièrement douloureuse déclenche alors
une colère monumentale, commençant par quelques jurons bien
sentis ; et j'ai le droit et c'est bon aussi, puis des sons encore nouveaux,
râles, rauques, rrrrrrrrr c'est bon, bon, bon ! Ahhhh cette colère
! Elle est belle, elle est juste, c'est le droit de mon corps à
être respecté
et c'est toi qui viens.
Tout le monde est venu dans la chambre comme sur un signal invisible,
inaudible, la sage femme à ma droite, Peter à gauche, Elfie
et Maximilien à ses côtés. Comme dans une scène
parfaitement au point sans aucune répétition, chacun est
là, et s'enchaînent les gestes dont j'ai besoin : mes fesses
deviennent trop lourdes sur mes talons, je lève les bras, aussitôt
je me sens soulevée juste assez pour accompagner l'élan
irrésistible qui me saisit à cet instant et me retrouver
redressée sur les genoux. Je sens alors que " je peux ",
et je veux, ce n'est pas la force monumentale qui a poussé Maximilien
hors de moi, plutôt un signal impérieux " c'est le moment,
vas-y " alors je me mobilise-me laisse emporter guidée par
un rugissement qui me surprend tout comme la force qui pousse ta tête
hors de moi, déjà ???!!! jusque dans mes mains que j'avais
redescendues aussitôt pour t'accueillir
le rugissement râle
se module, je sens que je peux continuer, ah bon ?!! ok !
et c'est
tout ton corps que j'accompagne jusqu'au sol entre mes genoux
toute
bleue dans une marre de sang.
" Mon bébé " " mon bébé ",
je sais à nouveau parler, seulement ces 2 mots... et je plonge
la tête dans mon tas de coussins, reprends mon souffle une, deux
respirations ? me redresse
tu es déjà rose dans une
serviette rouge, Peter et la sage femme ont déjà enlevé
le reste avec les alèses.
Je te découvre, je te palpe du bout des doigts en commençant
par tracer le contour de tes yeux à partir du coin intérieur
à gauche
tu clignotes, avec effort tu ouvres les yeux : tu
es là, c'est l'explosion de joie de toute la famille autour de
toi, la sage femme s'est faite discrète et je ne la perçois
plus
Je te découvre, je te parle.
Puis tout a coup je veux m'allonger, ce que je fais sur place, dans le
lit c'est pratique, même si je ne m'allonge pas dans le sens habituel
mais comme je suis. Je te soulève et tu viens sur moi, tu fais
caca dans ma main : ça va ! Tu cherches, humes, fouisses
mmh. Mais tu prends le temps, dans ton fouissage, de t'arrêter un
instant, de me regarder dans les yeux, et de me sourire : à jamais
cette image me reste, oui, nous l'avons fait, toi et moi ! Qui remercie
l'autre ?
La sage femme fait les prélèvements pour le rh négatif
(je suis contente de ne pas m'en préoccuper), et la je vois que
le cordon est vraiment très court, 30 a 40 ? cm (d'où mes
positions toujours un peu pliées et pas faciles à trouver
?). Les enfants ont faim, toi aussi, tu tètes.
Plus tard je m'accroupis, soulevée par Peter et la sage femme,
je pousse légèrement, le placenta sort très facilement
Elfie et Maximilien suivent tout ce qui se passe, viennent nous voir,
repartent, Peter fait face à une vague de téléphone
(marrant ils ont tous su comment ?) entre 2 sandwichs, et nous nous sommes
tranquilles. Fatiguées, toi et moi ? Nous goûtons enfin un
repos bien apprécié.
*** Plus tard : je me rends compte que la chambre est bizarre
elle
est redevenue " normale " en fait ! Elle a repris sa taille
(10 fois plus petite ?), la lumière est partie, l'odeur parfumée
enivrante s'est envolée. Bienvenue sur Terre !
Mon périnée va bien, je récupère vite et
j'ai envie de me lever et manger le soir même, les tranchées
pas douloureuses, alors que je les redoutais parce que pour Maximilien
ouie ouie ouie, un de mes plus mauvais souvenirs
Quelques jours plus tard : j'apprends que tu avais le cordon autour du
cou, pas serré (mais ça raccourcissait encore la marge de
manuvre). La sage femme est arrivée à 10h15, tu es
née a 11h32 (31 pour ton papa) : long ? court ? drôles de
questions ! Je me demande quels étaient les risques " réels
" ? C'était quoi ce liquide teinté ? J'ai eu de la
chance ? Je me suis fait un film ? On avait combien de temps encore devant
nous ? Ces questions que je me pose et qui peuvent avoir un intérêt
n'ont été d'aucune utilité pendant le travail. Je
pense même qu'elles m'auraient vraiment gênées ! Mais
après, histoire de discuter
pourquoi pas
Valérie
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