Récit de la naissance de Lucille, sans accompagnement, rapide et facile

Le 30 mars 2004

C’est le soir. Dans la pièce voisine, Arnaud chante avec Jules et Bertille comme chaque soir pour les aider à s’endormir. Mon bébé est contre moi, peau à peau dans une écharpe que j’avais choisi pour lui. Lui c’est elle. Elle est née ce matin un peu avant 6 heures. Elle respire calmement contre moi. Elle sent bon.

J’écris dès ce soir, pour me souvenir, pour garder une trace de mes impressions, de mes sensations le plus proche possible de ce que j’ai vécu ce matin.

La nuit dernière vers 4 heures moins le quart une contraction m’a réveillée. Assez douloureuse, assez pour se douter que le moment est venu. Une autre quart d’heure plus tard. Un peu surprise par la douleur. Je croyais me souvenir mais c’est différent quand c’est maintenant.

Je me lève silencieusement pour ne pas réveiller Arnaud et les enfants. Je descends. Je chauffe de l’eau pour faire un thermos de tisane et je prépare le biberon des enfants que je mets dans le sac isotherme.
J’ai une contraction et je m’accroche au plan de travail de la cuisine. Arnaud arrive avec Bertille dans les bras.

On remonte tous les trois se remettre au lit. J’espère que Bertille va se rendormir vite. Jules se réveille aussi et dit des choses drôles dans un demi sommeil.

Les contractions sont toutes les 10 minutes environ, puis rapidement 8 minutes, 5 minutes. Je les prends l’une après l’autre calmement sans bruit. J’espère toujours que Bertille va s’endormir mais elle est un peu inquiète, elle devine qu’il se passe quelque chose alors je n’ai rien dit. A 5 heure moins le quart je décide de me lever, je ne peux plus rester là. Arnaud et Bertille viennent avec moi. J’installe des serviettes en plusieurs épaisseurs sur le sol de la cabine de douche. Je m’installe. J’ai un peu froid.
Arnaud et Bertille descendent mettre le chauffage plus fort. La douche se réchauffe vite, les serviettes sont douces et chaudes. Puis Arnaud installe le matelas dans la pièce d’à côté. Bertille le suit pas à pas, inquiète. Elle dit « j’arrive pas à pleurer » mais on voit qu’elle est au bord des larmes.

Ils viennent tous les deux dans la salle de bain. Les contractions sont toutes les 3 ou 4 minutes je pense. Je vocalise calmement, avec des sons assez profonds, pas des cris. Je suis calme, la douleur n’est pas insupportable. J’ai le temps de récupérer entre chaque contraction.

Je suis assise, les jambes pliées vers l’arrière en grenouille et pendant les contractions j’appuie ma tête par terre sur une serviette, plus les contractions sont fortes, plus je presse ma tête sur le sol.

J’essaye de rassurer Bertille entre les contractions a travers la vitre de la douche mais elle ne va pas très bien. Elle demande à venir dans la douche, je suis d’accord. Des qu’elle est avec moi, elle se met à pleurer, elle dit qu’elle est triste. Pendant les contractions elle accompagne les bruits que je fais, de pleurs très forts. Je ne m’occupe pas vraiment d’elle, je sais qu’elle s’en sort, elle a besoin de pleurer, elle pleure, elle exprime sa tristesse en temps réel.
Le temps passe. Les contractions sont plus fortes. A un moment je décide que je ne peux plus supporter les cris de Bertille à 10 cm de mon oreille et j’ai besoin de prendre plus de place. Je lui demande de sortir, elle est d’accord. Dès qu’elle sort elle arrête de pleurer, elle va mieux. Arnaud la rhabille.

Pendant ce temps mon col s’est ouvert. Je sens dans mon vagin avec mes doigts la tête de mon bébé à travers les membranes. A la contraction suivante les membranes font une bulle qui bombe, presque à la vulve. Je crie plus fort, les sensations sont plus intenses. La contraction d’après la poche se perce et l’eau coule sur ma main. Je ne sais pas si c’est pendant cette même contraction que la poussée commence ou à la suivante, à celle là je crois, mais peu de temps parce que le contraction est presque finie. Je dis à Arnaud de réveiller Jules qui nous a demandé d’être là pour la naissance. Je pense maintenant que ça va aller vite. Il part avec Bertille. La contraction arrive. Enorme poussée. Très puissante. Je sens la tête qui progresse d’un coup. Je crie très fort, je parle à mon bébé. Je crie, ça pousse, viens mon bébé, tu arrives. La contraction est longue, la poussée énorme. Au début de cette contraction j’étais étalée sur le sol, la tête pressée par terre, les fesses et les genoux aussi. Je me redresse pendant la poussée. Je comprends que le bébé va naître, maintenant, en une seule poussée. Je baisse la tête pour le voir sortir de moi. Sa tête et juste après une main apparaissent. Tourné vers la gauche, les yeux ouverts. Puis son corps tout entier sort de moi. Je le colle à moi. Ils sont là tous les trois juste à ce moment, juste quand je dis « le bébé est né ». Jules et Bertille ont l’air contents. Ils nous voient mal à travers la porte de la douche. Ils s’accroupissent pour regarder en bas de la porte qui est plus transparente à cet endroit.

Mon bébé est dans mes bras, bleu et assez mou. Arnaud voit mal. Il voit que le bébé ne bouge pas. Il s’inquiète.

Je n’ai pas peur. Je déroule le cordon du tour de son cou. Je le penche en avant pour l’aider car il fait des bulles, je lui frotte le dos, je lui parle pour l’encourager, je lui dis de respirer, je vois qu’il bouge un tout petit peu. Très lentement, très doucement il prend sa respiration, il rosit lentement et bouge de plus en plus. Arnaud me demande si c’est une fille ou un garçon. Je dis que je ne sais pas, on est occupé, le bébé à commencer à respirer et moi à l’encourager. Un peu plus tard je regarde. C’est une fille.

Je crois qu’elle était très calme et avait simplement besoin d’un peu de temps pour arriver.

Le temps passe, peut être 5 minutes peut être un peu plus depuis la naissance, avant que je voie qu’elle va assez bien pour qu’on sorte de la douche. On ouvre, je me lève sans mal, on s’entortille dans des serviettes et on va s’asseoir sur le lit de la pièce d’à côté dans la pénombre, avec juste une toute petite lumière chaude.

Je suis bien, je n’ai pas froid, je ne tremble pas. Les enfants sont calmes et contents, ils disent des choses adorables et douces. «Elle est de notre famille et on est de sa famille » dit Jules. On leur dit le prénom qu’on avait choisi et gardé pour nous deux jusque là, Lucile. Jules a du mal, il dit Lucine. Bertille dit tout de suite bien Lucile.

Elle est contre moi, le sein tout près de la bouche. Elle le lèche un peu parfois, tente une petite succion mais s’arrête, elle n’est pas prête. Elle a les yeux grands ouverts, elle respire calmement. Elle n’a pas encore fait de bruit, elle n’a pas crié, pas pleuré. Bertille demande à téter, je suis d’accord, elle s’installe en face de sa sœur et la regarde d’un air attendri pendant qu’elle tête. «Bertille regarde le bébé et le bébé regarde Bertille » nous dit Jules.

Arnaud parle du placenta. Je sens qu’il s’inquiète, il aimerait qu’il sorte, que ce soit fini. J’ai des contractions, très fortes quand Bertille tête. Mais pas de placenta. J’aimerais qu’il sorte pour Arnaud. Je bouge, j’essaye d’autres positions pour voir s’il glisse. Non.

Le cordon est court. Je décide de le couper. Ca fait environ une heure qu’elle est née. Je ne fait pas de nœud, je ne mets rien sur le cordon, je coupe, du sang coule un peu. Voilà c’est plus facile de tenir Lucile sans le cordon.

Je dis à Arnaud que son attente du placenta m’empêche de plus en plus de penser à autre chose et m’empêche probablement aussi de le laisser sortir. Les enfants sont plus énervés, ils ont pris leur petit déjeuner, on avait prévu des bonnes choses dans la pièce, maintenant ils commencent à sauter partout. On décide qu’ils vont descendre tous les trois et que je reste au calme. Ils partent. Je m’allonge contre Lucile, je profite un peu. Puis je décide de réessayer de faire sortir le placenta. Je m’accroupis. Je le sens avec mes doigts, je pousse un peu, il sort avec beaucoup de liquide. Je me sens plus légère.

Lucile est éveillée, calme, posée à coté de moi. Je la laisse quelques instants posée pour me laver un peu et m’habiller. Puis je la prend et je descend leur dire que tout va bien, que c’est fini. Je passe 2 minutes en bas, je commande mon petit déjeuner et je remonte je me mets dans mon lit. Elle est toujours éveillée.

Elle est toute calme, je la pose à côté d’Arnaud qui vient de s’allonger et je vais dans la pièce d’à côté pour petit déjeuner avec Jules et Bertille autour de moi. Puis je reviens m’allonger.

Lucile tête pour la première fois. Elle est née il y a environ trois heures et demi. Bertille vient s’installer de l’autre côté, elles s’endorment toutes les deux en se regardant téter.


Le 18 mai

Lucile a 7 semaines aujourd’hui. Elle va très bien et moi aussi. Depuis sa naissance je ne me suis pas sentie particulièrement fatiguée. J’ai été très aidée dans les jours qui ont suivis mais je sais que mon accouchement lui même ne m’a pas fatigué. C’était si rapide et si facile, cela n’a duré que 2 heures dont seulement une heure intense. Les contractions ont été progressives, j’ai eu le temps de m’adapter. C’était probablement trop facile d’ailleurs pour ressentir l’effet d’endorphines comme pendant la naissance de Bertille.

Après la naissance, je n’avais mal nulle part (à part 3 jours de tranchées quand même), j’ai tout de suite pu bouger, monter et descendre les escaliers, être présente aux repas des enfants des le soir même. J’ai tout de suite bien dormi la nuit, contre Lucile. J’ai découvert une petite déchirure en regardant dans un miroir, je ne la sentais pas. Elle s’est guérie toute seule, très facilement.

Nous avons un regret Arnaud et moi de ne pas avoir vécu cette naissance plus proche l’un de l’autre. Quand j’imaginais cette naissance, je me voyais très proche de lui. Pourtant sur le moment, tout est allé si vite, nous n’avons pas eu le temps de nous trouver, de nous toucher. Je n’avais pas imaginé accoucher dans la douche, je n’avais rien imaginé de précis car je savais qu’il était important que je fasse ce qui me convenait sur le moment. Et à aucun moment je n’ai eu envie d’en sortir, je n’y ai même pas pensé et en y entrant je ne pensais pas que le bébé y naîtrait une heure plus tard. J’y suis restée parce que j’y étais bien mais ce n’était pas une envie d’être seule.

Pour Arnaud vivre cette naissance à travers la porte vitrée de la douche n’a pas été du tout facile. Il a eu peur alors qu’il n’avait pas eu peur avant et qu’il n’aurait probablement pas eu peur s’il avait pu être plus proche de moi.

Stéphanie