Un dimanche comme un autre...

PA, 10 ans, a décidé de partir le week-end pour une sortie scout. Dans les semaines qui viennent, il a plusieurs examens à présenter. Les tensions sont multiples pour lui. Il préfère prendre le large, s'aérer ... On prévient les responsables du camp qu'il se pourrait qu'on ne puisse pas venir le rechercher. A la vue du ventre de Yoli, ils comprennent rapidement, et s'arrangeront pour ramener PA si nécessaire. Dimanche, il commence à faire clair. TR s'est réveillée, pleure, s'agite sur son petit matelas à côté du nôtre. Il rampe et fini par se calmer contre Yoli. Je la sens différente des autres matins. Elle se crispe, gémit doucement. Cela recommence un peu plus tard. Nous émergeons ainsi, par morceau, de notre sommeil. Mon esprit s'entremêle encore dans des rêves-images dynamiques parfois saugrenues, parfois trop réalistes. Pour écarter les scenarii catastrophes provenant de quelques expériences lointaines, je dois faire un réel effort intellectuel. (Bebe mort-né, macéré, autrement formé ... La vue n'étant pas le seul sens de mes souvenirs.) Yoli souffle à présent de manière volontairement rythmée lorsque je la sens crispée. Nos quatre premiers enfants ont été concus après décision commune. En ce qui me concerne, je n'ai jamais pu envisager un autre enfant tant que je vivais encore le "précédent" comme bébé. Une place, un espace s'élargit ... un autre enfant vient. Je suis très lent pour ces choses-la. Pour la première fois, alors que nous cherchions ensemble une méthode naturelle de "contraception" basée sur nos sensations (!), ce bébé-ci s'est annoncé. Violemment. Dans un contexte tres conflictuel entre Yoli et moi. TR avait un peu plus d'un an, et Yoli avait repris son travail d'infirmière, et commençait à envisager de s'investir dans d'autres activités extérieures, ... Cet enfant était comme une branche tombée lui barrant la route ... Elle commençait à sentir pouvoir se libérer de sa presque seule condition de mère ... Comme tous les jours, je me lève tôt. J'ai mon petit rituel, dans lequel j'allume aussi l'ordinateur pour prendre mon courrier. J'entends Yoli se lever pour aller aux toilettes. Arrivée dans le salon, je la vois dépitée. Dans mes bras, elle éclate en sanglots. Elle m'expliquera, à la lecture du premier jet de ce récit qu'elle était outrée de constater que ce matin était pour moi comme les autres jours ... Ah ! ce foutu ordinateur !! De retour des toilettes où je l'ai accompagnée, dans le salon, elle se laisser aller, s'accroupit en s'appuyant sur le divan. Il y a à peine deux semaines que j'ai terminé les travaux de la chambre à l'étage. Notre ancienne chambre, au rez-de-chaussée a été amenagée en un grand bureau. C'est là que les enfants étudient à présent. Le salon est la seule pièce "connue" qui n'a presque pas changée d'aspect. Yoli me demande d'aller chercher le petit matelas de TR dans notre chambre, et de l'installer à côté du divan. Elle me demande aussi d'allumer le poêle à bois. Il y a moins de deux ans, c'est sur ce petit matelas, à côté de notre lit, qu'elle avait accouché seule, juste entourée de nos trois ainés. Alors qu'elle s'accompagne de plus en plus souvent d'un souffle ryhtme - ce qui me fait comprendre qu'elle a une contraction forte -, je réunis un peu de matériel qui pourrait nous être utile. Je reviens régulièrement vers elle. Elle me serre la main, et je dois faire attention qu'elle ne touche pas mon doigt blessé. Je lui caresse les cheveux, et je ne peux pas m'empêcher de penser combien elle est belle, les yeux souvent mi-fermés, l'air grave et centrée sur elle-même. Comme quand nous faisons l'amour. Je m'aperçois, qu'à chaque contraction, je sens que mon perinée se serre également. Je souris intérieurement de cette observation. Je fais le geste de vouloir relever sa blouse pour voir son ventre, mais, sauvagement, elle m'empêche de l'atteindre. Je lui explique que je veux voir la position du bébé. Sa peau est tellement fine, qu'il n'est pas nécessaire de lui faire une radio pour voir ce qui se passe en elle ! Elle accepte que je prenne quelques photos ... Nous n'en avons aucune de cette grossesse-ci ; c'est dire combien nous nous sommes vraiment peu "penchés" vers elle. Un vieux reflèxe me fait aller vers mon monitoring ... mais à quoi bon ! Apres chaque contraction, je vois ce bébé ajuster sa position ... Je demande à Yoli si elle le sent bouger ... Je m'en veux de lui avoir posé cette question, quand elle me souffle qu'elle n'en sait rien, qu'elle ne peut plus faire autrement que de suivre ses sensations si fortes, si ... C'est au retour du lieu de camp scout de PA, vendredi, qu'elle m'avait dit avoir pris dans son sac quelques affaires au cas où elle accoucherait dans la voiture ... Nous avons chacunE nos idées, nos peurs, et nos réponses, souvent tournées vers du matériel estime nécessaire. Tenter de se rassurer ... Ce n'est pas facile de s'en défaire ... pour faire confiance à ce qui pourrait se mettre à la place ... Yoli est à genoux sur le petit matelas, s'appuyant des mains sur la table basse du salon et sur le divan. Chaque fois que je reviens vers elle, je me place et elle m'accepte un peu plus près d'elle ... un peu plus longtemps à chaque fois ... De mon matériel, dans la piece à côté, je ne dégage que ma boîte à instruments ... je me dis : s'il y a un circulaire trop serré pour le faire glisser ... Bof ! un compromis comme un autre avec moi-même ... Je suis à nouveau à genoux en face d'elle, et elle essaye de s'appuyer sur mon épaule. Mais ça ne lui convient pas. Je sens son corps onduler comme une très lente vague qui descend le long de son dos et lui fouette le bassin au plus fort de la contraction. Puis, elle se relâche, mais en maintenant une tension, prête pour la vague suivante ... qui ne tarde pas. Nos fronts se touchent. Elle m'agrippe la nuque, me serre contre elle. Elle crie. Un premier cri. Hésitant. Comme si elle teste cette aide potentielle. Elle crie un peu plus fort, s'adaptant. Il y a du bruit en haut. Suite a ses cris ? Que va-t-il se passer ? Comment vont-ils réagir ? Les bruits viennent d'un peu partout, là où les enfants se couchent. J'entends A, 13 ans, qui se lève et je suis apaisé a l'idée qu'elle s'occupera des deux plus jeunes. Elle descend, en effet, avec TR. Elle passe près de nous et va dans la cuisine. Elle sait. B, 6 ans, apparait en haut de l'escalier. Yoli crie. Fort. Longtemps. Elle me serre. Elle serre ma tête contre la sienne. Je sens une volonté chez elle. M'empêcher de regarder, toucher, faire, ... ? Je ne sais pas. Peut-être sont-ce mes craintes qui s'expriment dans cette perception-interprétation. En fait, je ne sais plus où en sont mes idées. J'ai un regard vigilant sur chaque chose. Aucun détail ne m'échappe. Elle me dit sentir le "bébé" glisser, que de l'eau coule ... paroles prononcées peut-être d'avantage pour elle ... car je le sens aussi, moi. Je me sens une partie d'elle. A-t-elle la même perception ? Il n'y a pas de mot pour exprimer ce ressenti. A chaque fois que je suis revenu à elle, il m'a semblé que j'étais plus proche, que je restais un peu plus longtemps, comme absorbé par quelque chose. Progressivement, je me sentais intégré, au sens littéral. Un long cri ... Il se prolonge encore et encore. Je me sens attiré vers le bas, vers le sol. Je tire vers le haut. Le cri se termine par "la tête est la" ... Elle a été au bout d'elle. - Aide-moi. Yoli est comme en suspension. Je laisse glisser un doigt autour de la nouvelle chair, il découvre chaque parcelle ... Un léger mouvement : du bébé ou de Yoli ? il se dégage ; j'accompagne sa chute, le guidant vers l'avant, vers moi, sous et devant Yoli. Nous pleurons ... tout est chaud, mouillé, très odorant ... et plus encore. Je dis à B d'aller chercher A et TR dans la cuisine. Nous nous entourons. ... Yoli s'assied, le bébé entre ses jambes. En l'aidant, je découvre que c'est une fille. Le cordon n'est pas fort long. Je n'arrive pas à me souvenir de ce dont nous parlons. Scènes banales et habituelles, simples et spontanées. Questions, exclamations de B. TR qui s'accroche, veut plus et encore de Yoli ... A. qui tente de regenter un peu ... Les bols du petit-déjeuner circulent, nous grignotons. Je vais changer et habiller TR. Je croise A. et nous nous prenons dans les bras. Douce tendresse. Yoli se crispe encore de temps en temps. Elle aimerait être délivrée du placenta ... pouvoir s'arrêter. Elle se lève, se rassied. Voila, il est là. Je l'examine, le montrant à chacunE. TR aimerait reprendre sa place aupres de Yoli ... Ca ne va pas être facile. B est déjà retournée à ses jeux. Se pose la question d'aller chercher PA tous ensemble. Yoli se sent en forme, mais ... elle se rappelle que cela ne dure que quelques heures. Elle restera avec B pour l'aider si nécessaire. Une étape. Un évènement qui nous fait basculer vers quelque chose d'un peu différent. Une adaptation. Ce récit parle d'une ambiance ... celle de notre famille, de nos activités quotidiennes interrompues temporairement et réorientees ensuite par cet évènement. Cela n'enlève rien - voire au contraire - à notre vécu intime. Cet évènement représente-t-il une joie, un bonheur ? Ces mots-là me semblent tellement incongrus ! Banalisant tant d'autres moments. Ces moments ont été forts dans ce qu'ils transportent de peurs ataviques, forts dans ce qu'ils supposent pour l'après - notre présent, actuellement - dans un nouveau rythme qui devront s'adapter à celui de ce petit être ... Je voudrais que passe dans ce témoignage que je n'étais surtout pas sage-femme, non pas encore le père de cet enfant, à peine le compagnon de cette femme ... J'étais l'un, j'étais l'autre, à un moment, pour certaines aspects, je n'étais * rien * pour l'ensemble ... et je ne veux pas trouver d'autre mot que ce * rien * ... car je ne veux pas m'y enfermer. J'aurais vécu cette naissance autrement si elle s'était passee le jour avant ou ce matin ... Tout est à découvrir .. Nous, hommes, avons tout à inventer auprès de/dans/avec ces femmes qui s'ouvrent ...

Jean-Claude Verduyckt Pere de A. '92, PA. '95, B. '99, TR. '03, NoraNoa 22-5-'05 et sage-femme