Le récit de la naissance à domicile d'Aël, vue
par Patrick, son papa
Suite au récit émouvant de Marion mon épouse, je
m'y lance moi aussi à conter ses heureux événements.
1ere Partie : Avant la naissance
Comme l'a dit Marion j'étais plutôt rétrograde quant
au rôle que j'envisageais de tenir pendant l'accouchement, un accouchement
que je n'imaginais d'ailleurs pas pouvoir se faire hors-cadre hospitalier.
A mon corps défendant, j'ignorais la pratique le l'AAD avant que
nous soyons concernés par l'actualité de cette première
naissance. Pour moi, l'accouchement était une histoire de femmes
que je trouvais fort respectable.
Je tenais donc l'accouchement à distance d'homme, faite de respect
mais aussi d'ignorance et d'indifférence mêlées, sentiments
confirmés (s'il fallait qu'ils le soient) par des a priori que
l'univers médical prend soin (c'est sa fonction !) de ne pas dissiper.
Bref, je ne désirais pas assister à l'accouchement dans
un cadre médicalisé où le futur papa n'est d'ailleurs
pas invité à s'impliquer outre mesure. Il est remarquable
d'ailleurs que ce soit l'homme qui prenne les photos de l'heureux événement
(ça pourrait être un autre membre de la famille ou une ou
un ami). Cela montre assez bien que l'homme reste derrière l'événement,
dans une distance choisie et confirmée par cette pratique rituelle
de la vie familiale. Tout cela je l'acceptais du haut de ma timidité
et je ne me rendais pas compte alors à quel point j'étais
en train de glisser sur la pente savonnée (médi-culeusement)
de la déresponsabilisation. Je concevais mon rôle de papa
en pointillé dans cette période de l'avant naissance. En
somme, j'étais loin d'imaginer le cheminement que j'allais devoir
faire quelques années plus tard. Cheminement qui m'a paru naturel
à partir du moment où nous fûmes informés par
d'heureuses sources apportées par le hasard (ou la nécessité,
question de point de vue) des rencontres. Je dois préciser que
l'entrée effective dans cette démarche d'AAD ne s'est pas
faite au quart de tour. Il m'aura fallu m'étonner d'abord du témoignage
d'une amie et de son compagnon (discret) ayant vécu l'AAD. Je trouvais
l'expérience courageuse, courage que je ne m'attribuais pas alors
pour imaginer que cela pût me concerner.
Cette amie, que nous rencontrions assez fréquemment piquait bien
sûr la curiosité et l'intérêt naturel de Marion
pour cette pratique. Le sujet est revenu maintes fois sur la table et
j'ai dû un moment me positionner, je commençais à
évoluer du non au pourquoi pas, d'autant plus que je sentais Marion
très intéressée par cette aventure humaine (vous
avez remarqué je ne dis plus de femmes). Mais c'est seulement à
partir du moment où s'est confirmée la conception de Aël
(dans le ciel intérieur de nos vies de futurs parents) quelques
mois plus tard que je me suis senti convoqué secrètement
à vivre cette forte aventure de l'AAD, à devoir m'y risquer,
sortir de moi-même et de mes a priori.
(Je tiens à rajouter après relecture, là je sors
du récit, que la liberté se
construit par nos décisions conscientes. Je l'ai réappris
à l'occasion de ce
cheminement vers l'AAD, ce n'est pas rien, car la préparation de
la naissance
m'a donné l'occasion de re-naître. Une confiance aveugle
et une
soumission au système médical qui tend à prendre
des décisions à notre place
nous déresponsabilisent de façon sournoise. Prendre soi-même
des décisions
et risquer (se réapproprier, assumer) nos choix c'est se relier
à notre
liberté. Cette liberté souvent volée aux futurs parents.
Une vie sans risque
est une vie aliénée, rabougrie, le risque, donc la décision
ouvre la vie
vers des horizons de liberté et de joie. N'est-ce pas là
l'enjeu principal
de la vie, la risquer pour l'accroître toujours plus en acceptant
de ne pas
en être le maître, mais l'humble serviteur. Fin de parenthèse).
Mais je n'étais pas encore sûr de la trajectoire que nous
allions prendre. Par réserve, autant que par prudence je me suis
informé (de manière informelle mais sure) sur les risques
de l'AAD et plus j'avançais sur le terrain du médical, et
plus je constatais que les risques n'étaient pas plus grands que
ceux existant en milieu médicalisé. Sur le terrain humain
j'étais davantage convaincu que cette expérience valait
la peine d'être vécue, qu'il ne fallait pas que je me défile.
J'ai donc dû me bousculer puisque sur les deux plans, tant humain
que médical, la solution coulait de source. Et puis comment dire,
au fil des mois de la grossesse de Marion, j'étais moi aussi gros
de potentialités encore inexprimées, je sentais qu'en moi
grandissais le papa responsable qui continue encore aujourd'hui de grandir.
Ce papa c'était moi aussi, une part de moi-même que je ne
connaissais pas. Et cette part c'est Aël qui me l'offrait dans le
silence de sa vie secrète mais déterminée. Et là
tout a commencé à changer, mes idées, mes rôles,
mes sentiments sur la naissance. J'étais chaque jour davantage
bouleversé par le pouvoir générateur et rénovant
du petit être qui grandissait en sommeil. Aël m'appelait par
sa seule présence à laisser croître en moi la confiance
primitive en la vie, elle qui en savait tant déjà, par sa
proximité, par son incrustation active à ce mystère
de la vie. Elle m'a énormément aidé et fait grandir
en humanité, simplement. C'est le plus beau cadeau que j'ai reçu
je crois depuis l'enfance. Ce cadeau de l'enfant à peine esquissé
dans la chair de sa mère m'offrant dans ses petits doigts toute
la profondeur de son humanité, toute la beauté de la vie,
toute sa confiance et son désir de vivre ici-bas. Cette conjonction
de la vulnérabilité même et de puissance de vie et
de désir réunies en cet être si petit, inachevé
mais déjà entier, ne m'a plus fait douter de la trajectoire
qui nous restait à parcourir ensemble et qui allait nous conduire
jusqu'à. l'AAD.
Je décidais donc d'offrir à Aël le meilleur que moi,
futur papa, je pouvais lui offrir, elle qui déjà m'avait
tant donné. Nous primes (Marion et moi) la décision de quitter
Toulouse pour accueillir Aël en terre bretonne, la terre de mes ancêtres,
la terre que je voulais lui offrir. La terre où ma foi en la Force
qui fait abonder la vie a germé il y a quelques années de
cela. Ce retour en Bretagne s'est donc imposé. D'une part ma terre
me manquait depuis que nous l'avions quittée en 1999 pour voyager
à l'étranger. D'autre part - c'est inconsciemment déterminant
et plus fort que tout - ma fille devait naître là et pas
ailleurs. Voyez comme les bretons sont non pas têtus (sans quoi
je n'aurai jamais cheminé vers l'AAD que je n'envisageais pas du
tout au début) mais déterminés. J'ai donc tout fait
pour que ce beau rêve prenne chair. Aujourd'hui je suis fier, Aël
est née en Bretagne dans une magnifique demeure du XVIe siècle.
Grâce à Dieu (les rencontres), à Marion, à
Aël et bien que je m'étonne encore de la façon dont
tout cela a pu advenir.
2e Partie : La naissance
La naissance était prévue officiellement le 24 août.
Ça tombait bien puisque la veille il y avait une pleine Lune à
00h30 exactement. J'étais donc dans une excitation à l'idée
que ça approchait sérieusement. Mais à minuit rien,
nous étions chez nos voisins et fatigués nous rentrâmes
à la maison. Je crois que Marion commençait à sentir
la tempête venir. Et c'est vers 2h00 que la première houle,
légère s'est installée. Marion a pratiquement pas
dormi, (moi non plus, j'avais un peu trop bu ce soir là, ah les
bretons !) je l'entendais souffler de temps en temps comme pour accompagner
ces vagues qui devenaient de plus en plus grosses. jusqu'au lendemain
où vers 20h00, la houle est devenue plus agitée, plus dense,
la mer changeait de régime, les contractions se rapprochaient à
intervalles réguliers et rapprochés. Marion désirait
appeler J. la SF, qui devait faire de la route pour venir jusqu'à
chez nous. Nous avons un peu attendu, que les signes du travail se confirment.
Puis ce doit être vers 20h30 que Marion a appelé J. J'avais
également envie qu'elle soit là, avant la nuit. Je me disait
que ça serait également mieux pour elle d'être là
pour la veillée.
J'étais très calme, confiant. Nous avons discuté,
moi et J. dans le salon pendant un long moment, nous parlions de la naissance,
de la vie, de l'art, de la religion, de la méditation, de la grâce,
de la mort. Marion était dans notre chambre, elle prenait bien
la houle qui grossissait de plus en plus, et n'avait pas besoin de notre
présence.
Puis la tempête est arrivée, Marion a appelé J., je
savais que maintenant ça y était, il nous fallait affronter
les éléments, nous étions en plein milieu de l'océan,
nous ne pouvions plus faire marche arrière !
Je me suis occupé toute la nuit à faire chauffer l'eau pour
les compresses réconfortantes que Marion nous demandait à
chaque contraction. Elle tendait la main, (cette main tendue, qui demandait
un réconfort avait quelque chose d'éternel), pas de paroles,
parfois je sentais un agacement, un énervement dans cette main
obstinée. Je crois même avoir compté un moment le
nombre de compresses chaudes qui se relaieraient cette nuit là,
histoire de me rassurer, de m'accrocher à quelques repères
habituels. Ces repères mentaux que les hommes aiment s'inventer
lorsqu'ils rencontrent sur leur route l'intensité indomptable de
la vie. La vie, ses soubresauts, ses drôles de cabrioles, ses exploits
effrayants, elle était là la vie, pas de doute. D'ailleurs
c'est simple, je pensais à la mort, tout le temps, à la
tristesse infinie de perdre Marion, de perdre Aël. La mort était
tellement là qu'elle m'assurait dans le même temps que la
vie était en train de se frayer un nouveau chemin. La mort, ce
sillon que laisse la vie dans l'âme quand elle advient dans l'enfantement.
C'est peut-être ça le travail, cette douleur que fait la
vie, qui aide la vie à sortir de la mort. Nous avions parlé
de la mort avec J., mais maintenant ce n'était plus une idée,
c'était là, en plein coeur de la vie, une nouvelle vie se
frayait un chemin périlleux, et moi j'étais saisi de cette
crainte de tout perdre, c'est pour ça que je m'absentais pour me
recueillir dans l'autre pièce, pour me refaire un espoir, une espérance
plus joyeuse, pour moi aussi m'y retrouver dans cette tempête qui
bousculait tout et mettait tout en désordre, dans la chair, celle
de Marion, et dans mon âme.
J'ai beaucoup prié ce soir là, tranquillement au bord du
lit, malgré les cris de douleur de Marion. C'est vrai nous étions
tous très beaux, J. était là dans sa bienveillance
éternelle, comme une icône byzantine, dorée par la
lumière vacillante des bougies qui caressait sa douce silhouette.
De Marion, une beauté insoupçonnée transfigurait
son visage à chaque nouvelle contraction. Oui, elle était
éclairée, ce n'était pas la lumière des bougies,
mais ça venait de l'intérieur. Une femme qui donne la vie,
est pleine de lumière. C'est pour ça Marion, que nous étions
si beaux autour de toi, nous étions éclairés par
cette lumière qui en toi cherchait le chemin de la délivrance.
Moi je ne savais pas toutes ces choses sur le moment, j'étais bien
trop occupé par de drôles de pensées, ou pas de pensées
du tout. Je ne sais plus. Mais la lumière que dégageait
ton visage, je ne l'ai pas inventé. J. le savait, et comment aurait-elle
pu me le dire si je lui avait demandé. J'étais bien trop
éloigné de cette lumière. Mais les sage-femmes, et
celle-là en particulier savait beaucoup plus de choses que moi
sur la vie et la mort ce soir là.
Et puis, il y a eu ce moment magnifique, Marion pleurait de joie, un petit
cri avait retenti dans la pénombre, un être, un nouvel être
était là, posé sur ses genoux, appuyé contre
son ventre. Elles se sont regardées, c'était intense, ça
pleurait, ça riait, la vie était en fête, je ne sais
plus où j'étais, je retenais mes larmes, y'en avait trop,
un torrent, une mer à boire, une mer de bonheur à offrir
au monde ; la mer belle, apaisée et rieuse était derrière
nos yeux, la tempête avait cédé et c'est une nouvelle
vie qu'elle nous offrait.
Post-Scriptum :
Dans la première partie de l'avant naissance je disais :
« Pour moi, l'accouchement était une histoire de femmes que
je trouvais fort respectable. Je tenais donc l'accouchement à distance
d'homme, faite de respect mais aussi d'ignorance et d'indifférence
mêlées ». Aujourd'hui, enrichi de l'expérience
de l'AAD, je peux reprendre et assumer d'une autre manière mon
point de vue sur «l'accouchement histoire de femmes », vu
que je ne suis plus dans l'ignorance de cette expérience. Oui je
le pense et l'affirme à nouveau, l'accouchement est une histoire
de femmes, et dans cette histoire, la notre, je fus un peu comme le gardien
du phare dans la tempête.
Puis-je dire pour autant que la mer est une histoire de gardien de phare,
je respecte infiniment la mer et ses ouvriers pour ne pas confondre marins
et gardiens de la mer. Et pour clore ce récit je terminerai par
cette pensée de Platon en hommage rendu à J. Marion et Aël
:
« Il y a trois sortes d'hommes : les vivants, les morts et ceux
qui vont sur la mer ».
Patrick
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