Le récit de la naissance à domicile d'Aël, vue par Marion, sa maman

Le 20 octobre 2002
Comment vous faire partager l'arrivée d'Aël. Plus que des mots ce sont des images qui me traversent, tâches indélébiles de ce merveilleux parcours. Avant le jour J, bref retour en arrière sur ma grossesse et notre cheminement en couple. Petite présentation rapide, j'ai 32 ans et Patrick 39, et c'est notre premier enfant.
Il y a 2 ans j'ai rencontré une fille qui avait accouché à la maison. Son histoire m'avait enchantée, je ne savais pas que cela était possible. Enfin cela m'a enchanté dans l'idée , comme quelque chose de merveilleux mais pas fait pour moi ! Lorsque j'ai appris que j'étais enceinte, 1 an et demi plus tard j'ai vaguement émis l'idée d'un AAD à Patrick, comme quelque chose qu'on lance en l'air. Sa réaction comme il a expliqué dans un mail fût plutôt niet ! D'ailleurs il n'était pas question non plus qu'il assiste à l'accouchement, il attendrait patiemment dans le couloir !!! Alors je me retrouverais seule avec tous ces inconnus, bouh !! Mon manque de confiance en moi et d'arguments auraient pu me faire baisser les bras. Ne sachant pas que je pouvais être suivie par une SF pour ma grossesse j'ai pris rendez-vous avec un gynécologue. Je ne les porte pas spécialement dans mon cœur (enfin ceux que j'ai rencontré jusqu'à maintenant), mais il fallait bien faire la déclaration de grossesse. Le gynéco. m'a fait venir 2 fois (j'ai annulé le 3e rendez-vous) en 2 mois alors que ma grossesse ne présentait aucun risque. J'attendais 2h00 avant d'être reçue 15 minutes montre en main. J'avais même pas le temps de refaire mes lacets que j'étais déjà dans le couloir. J'étais tellement bousculée que j'en oubliais mes questions, mes nombreuses questions pour une première grossesse. A chaque visite j'avais droit à une écho vaginale qui ensuite me procurait des brûlures pour le reste de la journée. Le charmant monsieur me pinçait vigoureusement le bout des seins en me demandant si j'avais mal, bien sûr qu'il me faisait mal la brute ! A la deuxième visite Patrick est venu avec moi. Je sais Patrick sensible et c'était la première fois que nous allions chez un gynéco ensemble. J'ai alors demandé à être couverte pour l'examen. Le charmant monsieur (toujours lui) a répondu qu'il en verrait d'autre et n'a pas respecté ma demande. C'était peut-être moi qui était mal à l'aise toutes jambes écartées sur cette table froide auscultée par un homme ? A la suite de cette 2e visite il nous a fixé un 3e rendez-vous. 3 rendez-vous en 3 mois pour une grossesse sans risque, on se demande d'où vient le trou de la sécu ! Là, j'ai dit STOP, c'est TROP. J'ai écouté la petite voix qui disait, stop, change, fuit, va ailleurs. J'ai alors contacté la SF de l'amie qui m'avait parlé de son accouchement à domicile. Le contraste a été plus que flagrant, écoute, respect, bienveillance, calme, sérénité, bien-être. Nous restions 1 heure, pas de table froide avec étriers mais un lit avec pleins de coussins… ambiance relaxante et apaisante… le bonheur. Pas d'échos à répétition et toujours le sourire... Je me rappelle encore de l'écho du 5e mois (la seule que j'ai faite avant l'accouchement), Patrick installé sur le lit et moi tout contre lui entre ses jambes, à demi allongée, admirant les premières images du BB, ses petits pieds, ses petites oreilles !!! A partir de cette rencontre, ma grossesse a pris un tout autre visage et moi aussi, shootée aux hormones et écoutée par des personnes humaines (oui ça existe mais en voie de disparition !!) je rayonnais et surtout j'étais en confiance, apaisée, en harmonie avec cette petite vie qui se faisait en moi… Avec cette SF nous avons commencé à parler de l'AAD, Patrick a pu poser ses questions d'homme et de futur papa soucieux et moi à prendre confiance. En parallèle nous rencontrions un médecin généraliste 'haptonome' et pratiquant des AAD (c'est rare non !) Nous l'avons rencontré tous les mois à partir du 4e. A chaque rencontre quel bonheur, quel élan de vie. Il nous a toujours encouragés vers l'AAD. Patrick souhaitant que son enfant naisse en Bretagne, nous avions prévu de déménager vers la Bretagne 2 mois avant le terme. Et je ne trouvais pas de SF pratiquant l'AAD. J'ai cherché pendant 4 mois.
Dans mes recherches j'avais vaguement ouï dire qu'une SF de Paris allait déménager vers Saint-Nazaire au printemps. J'avais juste l'info, mais pas de nom ni de tél. A la fin du 7e mois de grossesse nous avons déménagé en Bretagne (Nord de Vannes). J'avais fini par dégoter cette fameuse et mystérieuse SF. Pendant mes recherches j'ai baissé les bras à plusieurs reprises. J'avais abandonné l'idée d'un AAD car je pensais qu'1h00 de route c'était trop loin. Heureusement que le médecin généraliste m'a toujours encouragé à continuer en m'assurant qu'1h00 c'était rien et même 1h30. Aujourd'hui je connais tout le réseau des SF en Bretagne et les différentes possibilités pour accoucher (AAD, Accompagnement global, maternité avec salle sauvage !).
Revenons à notre fameuse et mystérieuse SF qui déménageait sur Saint-Nazaire mais qui en fait est installée à Nantes… bref. Nous l'avons rencontré je crois 3 fois avant l'accouchement. Par ailleurs elle est bien connectée et je pouvais à souhait lui poser toute mes questions par mail. Pas évident de changer de SF en cours de chemin. Reconstruire une relation, forcément différente. Ce qui m'a de suite interpellé et plu avec cette nouvelle SF c'est qu'elle me renvoyait toujours à moi et à mon ressenti, ces petites phrases " et toi qu'en penses-tu ? que ferais-tu ? Tout est en toi. Ecoutes simplement. C'est toi qui va mettre l'enfant au monde, pas moi. " A la vache !!! Ca vous remet au centre des choses.
C'est vrai, c'est moi qui accouche… connecte-toi Marion, connecte-toi…
La relation s'est rapidement organisée et c'est tranquillement que nous avons attendu le jour J.
Aël est née le 24 août à terme, c'est peut-être la seule chose que le gynéco avait vu juste avec toute sa technique. Mais après tout on s'en fout, elle serait arrivée le 21 ou le 28 c'était du pareil au même.

Pour le jour J il faudra attendre quelques semaines que je le ponde !! En tout cas depuis l'accouchement je me dis que j'ai de la chance d'avoir pu vivre cet événement à la maison. Quand les copines me racontaient leur accouchement, il se passait toujours quelque chose. Heureusement que les médecins étaient là. Je n'ai jamais entendu un récit d'accouchement sans épisio, de forceps, ou autres manip. dans ce genre.
Après relecture de ce premier récit je me dis que je me suis démenée le haricot pour accueillir cet enfant. Alors est-ce de la chance !!

En tout cas la chance c'est toutes ces rencontres merveilleuses qui ont jalonnées mon parcours (sauf le faux pas au démarrage :-(() ). La chance c'est que ces personnes soient là, existent, pour nous permettre de vivre humainement ces moments si intenses et …


Le 22 octobre 2002
…continuons vers le jour J. Il faut dire que j'étais particulièrement en forme. J'avais pris 10 kg. Pas de rétention. Et je faisais une heure de marche tous les jours. J'étais bien, shootée aux hormones, au soleil breton (si, si) et à l'air iodé. Prête pour le marathon ou plutôt pour affronter la tempête bretonne qui pointait son nez. Le 23 août au soir nous étions chez les voisins du dessous. On habite une vielle bâtisse du 16e (un manoir) rénovée en 2 T3 en pleine campagne au nord de Vannes. C'est important les vieilles pierres, elles en voient des choses au fil du temps. En bas, au dessus de la porte d'entrée il y a une niche taillée dans la pierre. Dans cette niche une petite statuette, un petit ange vous accueille dans cette charmante demeure.
Donc nous étions chez les voisins. Bolées de cidre, petite liqueur maison à la pomme…un chouia sur un p'tit sucre !! Bref, Patrick avait regardé l'heure de la pleine lune 2h35 (en gros) le 23. Minuit toujours chez les voisins et toujours aucun signe. Vers 2h00, nous avons regardé la pleine lune dans le beau ciel étoilé (oui oui, un ciel sans nuage) et nous sommes remontés chez nous aux sons des crapauds. Je me suis allongée et là j'ai senti quelque chose, une sensation différente. Les contractions ont commencé doucement toutes les ½ heures, alors pas d'affolage. Je me suis endormie entre 2 et j'ai attendu le petit matin. Elles revenaient tranquilles toutes les ½ heures. Après le petit déjeuner (c'est sacré pour moi), j'ai appelé J. (la fameuse SF qui devait déménager…) juste pour l'informer que voilà, il se passait quelque chose. Toute la journée s'est déroulée au rythme des contractions. Je suis allée marcher dans l'après-midi, seule, autour de la maison, quand la contraction arrivait je me mettais accroupie et je respirais au grand air. Les champs sentaient le blé, le blé et la terre, la récolte a été tardive cette année. Durant les deux derniers mois j'ai eu des envies de terre (pas courant), je mettais les mains dans la terre humide et puis mon nez, hum. J'avais cette odeur jusqu'au fond de la gorge, miam !
Vers 18-19h les contractions étaient à 5 minutes, j'attendais encore pour être sûre de la régularité. Et puis vers 20h j'ai appelé J. pour lui parler de mes contractions et lui dire que j'aimerais bien qu'elle arrive avant la nuit (oui parce qu'il y a du brouillard en campagne et…) Elle est arrivée vers 22h00, tranquille, comme dans la maison. Je déambulais entre la chambre et le salon, et m'accroupissais contre le mur lors des contractions. A partir d'un moment, je ne sais quand, quelle heure, le vent s'est levé un peu plus fort. Patrick avait allumé deux bougies dans la chambre. L'eau chauffait. Les compresses allaient commencer leur ballet nocturne. Pendant un certain temps Patrick m'a assisté dans la chambre, J. était dans le salon, présente à distance. J'étais tantôt contre le mur tantôt sur le lit, sur le côté. Avec le vent, les vagues ont forci, alors j'ai demandé à Patrick d'aller chercher J. Et nous voilà tous les trois. Maintenant la tempête est là, c'est le désordre. Je suis ballottée d'une contraction à l'autre, et je retiens mon souffle. J. m'incite à laisser sortir ce qui vient. Alors les cris dans la tempête, les quarantièmes rugissant. Avec les cris je me sens mieux, je me relâche, tout en ayant une pensée pour les voisins. Je crois que je suis sur le lit à genoux quand le bouchon muqueux sort. Dans ma tête toujours connectée je me dis tiens ça avance bien !!! Je suis sur le lit et face à moi deux visages, bienveillant, deux visages ballottés par les vagues des bougies. Deux apparitions, mystérieuse présence, calme. Comment peuvent-ils être aussi calmes et aussi beaux devant cette tempête qui rugit ? Oui ils sont beaux à me regarder me déchaîner.

[ils sont mon âne et mon bœuf. Le regard tendre de l'âne et le calme du bœuf bienveillant. Leur souffle et leur chaleur. L'âne et le bœuf de la Marie. Je suis pas grenouille de bénitier mais j'avais lu " L'amour scientifié " d'Odent et avais été très touchée par le passage sur la naissance du Christ dans l'étable. J'imaginais bien Marie, seule, avec l'âne et le bœuf. Ces animaux nous parlent l'un avec ses oreilles l'autre avec son souffle, mais nous ne les écoutons plus. J'avais même dit à Patrick que J. et lui seraient mon âne et mon bœuf. Ça me faisait rire !]

Puis il y a des pleurs, des rires aussi. Tout est mélangé. Au plus fort de la tempête, je suis perdue. Plus de sensation. J'y arrive pas. Ou il est ce BB. Ça appuie mais ça n'avance pas. J'avoue que ce moment là fût une période de doute, de vide, de je ne sais pas quoi… (qui à la maternité aurait pu justifier n'importe quoi. Parce qu'à ce moment là on m'aurait dit n'importe quoi et ben j'étais bien en peine de refuser.) J. et Patrick se relaient pour me suspendre et m'aider à visualiser le sens de la sortie. Mais bon ! Pas plus pas moins, je prends toutes les vagues dans la figure et je roule, bois la tasse. Heureusement que J. me fait bien sentir le repos. Entre deux vagues je profite, c'est bon, je respire, ah ! que c'est bon entre deux vagues. Il me semble que j'avais du temps ou que j'en profitais bien. A un moment, lorsque ça n'avançait pas, y'a un truc qui gicle, avec du bruit, la poche des eaux (je crois). Et ben ça m'a fait peur, ce truc, je crois que j'ai sursauté ! Puis Patrick a disparu, usé par la tempête des 40eme. Il n'est pas loin dans la chambre d'à côté, sur le lit, une fine cloison nous sépare. J. pour me guider me fait un massage du périnée (enfin je crois que c'est ça), je lui dis que cela me fait du bien, elle me répond : " c'est bien la première fois qu'on me dit ça ! ". Elle écoute le BB avec son appareil. Il est calme. Elle met une pommade à la place du gel et ça marche plus, d'ailleurs elle râle après elle, c'est bien la première fois que je l'entends râler. Alors elle me sort le truc en bois, j'ai adoré. Elle m'aide à me lever, on marche jusqu'aux toilettes plusieurs fois. Je me dis, tiens j'arrive encore à marcher après toutes ces tasses. Je lui demande 'dis, je vais y arriver hein !', elle me répond 'mais bien sur que tu vas y arriver, et pourquoi tu n'y arriverais pas'. Dans ces instants tout est flou, comme quand on regarde à travers une vitre il qu'il pleut dehors (surtout à l'automne), on voit des formes, on entend à peine et on est là mais pas là.
Je suis accroupie contre le mur, je crois et J. m'invite à toucher. A toucher quoi. Vas-y. Et là je découvre avec mes doigts les cheveux du BB, il est là tout prêt. Oh lala, j'hallucine. D'ailleurs je me rappelle avoir écarquillé les yeux comme jamais. Quelle surprise ! Des cheveux, un BB. Oui Marion je te rappelle que tu es là pour mettre un BB au monde. Oui, oui c'est vrai, je perds la tête. J'y crois pas. Enfin si mais quand même, c'est pas croyable. Et puis je vois l'heure 6h00 fichtre. J. demande à Patrick d'ouvrir les volets. Le jour se lève. L'air frais redonne une respiration à la pièce. Et me voilà repartie. La tempête est toujours aussi forte mais c'est plus pareil. J'ai conscience des vagues. Je commence à les surfer. Pour la petite histoire je suis originaire des Landes, et tous les étés je m'amusais à prendre les vagues avec ou sans planche. Oui me voilà dans l'enfance. Je m'applique à prendre chaque vague. Pas trop tôt autrement ce sera trop mou. Pas trop tard autrement tu vas au bouillon. Oh là celle là elle est bonne jusqu'au rivage. Celle là aussi, oh non trop sur la vague je pique la tête la première dans le sable, rouler-bouler !! Entre chaque vague on respire, on reprend son calme et on attend tranquille. Et ça repart. J'avoue qu'à partir de là, toujours en hurlant, mais c'était plus pareil, j'étais en route. Bon on peut pas surfer indéfiniment même en pleine forme. A un moment une belle vague, celle là elle est belle, j'y vais je bats des bras, des pieds, aller, aller, il arrive, il sort, il sort. Patrick vient vite. Il est où ce Patrick. La vague était tellement belle que le BB est sorti tout entier, même pas un petit temps en suspension entre terre et ciel. Je ne sais toujours pas comment, je crois que je l'ai attrapé. J'étais à genoux. Patrick est arrivé, le BB a fait ouin, ouin (9h15 relevait par J., elle a l'œil), blotti contre mon ventre sous une serviette, ses yeux dans mes yeux. J'ai plongé dans son regard. La tempête s'est calmée. Et je pleurais de joie, de j'en reviens pas, il est là. Au bout d'un certain temps, car le temps s'était dilué avec la fin de la tempête. 'Dit Patrick, on regarde. On regarde quoi ? Ben ce que c'est, un p'tit gars ou une petite fille. Oh, dis-donc c'est une fille (tout le monde m'avait annoncé un garçon !!). Oh, Oh, Oh !!! une fille. Alors Patrick comment on l'appelle. On n'était pas d'accord pour le prénom de la fille, trois prénoms restaient en liste. Alors j'avais dis à Patrick de choisir (puisque moi je porte l'enfant toi tu le nommes). Patrick avait décidé de voir l'enfant avant de lui donner un prénom. Alors il a choisi Aël, en breton cela veut dire ange et avec notre nom Le Guen, c'est Ange blanc. Et cette nuit là je vous prie de croire qu'il y en avait des anges…et de toutes les couleurs.

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PS : Pour toutes les personnes qui liront ces lignes, sages-femmes, sages-hommes, médecins, ou jeunes couples, mamans et papas, enfants, ados, répandez-les, faites-les partager. J'ai pris un réel plaisir à les écrire, elles sont mon histoire mais aussi l'histoire de chacun de nous.