Récit de la naissance de ma fille, à domicile

09 septembre 2003

04 h 20
Contractions tous les quart d'heure depuis une heure. Je sens vraiment que « ça » pousse, je n'ose croire que c'est pour maintenant, tout en me disant que c'est tout de même une évidence.
Je pense à G. qui disait ne pas avoir eu le temps de s'y préparer. Je saisis un peu mieux. Mais en même temps, je m'y attends
et je crois qu'il vaudrait mieux. Pour ce 12 septembre qui me porte souci, pour les analyses qui ne seraient pas « bonnes », parce que de toute façon j'ai assez cogité, qu'il faut se jeter à l'eau et que réfléchir quinze jours de plus ne m'apporterait rien de plus je crois sinon de la peur.
Bon voilà, pour le moment, ça a l'air de se calmer, je vais peut être pouvoir dormir un peu.

06 h 20
je me fais un café. Ça continue à la même fréquence, la même intensité. Pour le moment, je n'ai envie d'appeler personne, mais faudra bien leur dire de se tenir sur leurs gardes. En même temps, je ne pense pas pouvoir aller jusqu'au bout toute seule. Cette douleur, je me la rappelle trop bien ! Et puis D. (mon homme) ne pourra pas tout gérer : E. (mon fils), moi, lui.
Pour le moment, aucune position ne m'est spécialement ni inconfortable ni adéquate, si ce n'est que sur le dos c'est intenable, debout les contractions sont immédiates et assise je les ressens dans le dos.

14 h 00
H. (ma sage-femme) est venue dans la matinée, elle voulait regarder le col, j'ai refusé, je n'en ressentais nul besoin, maman est prévenue, E. est tout excité, D. n'est pas allé à son travail. Mais rien n'avance. Toujours les mêmes contractions, espacées au quart d'heure. Peut être vais je pouvoir m'y mettre quand E. fera sa sieste ? Qu'est ce qui me bloque ? Peur qu'il y ait maman ? Envie d'être seule ? Peur qu'il y ait Evan ? Je n'arrive pas à définir.

18 h 00
Alors que dans mon idée, j'aurais voulu vivre ça toute seule, je commence à perdre les pédales. Je commence à ne plus rien gérer, je demande à D. d'appeler H. et ma mère. A l'arrivée de H. et D. dans la chambre, je pleure. Comme si j'étais vaincue, je n'y arriverais pas seule .. Voulais je vraiment ? Et est ce pour cela que je pleure ?

19 h 00
Le « vrai » travail commence, douleurs difficiles, je les évite autant que je peux, je fais de la résistance. Je me sens déjà fatiguée cependant. H. me demande de changer de position (elle le fera souvent), je ne veux pas. Je commence à avoir l'impression que ça n'avance pas, comme pour E., je ne sais pas rester calme, il me faut bouger, marmonner, ronchonner. Je ressens un grand besoin d'intimité, de silence, qui ne sera pas assez respecté à mon goût. Mais en même temps, j'ai besoin que D. et H. soient là, mais juste là sans un mot, silencieux, sans me toucher, rien.
A l'arrivée de H. (et de ma mère en même temps) D. me rejoindra, jusque là, il s'occupait d'E. Mais H. est déjà à me soutenir en position assise (étonnée que je me sente confortable ainsi) et je sens D. ne pas parvenir à trouver sa place. Il range ceci, cela, bouge.
Il ne trouve pas sa place au sens physique tant que affectif du terme. En tous cas, je le ressens ainsi. Ça me dérange beaucoup : qu'il bouge et fasse du bruit autant qu'il s'assoit sur une chaise face au lit !
Ca me dérange pour lui (émotionellement parlant) et pour moi . Bruyamment parlant ! ? Je lui demande donc de venir remplacer H. D'autant que je préfère que ce soit lui tout de même ! Je suis attristée qu'il ne s'impose pas mais cela ne m'étonne pas de lui et quelque part étonnée que H. ne s'efface pas d'elle même mais peut être attendait elle qu'il lui demande ?
Bref. Les douleurs s'intensifient, je commence à fatiguer et je commence à le dire haut et fort.
Alors que pour E. j'avais passé de longs moments en position prière musulmane, cette position m'insupporte totalement cette fois ci.
Parfois assise penchée en arrière en me balançant, mais la plupart du temps couchée sur le côté gauche comme j'ai passé toutes les nuits de cette grossesse.

Je perds le fil du temps, je ne sais plus l'heure qu'il est. H. insiste pour un TV « pour voir où j'en suis », je ne veux pas, je lui dis qu'elle m'avait fait mal pour E., elle insiste encore, j'abdique. La force plus que le courage me manque. Elle me dit que j'en suis à 6 ou 7 (j'aurai vraiment préféré ne pas le savoir parce que pour E. à ce stade là j'en avais eu encore pour 2 bonnes heures et là je ne me sentais pas de tenir tout ce temps !) mais elle ajoute que le col est très lâche et que ça peut aller vite. Mouais. J'ai très froid entre les contractions alors qu'il fait au moins 30 °C dans la pièce. Je n'ai toujours pas l'impression que les contractions sont plus rapprochées, mais peut être est ce que je me trompe ? Certaines sont très fortes mais pas plus fréquentes. Je les sens à l'avance (pour E., je n'avais pas eu cette sensation) comme si le bébé donnait un coup de pied et hop poussait. J'arrive relativement à me relâcher mais seulement en cours de contractions, ce qui leur fait perdre de l'efficacité, en tous cas à mon idée.
J'ai l'impression de rester longtemps à ce stade : où les contractions se succèdent sans que j'ai l'impression d'une progression quelconque. (Je demande de nombreuses fois à H. pourquoi ça n'avance pas) elle me posera des questions : «Comment tu te sens ?» mais je n'ai pas envie de répondre, je ne sais pas quoi répondre d'ailleurs !
Je les trouve trop bruyants, je trouve que D. et elle parlent trop. Il me dira ensuite qu'ils n'ont pourtant échangé que quelques mots.
Une position est terrible : je ne peux absolument pas rester debout. La douleur me fait hurler à chaque fois. H. me somme presque d'aller aux toilettes, ça fait trop longtemps que je n'y suis pas allée dit elle. Ce que je fais. En tentant de revenir dans la chambre (juste quelques pas à faire) je vomis ( tiens ! ! pour E. aussi ..) et là je dis que je veux descendre aller fumer. D. s'étonne, mais je lui dis que je vais mieux. ERREUR ! ! au moment de remonter, une contraction me coupe littéralement en deux. Retour dans la chambre.
Je me fais la réflexion que H. n'a pas écouté le cour du bébé une seule fois ! ? Bof ! je laisse filer cette idée. E. vient me voir pour la deuxième fois, contrairement aux voix de D. et H., cela ne me dérange pas. Il m'apporte une poire ! me fait un bisou, me dit « voi - voir » et repart en bas, tout fier de lui, jouer avec ma mère. (D.était allé le chercher cette fois ci sur ma demande, je l'avais entendu pleurer).

C'est à ce moment là que je me rends compte que je ne suis pas du tout dans mon accouchement ! ! Je me regarde vivre en quelque sorte. Faute à qui ? à quoi ? eux ? moi ? les contractions espacées ? Alors je me dis qu'il faut que ça cesse, que si ça continue, je vais m'épuiser et je finirais à l'hosto. Plus tard H. me dira qu'elle transfère pour bien plus que ça.

Alors que j'avais refusé de m'asseoir sur son siège, je me dis que finalement j'y serais peut être à mon aise. Assise là dessus, D. me guide pour faire le dos rond, c'est vrai que ça soulage. En effet, je me cambre trop sous la douleur, et la tête dans un oreiller sur les
genoux de H., je pousse (et broie aussi) ses mains « vers elle ». Difficile à expliquer cette sensation de bien être que cela me procure. Pour la énième fois, je leur dis qu'il faut qu'ils m'aident , que je n'y arrive pas toute seule. Mais non, décidément, j'en ai marre d'avoir mal, je veux me recoucher sur le côté et dormir. H. me dit que je pourrais bien avant cela « prendre » une ou deux contractions une jambe sur le lit, une jambe au sol, debout. Ce que je fais en marmonnant, pour avoir la paix, pour pouvoir enfin aller dormir ! Une fois une jambe, une fois l'autre, clair que je sens une différence certaine dans la descente du bébé, mais je m'en fiche, je veux aller dormir ! !
Ce que je fais, euh, deux minutes ? peut être cinq ? D. s'allonge à côté de moi, tiens. je suis bien comme ça, il et là, il me protège.
Et subitement je sens cette poussée salvatrice, qui annonce la fin et le début, l'arrivée du bébé, le dernier moment avant de se quitter et je dis à H. que je veux revenir sur le siège. Je m'y trouve bien finalement sur ce siège ! ! !

La poche des eaux se perce. Ah ! douce chaleur ! Et ça brûle, et ça pousse, et je me sens pleine d'énergie alors que j'étais si épuisée quelques minutes auparavant ! ça y est, la tête arrive. Je hurle à n'en plus pouvoir ! (fidèle à moi même !) j'ai envie de pousser fort et vite et de « le-la » voir. H. et D. d'une même voix m'encouragent à aller tout doucement. H. me dit de toucher la tête. Je m'y « rue » dessus, alors que j'avais refusé pour E.. Et là, je la suis, j'arrive à ne pas pousser, à suivre son rythme, avec cette tête qui semble si grosse entre mes mains, qui glisse tout gentiment, tout « facilement » ( pourquoi ce mot là ? ? c'est tout sauf facile ! !) Deux ? trois poussées ? J'en sais rien, la tête est là. Alleluïa, j'en ai fini ! Euh ? quoi ? les épaules ? bon, on y va. Je la sens, H. l'aide à tourner, elle me dit « prends la, prends la » (je dis « la » mais elle a du dire « le ») et la voilà, ma perle de jaïs. Immédiatement, je regarde le sexe (pour E., je n'y ai pensé qu'au bout de 5 minutes au moins) et j'exulte « une fille! ! ! c'est une fille ! ! » et je peux alors l'accueillir. (Non je n'ai pas honte)
Mais au contraire d'E., elle n'ouvre pas les yeux, les mains bien ouvertes par dessus, elle ne les ouvrira qu'au bout d'un quart d'heure. C'est bien ma fille tiens ! peut pas faire comme tout le monde et regarder ses parents !
J'entends D. pleurer derrière moi, de ces mêmes pleurs que pour E., qui sortent malgré eux, malgré lui.
Je maudis ces cordons que je fabrique toujours trop courts pour pouvoir embrasser mes bébés, les mettre au creux de moi. Je suis
obligée de me plier et ce n'est pas aisé. Ô combien je voudrais qu'elle ouvre ses yeux ( j'avais tant aimé ce premier regard échangé avec E.) mais non. Sur le ton de la plaisanterie, je dis qu'elle doit penser : « non, non, pitié, pas eux, je ne veux pas les voir, je me suis plantée ! » (bon ça, c'est mon humour perso !)

H. me parle du placenta, ah non hein !, on va pas avoir mal encore ! mais le maudit placenta bien que décollé ne veut pas descendre. En fait c'est assez normal puisque je n'ai pas de contractions et que la miss après un premier cri bien sonore, dort.
Je propose à H. de me lever. Peut être cela amènera une contraction ? Non. Elle m'appuie tant et plus sur le ventre, je lui enlève la main, elle recommence un peu plus tard, D. demande si on ne peut pas attendre, elle convient que si. Moi aussi je le sais, mais j'ai vraiment envie/besoin que ma mère et E. viennent maintenant et difficile avec un placenta pas sorti qui peut arriver à tout moment.
Je n'arrive pas à pousser quand elle m'appuie sur le ventre, et pour cause, je ne sens aucune contraction ! Ah ! ça y est ! me revoilà avec cette douleur que j'en viendrais presque à souhaiter ! ça y est, victoire ! c'est fini ! Il est complet, je n'ai pas de déchirures, elle me fait encore un peu mal en vérifiant cela, je lui dis que je ne l'aime pas ce soir, qu'elle ne fait rien que de me torturer.

Bref, je me lève. Ah oui ! nette différence avec E. Pas de douleurs, uniquement le ventre qui tire. H. range tout, je me mets au lit, D. va chercher E. et ma mère. Ma mère ne vient pas, elle dit que c'est à E. seul d'être là, qu'elle viendra ensuite. Je l'aime ma mère. E. me fait un grand sourire, monte sur le lit, fait un bisou à A. (ma fille), m'en fait un, s'assoit contre moi, sourit encore. Je lui présente sa soeur en lui disant son prénom, il me fait « oui » de la tête en souriant encore. Je demande à D. d'aller chercher ma mère, elle ne dit pas grand chose ou en tous cas je ne m'en rappelle pas. Je vois dans ses yeux qu'elle est heureuse pour moi, elle sait combien je désirais cette fille.
E. soudain a un ennui, il vient de demander à voir le bébé « en entier » et il nous fait comprendre qu'il ne trouve absolument pas
normal qu'il n'ait pas de chaussures ! !

**********

Le bilan de cet accouchement est que ma première impression a été d'être empêchée de me mettre dans ma coquille mais à bientôt 48 heures de là je réalise que c'était moi qui oscillait entre le besoin d'être maternée, coachée littéralement et celui d'être seulement avec eux silencieux. Difficile pour eux de me suivre à chaque minute, il faut bien l'avouer.

S., maman de E. né le 31.03.01, A. née le 09.09.03