Histoire d'un accouchement à domicile inopiné mais merveilleux

Voilà 9 mois, je découvre que je suis enceinte de mon deuxième enfant. Quelques mois mêlés de bonheur, de joies, (de nausées pour quelques semaines) et d'envies se profilent à l'horizon. Chléo a 11 mois à peine et est toujours allaitée.
Cette grossesse débutante me permet de repenser à cette période où j'ai attendu Chléo et à ce premier accouchement. Suivi à l'hôpital, RV en retard et impression d'être soit malade, soit un utérus (susceptible d'être pathologique) sur pattes… Le tout clôt par un accouchement médicalisé, avec épisiotomie, ocytocine et péridurale sans avoir été prévenue, difficultés de mise en route de l'allaitement (mise en place brutale de ma fille au sein près de 3h après sa naissance et un mois pour qu'elle puisse enfin prendre seule le sein…)

Cette fois-ci, je ne veux plus de cela. J'ai entendu parlé d'un sage-femme libéral sur Lyon qui pratique les accouchements à domicile. Les échos que j'ai eus par une maman qui a été suivi par lui me ravissent. Je m'empresse de l'appeler pour prendre RV.

La prise en charge qu'il propose correspond immédiatement à ce que je souhaite: une approche globale de la maman, un grand respect de la physiologie, une grande confiance en la mère et en l'enfant à naître… Oui, je veux que ce soit lui qui me suive. Le seul hic: le rêve d'AAD que j'avais forgé depuis quelques mois s'écroule brutalement à cause de problèmes de coagulation. Par mesure de sécurité on décide que j'accoucherai avec lui (et seulement lui… et mon mari, bien sûr) à la maternité dans laquelle il a accès au plateau technique, et que je rentrerai vite à la maison où il viendra me suivre en suites de couches…. Mais les choses ne vont pas du tout se passer comme prévu…


Lundi 3 janvier 2005...

Je suis à 37 semaines ½ de grossesse. Bébé 2 est prévu pour la fin du mois.

Cela fait 2/3 jours que j'ai l'impression d'un poids bizarre sur le rectum... Pas agréable... bébé 2 doit descendre petit à petit. Mais là, depuis le début d'après midi, la sensation est plus forte. En début d'après midi, quelques contractions anarchiques, peu douloureuses... Probablement un faux travail. Je papote avec des mamans de la lactaliste, je m'occupe de Chléo (Sylvain est au bureau)... Les heures passent, les contractions se font un peu plus sentir... Je suis à 37 semaines + 3 jours... normalement, j'ai encore le temps. Je passe une bonne partie de la fin de l'après midi à regarder l'horloge, espérant voir 19h arriver avec Sylvain. Je voudrais me plonger dans un bain chaud, plein de mousse et un peu de musique, mais seule. Or, je ne peux laisser Chléo seule aussi longtemps dans la salle, ni la prendre dans le bain avec moi si j'ai des contractions.
Vers 18h, les douleurs deviennent plus importantes mais gérables et le fait de changer de position, de me lever pour aller chercher quelque chose, de jouer un peu avec Chléo, de me mouvoir simplement... rapproche les contractions de façon totalement anarchique. Je n'ai qu'une hâte: que Sylvain rentre pour que je puisse aller prendre ce bain chaud dont je rêve depuis des heures. J'essaie de m'allonger, mais les contractions se font plus douloureuses et difficilement gérables dans cette position… Ca me rappelle les douleurs des contractions quand j'étais à l'hôpital pour Chléo, allongée avec une perfusion dans le bras, sans possibilité de me mouvoir. J'abandonne rapidement cette position, vraiment pas adaptée pour vivre mes contractions.

19h, Sylvain rentre les bras chargés des courses. Je lui saute dessus: qu'il se débrouille avec les courses et Chléo, désolée, mais j'ai mal, il faut que j'aille prendre un bain pour arrêter le travail (si c'est un faux travail...). Dans le 1/4 d'heure qui suit, il m'apporte un spasfon... Je ressors de la baignoire à 20h... les contractions sont moins gênantes, moins douloureuses, mais elles se sont régularisées à 5 min.... Et dire que ma valise n'est pas prête pour la maternité... J'ai encore 3 semaines devant moi, non???

20h-22h15: je prépare les valises (on ne sait jamais, hein...). Je m'inquiète un peu parce qu'il me manque plein de choses, je perds la liste des choses à apporter à la maternité, et les contractions sont toujours présentes. Elles se régularisent quand je ne m'active pas, mais dès que je bouge un peu, elles se rapprochent... Je me ballade à travers l'appart à la recherche de ce qui doit aller dans ma valise, mais un phénomène paranormal se passe dans ma chambre: à chaque fois que je mets des choses dans la valise, je les retrouve 5 min plus tard dans le salon (Chléo semble ne pas être totalement innocente...). Les contractions sont régulières mais pas trop douloureuses. Je m'arrête quand même quand elles arrivent. J'ai bien retenu le lâcher-prise, la respiration, l'acceptation et le plongeon dans la douleur. Tout cela rend les choses beaucoup plus aisées à gérer. Ces contractions deviennent presque agréables, parce que je sens qu'elles sont là pour aider mon enfant… Mon corps travaille seul mais mon cœur le suit.
Et puis apparaît peu à peu cette impression d'être ouverte... Une sensation de frais au bas du ventre… étrange.

A 21h, nous appelons Bernadette pour lui dire que c'est peut-être pour ce soir, qu'on les tient au courant de l'heure à laquelle on leur amènera Chléo.

22h15: Nous appelons Cyrille, notre Sage Femme. 5 minutes de discussion... Il est "trop tôt" pour accoucher…Il me conseille un nouveau bain et 2 spasfons. Je dois le rappeler dans 2 heures si rien n'a changé.

22h30-23h30... Retour dans la baignoire (sans mousse… j'en avais oublié cette envie). Chléo court toujours dans l'appart en vidant ma valise. Rien n'y fait, les contractions se rapprochent et deviennent plus douloureuses, mais je gère (je m'admire, j'avoue!!!). Je verse de l'eau sur mon ventre à chaque contraction, et cette nouvelle sensation m'aide à supporter la douleur. Je lis tranquillement "Une naissance heureuse" et je sens que celle-ci le sera…Au bout d'une heure de bain, les choses continuent à évoluer. Les contractions sont régulières, douloureuses mais pas insupportables… Je plonge dans chacune d'entre elles, ma respiration les accompagnant. Les yeux fermés, je vois cet enfant qui arrive, bercé, poussé par mon corps.

23h30: Je me pose dans le salon après avoir endormi Chléo au sein. La télévision est allumée, la lumière est tamisée, il fait bon. A genoux, devant la table basse. Chaque contraction me fait prendre appui sur cette table. Je ne supporte pas d'appuyer mes fesses sur quoi que ce soit; toujours cette impression bizarre d'être de plus en plus ouverte. Je sens cette pression sur le rectum qui s'accentue. Les contractions se font plus douloureuses. Je souffle, je vais au contact de ces douleurs qui signent la descente de mon enfant. Je vais accoucher cette nuit, je le sens, là, au plus profond de moi…


Mardi 4 janvier

00h30, nous rappelons Cyrille (qui était en train de s'endormir paisiblement chez lui...) et nous lui expliquons que les choses avancent... Il décide de venir, afin de décider si on part à la maternité maintenant ou plus tard.

1h10, Cyrille arrive, je suis en pleine contraction. Je l'entends à peine entrer dans l'appartement. Quand la contraction est passée, je m'allonge sur le canapé afin qu'il puisse m'examiner. Je le préviens: il a 2 min avant que la prochaine contraction n'arrive. Verdict: je suis à 8 cm!!!! Je suis bluffée! Déjà! Moi qui pensais souffrir encore des heures!!! La première pensée qui me vient à l'esprit c'est "je vais accoucher ici…" Et j'en suis contente!!! Il appelle la maternité pour savoir s'ils ont des salles... On me propose d'accoucher dans l'eau… peu importe… tant que j'accouche quelque part ailleurs que dans la voiture!!!
Mais il faut qu'on parte rapidement à la maternité… Celle-ci est quand même à 25 min de chez nous.

Sylvain rappelle Bernadette pour qu'ils viennent chercher Chléo, parce qu'on n'a pas le temps de passer la déposer. Le temps qu'ils arrivent, 10 min passent. Je me lève entre 2 contractions pour mettre un pantalon, un pull... Bernadette arrive, Sylvain prend Chléo qui dormait paisiblement dans notre lit, et descend avec elle. Je reviens de la chambre... une nouvelle contraction.

1h30: Cette dernière contraction est douloureuse, à la limite insupportable. Je m'appuie contre le mur du couloir, au dessus des chaussures (hihihi), je me centre sur la douleur, la respiration, je fais tout ce qui m'a aidé depuis les premières contractions, mais là, ça ne marche plus. Ca pousse très fort, brutalement, longtemps, trop longtemps… La contraction ne passe pas. J'ai l'impression de mourir. Je suis au bord des larmes, je geins... je n'en peux plus, je n'arrive pas à gérer cette contraction. J'essaie de me recentrer, de me "détendre", je laisse la poussée se faire, mais j'ai mal. Soudain, rupture de la poche des eaux... Je sens ce liquide chaud, signe de vie, qui me coule entre les jambes. Ca continu à pousser, je sens que mes jambes me lâchent peu à peu. Depuis le salon, Cyrille me demande si ça pousse… C'est lors de ces quelques secondes que j'ai vraiment découvert ce que voulais dire "poussée". Je sens que le bébé glisse dans mon bassin. Je sens quelque chose juste entre mes jambes… Sa tête serait-elle déjà là?
Sylvain n'est pas encore remonté, je suis trempée, je m'écroule doucement sur le sol. La contraction passe enfin mais je suis épuisée, j'ai chaud (j'ai passé la soirée en tee-shirt/culotte, et là, je porte en plus un bon pull et un pantalon parce qu'il fait froid dehors.). Cyrille est là, à côté de moi, il me soutient. Il faut qu'on aille sur le canapé... Mais mes jambes ne me portent plus. Et ça pousse et ça brûle au niveau de la vulve... Je ne vais jamais y arriver. Mais je ne veux pas accoucher dans ce couloir, au dessus des chaussures.

1h35: Sylvain arrive enfin. Tous les deux me transportent sur le canapé, je suis incapable de tenir sur mes jambes. Je me retrouve allongée sur le dos, je n'arrive même plus à me mettre sur le côté ou à me verticaliser. La tête est visible, je la sens, je la touche du bout des doigts... Le bébé va arriver. J'entends Cyrille demander à Sylvain de quoi protéger le canapé… Mais je reste plongée dans ces sensations si étranges/agréables/douloureuses… Je voudrais changer de position mais cette brûlure m'empêche de me mouvoir, mon attention est toute focalisée dessus et je n'arrive plus à penser à autre chose… Je voudrais me remettre à 4 pattes devant la table basse… Je n'y arriverais pas. Finalement, avec l'aide de Sylvain et de Cyrille, je me tourne sur le côté et je laisse faire la nature. La brûlure que je ressens à la vulve est importante. Cyrille me conseille de faire des sons graves. Seule, je n'y arrive pas. Soudain, il se met à émettre ce son grave qui en 2 secondes me fait l'effet d'un baume apaisant. Je suis cette voix, ce qui me permet de me recentrer. La brûlure est toujours là, vive, mais acceptée. Elle ne me fait plus peur. Je m'enfonce dans mes sensations, accompagnée de ma voix et de celle de Cyrille qui forment comme une bulle autour de moi.

Il va falloir pousser un peu maintenant. Après 2 ou 3 contractions qui ne sont même plus douloureuses et 2 petites poussées légères je sens la tête glisser puis les épaules...

1h45: Bébé 2 est là. Cyrille l'enroule dans un tissu de soie et une couverture en polaire. Il le tourne vers moi quelques instants avant de le poser sur mon ventre… C'est un garçon. "Bonjour Eliott". Le voilà posé sur mon ventre. Le temps s'arrête, je le regarde. Je le regarderai pendant de longues minutes. Il finit par trouver le sein et se met seul à téter, sans qu'on l'ait aidé. La nature est bien faite quand on la laisse faire. Sylvain et Cyrille sont assis, là, à mes côtés, dans la lumière tamisée. Tout est calme. Une pause à la suite de cette belle naissance. Les paroles sont prononcées avec douceur.

Une demi-heure plus tard, le cordon a cessé de battre. Sylvain trouve des ciseaux, de la ficelle, de la bétadine, et Cyrille s'en sert pour clamper le cordon. Sylvain le coupe, je le vois faire, là, juste sous mes yeux. Mon enfant est sorti de mon ventre et il est maintenant détaché de moi physiquement. Nous ne formions qu'un, nous sommes deux désormais.

Encore deux poussées pour faire sortir le placenta, Eliott reste sur mon ventre… Il n'en partira que lorsque j'irai me doucher. Personne n'imposera de soins désagréables à mon enfant dans ces premières heures de vie. On le pèsera dans quelques heures (3,500 kg) et on le mesurera la semaine prochaine.

On décide de ne finalement pas aller à la maternité. Cyrille venant nous voir tous les jours.
A titre informatif, l'accouchement était bien prévu à la mater, et Cyrille, ne pensant pas que ça se passerait si vite, n'avait pas sa trousse d'accouchement... Un véritable accouchement "à l'ancienne". Cordon coupé entre 2 morceaux de ficelle à rôti désinfecté à la bétadine, ciseaux de bureau pour couper, pas de gant... Mais un accouchement dont je me souviendrai à vie!!!
Moi qui rêvais d'un AAD qui semblait impossible... je l'ai eu!!!

Avec le recul et le message d'une maman de lacta, je me dis que finalement, inconsciemment, nous avons tous fait en sorte que cet accouchement ait lieu à la maison: moi qui ai appelé Cyrille relativement tard, avec des contractions anarchiques (avouez que mon corps ne m'a pas aidé en ne me donnant pas vraiment de signes clairs), mon mari qui ne s'est pas affolé (sauf quand il a entendu que j'étais à 8 cm…), et Cyrille qui ne s'est pas pressé pour venir (et je l'en remercie!), pensant qu'on avait encore du temps.

Je suis heureuse de voir comment cet accouchement s'est passé. Nous avons tous trouvé notre place, tout s'est passé vite et bien, dans une ambiance douce et calme, respectueuse et profondément humaine. Transcrire par écrit mes sensations se révèle être difficile et je me rends bien compte que mes émotions ne transparaissent pas au centième de ce que j'ai vraiment ressenti. Je crois que cet accouchement fut une des plus belles choses qui me soient arrivées… Et j'espère de tout cœur renouveler l'expérience et ne jamais connaître à nouveau un accouchement médicalisé comme celui de la naissance de Chléo…

Un grand merci à Eliott qui a su trouver seul et sans difficultés le chemin de la vie.
Un grand merci à Sylvain qui a su rester à mon écoute et qui m'a soutenu tout au long de cette expérience.
Un grand merci à Cyrille pour sa présence, sa douceur, son temps, ses conseils, son accompagnement et encore mille choses qui m'ont permis d'accoucher "sans douleur" mais surtout sereinement et dans la douceur de notre foyer.

Marie-Gabrielle
marie.fournest@wanadoo.fr