Je peux dire que je suis très fière d'avoir accouchée
sans assistance médicale, chez moi, de mon fils qui plus est, en
siège complet. Je suis très fière d'avoir accepté
la violence de cette naissance mais aussi tout ce qu'elle représente
: la force et la douceur, la rupture physique et psychologique, mais surtout
le lien indéfectible qui unit une mère et son enfant, et
la certitude que toute femme devrait pouvoir vivre son accouchement.
Vendredi 23 janvier :
Je me lève à 11 h et me sens un peu bizarre, je dis à
mon mari que ça pourrait bien être pour aujourd'hui. J'ai
le sentiment depuis plusieurs semaines que ce bébé naîtra
en avance et très vite.
A 12 h, j'ai une contraction non douloureuse comme toutes celles que j'ai
depuis plusieurs semaines. Jusqu'à 12h45 j'en aurai 4 comme celle-là.
A 12h45, une douleur aigüe me surprend, elle est localisée
dans le bas de l'utérus, ne se diffuse pas et je ne la ressens
pas comme une contraction. Je ne m'inquiète pas, et continue mes
occupations, nous sommes à table, je fais manger mon fils ainé,
Valentin (19 mois).
A 13h20, je suis devant mon ordi à consulter mes mails, ou du moins
j'essaie car la douleur qui s'est déjà reproduite plusieurs
fois m'arrache un petit cri, j'ai l'impression que le bébé
fait les 400 coups dans mon ventre.
Je prends 2 spasfon, mais 10 min après aucun bénéfice,
je vais alors me faire couler un bain. Mon mari et mon fils me suivent
l'oeil inquiet.
13h35 : J'appelle Cyrille, le maïeuticien qui me suit depuis le début,
il est au courant et se prépare à partir dès que
je le rappelle. Car à ce moment-là, je n'ai pas l'impression
que je vais accoucher !!!
13h45 : mon fils est couché, les douleurs sont devenues pour moi
des contractions extrèmement douloureuses, qui me submergent. J'ai
même l'impression que le bain les fait plus violentes et plus rapprochées,
chacune dure moins d'une minute mais revient toutes les minutes ! Et seules
une grande concentration sur ma respiration et la main de mon mari que
j'écrase à chaque fois me permettent de rester lucide.
Mon mari rappelle Cyrille, il comprend tout de suite qu'il faut venir.
Entre 2 contractions, Jean-Christophe appelle sa mère puis ma cousine
pour qu'elles viennent s'occuper de Valentin au cas où il se réveille,
il descend du matériel, ouvre la porte de la maison pour que tous
puissent rentrer.
Je vais d'une pièce à l'autre entre chaque contraction,
arrivée dans la salle à manger je suis obligée de
m'accroupir, le dos droit, les jambes écartées et les bras
appuyés sur la table.
Cette position s'impose à moi, je ne peux absolument pas faire
autrement et n'en ai pas envie.
Je ne pas me passer de mon mari pour supporter les contractions. Elles
sont d'une violence que je n'aurai jamais pu imaginer.
Je finis par arriver de l'autre côté de la table, dans un
endroit qui n'est pas franchement le plus accessible de la maison, mais
c'est ici que je veux être. Je ne réfléchis plus,
mon esprit est dans mon ventre avec mon bébé.
Une contraction plus forte me laisse accroupie et je sens que le bébé
progresse. Je mets ma main à l'entrée de mon vagin et sens
la poche des eaux bombée, prête à se rompre.
Je dis à mon mari que le bébé va arriver, il appelle
Martine pour qu'elle vienne nous aider.
Jean-Christophe s'assoit sur notre gros ballon de gym, je m'adosse contre
le ballon, accroupie, et il me tient sous les bras.
Cyrille n'est toujours pas là, je tempête contre lui et
demande tout haut ce qu'il fait ! Je ne me rends pas compte que ça
ne fait que 15 minutes qu'on l'a appelé !
A la contraction suivante, la poche se rompt, un grosse quantité
de liquide clair part en jet loin devant moi, sous la table.
Je demande à Martine si ça ne la dérange pas de nous
aider à accueillir le bébé, elle me répond
par la négative.
2 contractions plus tard, je sens le bébé descendre et lui
demande si elle voit la tête, elle me répond : "non,
je vois les pieds".
L 'espace d'un instant j'ai l'impression de rêver, qu'on me raconte
une histoire qui n'est pas la mienne. Et juste après je ne me pose
plus de questions je continue à faire naître mon enfant.
Martine ne montre aucune angoisse, elle attend le bébé avec
un absorbex dans les mains. Les contractions s'accompagnent d'un réflexe
d'éjection assez fort. J'ai la sensation que nous sommmes trois
à pousser : mon corps, mon bébé et moi.
A chaque contraction, je pousse et une partie du bébé apparait,
après les pieds ce sont les jambes puis les fesses. C'est au tour
de l'abdomen et là je vois le cordon qui est beau, en spirale pas
écrasé, je suis rassurée car je pense qu'en plus
il pourrait y avoir une circulaire !
Il me semble alors que les contractions s'espacent un peu, peut-être
parce que je ne sens plus la douleur. Puis le thorax sort et le cou et
les épaules, je demande à Martine si la tête est sortie
elle me dit non. J'attends la contraction et je pousse pour faire sortir
sa tête, en même temps un cri long, d'une force qui m'impressionne
et inquiète mon mari, m'aide à faire naître mon petit.
Jean-Christophe me demande, affolé, si ça va, je lui répond
de ne pas avoir peur que ce cri me fait du bien. Il libère en moi
la force nécessaire à l'expulsion finale.
La tête puis les bras sortent, Martine me tend mon bébé.
Il est 14 h15.
Il met quelques secondes pour respirer, sa peau devient rose et je regarde
son sexe, c'est un petit garçon. Je dis à Martine : "Je
te présente Johannès", mon mari me repose sur le sol,
nous nous regardons un court instant, il semble soulagé. Je crois
qu'il a eu très peur. Et Cyrille arrive, un peu surpris, s'assure
que tout va bien pour nous deux.
Je plane un peu, je réalise que mon bébé est là,
il est tout petit, mignon. Je suis heureuse.
Après la délivrance et la pose de quelques points, je garde
Johannès sur moi en peau à peau. Il tête un petit
peu et se love contre moi, ne cherche pas à bouger.
Il va rester sur moi toute la nuit, car quelques heures après sa
naissance il a un petit geignement expiratoire qui parfois s'arrête.
Mais quand Cyrille revient le lendemain matin, rien n'a empiré
mais ça ne s'est pas amélioré non plus.
Il sera hospitalisé en réanimation néonatale pour
une maladie des membranes hyalines (les alvéoles pulmonaires ne
peuvent pas bien s'ouvrir à cause d'un liquide manquant, c'est
une pathologie de la prématurité, Johannès est né
à 36 sem + 5 jours).
Il restera sous ventilateur artificiel 26 heures, il n'a subi aucune détresse
respiratoire importante ni souffrance neurologique. Il n'aura aucune séquelle
physique.
Le dimanche, nous arrivons juste après son extubation, j'ouvre
la porte de la couveuse, au son de ma voix, il se tourne les yeux grands
ouverts, le lien est intact, mon bébé me reconnait.
Le lendemain de son extubation (quand on retire le tube qui sert à
la respiration artificielle), il sera dans mes bras, la nuit il veulent
le nourrir avec un biberon, je refuse la tétine donc ils vont poser
une sonde de gavage, il aura du lait féminin en attendant de reçevoir
le mien (le lactarium demande 48 h avant de donner le lait d'une mère
à son propre enfant, bactériologie oblige !!!!!).
Le lendemain quand je reviens, on m'annonce que mon bébé
fait de la résistance, il a arraché sa sonde, par conséquent
le personnel a été obligé de lui donner du lait à
la tasse. Et à ma grande surprise je peux rester avec lui en chambre
mère-enfant car les infirmières ont constaté que
la seule chose qu'il voulait c'était le sein de sa maman.
Nous resterons 5 jours de plus car Johannès a une forte jaunisse
et il besoin d'UV.
Le dimanche 1er février, il fait un temps magnifique, nous rentrons
à la maison. Nous retrouvons Valentin qui a été adorable
pendant nos absences.
Nous sommes enfin tous les 4, 9 jours après la naissance de Johannès.
Je voulais tant ne pas être séparée de mon ainé,
que c'était une des raisons qui avait motivé le choix de
l'accouchement à domicile, et puis j'aurai voulu avoir le temps
de me dire "ça y est mon bébé va arriver",
j'aurai voulu que Cyrille soit là pour être déchargés
(mon mari et moi ) de certaines peurs, et puis aussi parce que j'étais
préparée à ce qu'il soit là.
J'aurai voulu tellement de choses, mais toutes celles que je n'attendais
pas et qui sont venues, ont été tellement plus fortes, violentes.
13 jours plus tard, nous sommes à la maison tout se passe très
bien. Je peux dire que je suis très fière d'avoir accouchée
sans assistance médicale, chez moi, de mon fils qui plus est, en
siège complet.
Je suis très fière d'avoir accepté la violence de
cette naissance mais aussi tout ce qu'elle représente : la force
et la douceur, la rupture physique et psychologique, mais surtout le lien
indéfectible qui unit une mère et son enfant, et la certitude
que toute femme devrait pouvoir vivre son accouchement.
A toutes celles qui me liront, le plus grand bonheur que je vous souhaite
est de vivre votre accouchement, personne n'a le droit de "vous accoucher",
chaque femme a en elle la capacité physique et psychologique de
mettre son enfant au monde, de le nourrir, de l'élever pour qu'il
soit un homme, heureux, pacifique, serein, confiant, respectueux...
C'est depuis ce moment qu'au fond de moi, j'ai un petit diamant qui brille,
de savoir ce que c'est. Je suis une mère mammifère, liée
à la terre, comme toutes les femmes depuis des milliers d'années.
Séverine et Jean-Christophe, Valentin 19 mois et Johannès
13 jours.
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