Je suis fière d'avoir fait naître cet enfant d'un plus gros gabarit que sa sœur sans aucune extraction instrumentale !

La date du 19 mars approche, cette date que j'ai dans la tête depuis le début.
N. me demande si je le sens descendre… non, rien. Je sens que le bébé est toujours haut. Je n'ai pas plus de contractions que d'habitude… rien de rien… A force de recalculer les dates, je me rends compte que le 19 mars n'est pas une date de terme… impossible de retomber dessus. Au contraire ! La date du terme (basée sur ma date de conception) approcherait plutôt le 26 mars… aïe ! une semaine de plus ! Oh non, c'est trop lourd, trop dur, comment vais-je faire ? Impossible de savoir où en est le col, avec ce bedon énorme, je n'arrive pas à le toucher.
Le 18 au soir, B. et moi décidons d'un commun accord de faire un (merveilleux) câlin, pour hâter la chose. Demain, c'est samedi. B. avait prévu de faire l'enduit du garage avec un jeune maçon. Je suis un peu embêtée, car si le câlin fonctionne, l'enduit ne sera pas fait et cela fait tellement longtemps que cela a été reporté, faute de trouver la journée adéquate… Je me lève la nuit, vers 3h du matin. Je sens une certaine humidité dans mes sous-vêtements. Impossible de dire si c'est du liquide amniotique. Quelques heures après, je me lève à nouveau. Cette fois, je perds un peu de sang. Je réveille B. en lui disant « Ca y est, le col travaille ». Il me répond en souriant « OK, il faudra que je téléphone à S. pour annuler l'enduit ». Oui, c'est fichu pour l'enduit… (note : à ce jour, l'enduit n'est toujours pas fait !!!) Lever vers 7h… j'ai des contractions toutes les cinq minutes. C., B. et moi prenons le petit déjeuner. Il fait grand bleu, la journée promet d'être magnifique. C. parle, me pose des questions. Mais à chaque contraction je m'arrête de parler. B. lui explique que je ne peux pas parler. C. dit « Parce que ça contracte ». Elle est adorable. Je sens que je ne pourrai pas gérer l'accouchement et C. en même temps. Quelque part, c'est dommage, j'aurais voulu qu'elle soit là. Mais c'est mieux aussi : mes cris pourraient l'effrayer. B. téléphone à S., pour annuler l'enduit. Dommage, c'était la journée rêvée… Puis il téléphone à ses parents pour leur demander s'ils peuvent garder C. aujourd'hui et peut-être demain. C. est contente d'aller chez Papy Mamie. Ils se préparent tous les deux puis filent à Paulx. Je téléphone à D.. Je lui annonce que c'est parti. Je sais qu'en lui disant cela, elle sera énervée toute la journée. Je lui parle du câlin d'hier soir, et je lui dis, pleine de remords « Finalement, c'est pas terrible, c'est comme si on l'avait déclenché cet accouchement, si on forçait le bébé à naître ». Elle me rassure « T'inquiètes ! Il y a beaucoup de couples qui essaient le déclenchement à l'italienne pendant plusieurs jours sans jamais y arriver. Si ça a marché, c'est que c'était le moment ». Ouf…
On se quitte, pleines d'espoir l'une et l'autre. Je sais qu'à 10 000 km de là, dans une petite île perdue dans l'Océan Indien, ma sœur pensera à moi pendant de longues heures. Je me recouche. Les contractions continuent… je dors un peu. Puis je me décide à appeler J., il est 9 heures environ. « C'est pour aujourd'hui » lui dis-je « j'ai perdu du liquide cette nuit. » « C'est bien de m'avertir, comme ça, je peux m'organiser pour la journée. Tu en es où ? » « Une contraction toutes les 5 minutes mais… là, ça a l'air de ralentir » « Ah… » (Comment ça, « Ah… », ça veut dire quoi ? Ca va s'éterniser ? Et moi qui avais rêvé d'un accouchement rapide !) « Bon, tiens-moi au courant » me dit J.. Effectivement, ça ralentit. Alors je somnole. B. rentre, il a été faire quelques courses rapides au Super U, histoire d'avoir quelque chose à proposer à J. si elle veut manger (elle est végétarienne et nous non !). On discute un peu. Je me lève, je prends une rapide douche, je m'habille et on va se promener. On laisse un petit mot sur la porte, au cas où J. viendrait. On prend la direction du terrain de cross. On croise S. et G. Un petit salut de la main… j'aime cette sensation, croiser les voisins comme si de rien n'était, comme d'habitude, alors que je sens les contractions continuer. Il fait vraiment beau… c'est super, une vraie journée de printemps (avant l'heure) ! Petit coucou à Bl. sur le chemin du retour. Il est 11h30. On se demande ce qu'on fait, si J. viendra dès ce midi. Je lui téléphone. Elle me fait comprendre que comme c'est samedi, elle voudrait manger en famille à moins que je n'aie besoin d'elle. Je lui dis que non, je n'ai pas encore besoin d'elle, les contractions sont là mais pas intenses. Je suis un peu déçue et je me sens aussi un peu stupide mais je sens que J. sait comme moi que ce n'est pas pour tout de suite. Mais pour quand alors ? Du coup, on passe à table : ce midi, c'est foie de bœuf aux échalotes. C'est très bon, comme d'habitude. B. me demande ce que je veux boire. Une idée subite me vient : quelque chose de gazeux, de sucré… du cidre ? Il n'y en a plus. Il me dit en rigolant qu'il n'y a que du panaché. J'accepte. Il s'étonne. Si , si, du panaché. Il va en chercher dans le garage du fond. Me voilà avec mon panaché… c'est bon, je savoure. Quelle idée vraiment ! Le jour de son accouchement, boire du panaché ! Eh bien ce n'est certainement pas à la maternité qu'ils m'auraient donné une telle boisson ! Le repas s'achève. Je contracte toujours. Je marche… je propose une promenade digestive. On est repartis… le soleil brille, les oiseaux chantent… les arbres bourgeonnent… le printemps est là… l'air est doux… c'est très agréable. Retour à la maison. Je contracte toujours mais ça n'avance pas. Je repense à un témoignage, celui de M., qui a perdu les eaux 5 jours avant son accouchement.
Je me dis que c'est débile, si je dois attendre 5 jours, B. aurait pu faire l'enduit du garage, ça fait tellement longtemps que c'est reporté… je suis un peu fâchée, déprimée… B. s'installe pour lire. Je lui suggère d'aller travailler dans le jardin plutôt que d'attendre. Ca lui changera les idées. Il pourra ainsi avancer dans les travaux autour du garage et moi, j'aurais moins l'impression de lui bousiller sa journée avec mes contractions qui n'avancent à rien. Je téléphone à J. : « Je suis toujours au même point !!!! » « Normal… c'est pas l'heure » (Comment ça, c'est pas l'heure ???????) « Pas l'heure ? » « Ben oui, regarde, il fait beau, il y a du soleil, c'est l'heure des prédateurs. Tu ne peux pas accoucher maintenant » ( ???? l'heure des prédateurs ????) « Ah bon ? » « Ben non… selon mon * expérience * , les mamans qui perdent les eaux la nuit accouchent soit le matin soit en fin de soirée. » « Ah… oui mais, cette perte des eaux, pas de danger pour le bébé ? » « Non, je ne pense pas. Déjà, à en croire ta description, c'est plutôt une fissure haute qu'une rupture des membranes. Et puis tu es négative vis-à-vis du streptocoque B. Tu te souviens le témoignage de M. ? » « Oui ben justement ! J'ai pas envie de me retrouver à la maternité ! » « Mais tu n'en es pas là ! » « Et ces contractions, c'est pas pour rien ? » « Non, ça agit sur le col, j'en suis sûre » « Bon… ben je te re-téléphone en fin d'après-midi alors, vers 18h30 » dis-je en plaisantant. L'heure des prédateurs… c'est pas l'heure… bon, d'accord… je vais voir B. dehors, je lui résume sommairement mon coup de fil, je caresse Utah qui est folle de joie, comme d'habitude. Je dis à B. que je l'avertirai quand il y aurait du nouveau.
Je retourne à la maison, pour regarder un épisode d'Ally Mac Beal. Mais je ne suis pas dans l'histoire. J'ai un peu sommeil. Du coup, je décide de ne pas regarder le deuxième épisode et je vais me coucher. Je somnole… ding dong… j'ai dû vraiment dormir car l'heure a défilé : il est 17h30. Je ne bouge pas. Qui que ce soit, il attendra ou fera le tour du jardin. Quelques minutes plus tard, B. entre dans la chambre : « C'est I. et E. ». « Oh… ben dis-leur que je ne peux pas, là… » Quel dommage… pour une fois qu'I. prend sur elle et vient nous voir avec sa petite… Ba. nous avait dit qu'elle était timide. Tant pis. Zut, j'arriverai pas à me rendormir.
Je somnole… tout à coup, grosse contraction qui me tire du lit. Bon… décidément, c'est vraiment fini pour la sieste. Il est 18h. Je vais à la baie vitrée, j'appelle B.. Il me dit qu'il a fini, qu'il rentre. Je marche autour de la table. B. prend une photo pour immortaliser l'évènement. Je m'accoude au bar, j'ai faim. B. me prépare une part de brioche avec du Nutella (une bonne couche)… Miam ! Ce sera ma dernière collation. Je balance mon bassin à chaque contraction. Et puis soudain, clac ! Comme un élastique qui se casse à force d'avoir été distendu. Et zou ! pantalon trempé. Waouh ! Ca c'est la (vraie) perte des eaux ! « Merde ! » « Quoi ??? Qu'est-ce qu'il y a ??? » « J'ai perdu les eaux. Tu m'aides ? » B. me retire le pantalon, les chaussons, les chaussettes et éponge par terre. Heureusement que c'est du carrelage. « La bonne nouvelle », lui dis-je, « c'est que le liquide est clair ». J'ai envie de prendre un bain. B. demande si on téléphone à J.. Je ne sais pas trop. Et puis quelques minutes plus tard, je sens : ça y est, c'est parti pour de bon. J'hésite pour le bain : en théorie, après une rupture de la poche, je ne devrais pas baigner dans un bain… oui, mais si j'ajoute quelques gouttes d'HE de lavande, ça désinfecte… j'en parle à B., qui ne sait pas plus que moi… on attend J. pour lui demander si on peut ? Mais je n'attends pas longtemps : j'ai vraiment envie de me plonger dans un bain, alors rupture ou pas, je me passe de l'autorisation de J.. Je dis à B. que je vais dans la salle de bains et qu'il doit téléphoner à J.. L'eau coule. Je me déshabille. J'entends B. qui appelle J.. Je mets 10 gouttes d'HE de lavande dans l'eau. Je plonge dans le bain… et là, ça y est… le monde n'existe plus.
Je suis à quatre pattes dans l'eau, je souffle à chaque contraction et je murmure « Ouvrir, ouvrir » (pour ouvrir le col). Le temps n'existe plus. Tout à coup B. se lève. Tiens, il était derrière moi ? La porte d'entrée s'ouvre. B. me dira que J. est passée me voir une première fois. Je n'ai pas fait attention. Je les entends vaguement parler. Puis je vois J.. Je lui dis « C'est trop tard pour la péri… » mais j'entends à peine sa réponse, quelque chose du genre « Mais tu n'en as pas besoin ». Contraction… je pose ma tête sur la robinetterie de la baignoire. C'est inconfortable. Je pense à une serviette et il me semble que J. anticipe cette pensée : je me retrouve avec une serviette sur laquelle je peux appuyer mon front. L'eau chaude fait du bien. J. est assise près de moi, sur le rebord de la baignoire. J'imagine que B. a repris sa place derrière, sur la cuvette des WC. Je dis : « Il a le dos à droite » « Tu n'as pas mal au dos ? » « Non, pas plus que ça » Contraction… « Ouvrir, ouvrir »… Ca commence à faire sacrément mal. « Pourquoi je n'ai pas des branchies ? » dis-je… j'ai des images d'eau, de mer, d'océan et il me semble que si je pouvais nager, mettre ma tête sous l'eau, ce serait mieux… mais comment crier sous l'eau, je crains de boire la tasse et ce n'est pas le moment ! « Une maman dauphin » dit J.. En fait, c'était plutôt une baleine que j'avais en tête, mais peu importe… Contraction… « Ouvrir, ouvrir »… J. me dit : « Je vais mettre mes mains sur ton dos. Soit tu acceptes, soit tu me jettes ». Elle appuie sur mon dos. Ca fait du bien. Contraction… à un moment, J. tarde à appuyer. « Ta main ! » ai-je crié. J'ai mal… J. appuie sur deux endroits mais il y a un troisième endroit qui me fait mal, plus haut dans le dos. Je ne peux lui dire, je n'arrive pas à parler, je le crie très fort dans ma tête : « Et là, plus haut !!!! ». La position à quatre pattes ankylose mes jambes. J. me dit de profiter d'une pause pour les étendre. Elle me masse les jambes. « Ca chatouille »… ça la fait sourire. Mais vite, je reprends ma position. Contraction… Burp, c'est le panaché qui parle… « Pardon » dis-je. Ca aussi ça fait sourire J.. Contraction… J. me dit : « Peut-être que tu devrais essayer une autre position. Regarde, B. est derrière toi. Adosse-toi à lui. » Effectivement, B. est derrière, aussi sur le rebord de la baignoire, bas de pantalon relevé. Comment et quand il est arrivé là, je n'en sais rien. Je m'adosse à lui, entre ses jambes. C'est pas mal. Contraction… je prends ses mains et je les serre. Je commence à crier aussi. Je regarde J., maintenant elle est en face de moi.
Je la regarde et je vois dans ses yeux, la compassion, l'empathie, la sérénité aussi... la tendresse ? Je me dis « Elle est déjà passée par là, elle sait. ». Je regarde ses yeux et il me semble voir des générations et des générations de femmes qui me regardent, comme les multiples vies des Révérendes Mères, dans Dune. Contraction. Je me hisse sur les jambes de B., qui les raidit aussitôt. « Non ! » lui dis-je. Il arrête son mouvement. Il faut que ce soit moi qui me raidisse, pas lui. Mais je ne peux pas lui expliquer. Je broie toujours la main de B. mais j'ai aussi celle de J.. Depuis combien de temps ? Je ne sais pas. Contraction… je crie toujours. Je ne vocalise pas, je crie vraiment. Je dois leur casser les oreilles ou pire, faire paniquer B.… « Je suis désolée de crier » dis-je entre deux contractions. J. me dit que ce n'est pas grave. Je crie de douleur mais aussi parce que ça fait du bien. J'ai le générique d'Ally Mac Beal dans la tête, qui tourne en boucle… et puis aussi le refrain « d'Orchestra ». Super…

Tout à coup, à une contraction, je sens qu'il y a une étape de franchie (la tête qui a franchi le col ?) : « Oui, génial » dis-je. J. répond « Oui, c'est bien pour B. », c'est vrai, comme ça, il voit que les choses avancent. Je me dis que c'est bientôt fini… quelle erreur ! J. me dit : « Tu peux dire oui maintenant, pour que ton bébé descende » Mais comment dire « Oui » quand la douleur est là et que je n'ai qu'une envie c'est de dire « Non » « Stop » ??? Contraction… cris… ça continue. Parfois l'idée me vient de mordre la main de B.… je crois que J. l'a aussi compris, à un moment je la vois avec un gant. Mais je n'utiliserai pas le gant. Mes envies de mordre disparaissent. J. rajoute de l'eau chaude sur les conseils de B.. Ca fait du bien. Contraction… cris… J. me dit : « Peut-être que tu devrais trouver une autre position ? Veux-tu aller dans ta chambre ? » Je la regarde. Je dois avoir le regard vide… je comprends ce qu'elle dit mais le temps de répondre me paraît long, long… « Je ne sais pas. » (ma pauvre fille, secoue-toi voyons, tu sais vraiment rien ! « je ne sais pas », c'est tout ce que tu sais dire ?!!!) Contraction… cris… je secoue la tête… je me répète : « c'est de la folie pure ». Le temps s'étire. B. est tétanisé, je sens ses jambes qui tremblent sous l'effort, la tension à chaque contraction. « Je veux dormir… » « Prends le temps de te reposer entre chaque contraction » me souffle J.. « Ca va trop vite ! Je n'ai pas le temps ! » « Et pourtant… c'est le temps dont tu as besoin. Cela t'appartient. » (Ca m'appartient, c'est vite dit ! Ca ne m'appartient pas du tout ! Je ne contrôle rien ! Et les contractions s'enchaînent ! Pourtant B. me dira plus tard qu'il y avait de longues pauses entre chaque contraction) Contraction… cris… J. me dit : « Ca fait peur… et quand la tête sera à la vulve, tu auras peur aussi… » Mais en fait, je n'ai pas peur… (la peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale… encore Dune). Le temps s'étire à nouveau. Là-bas, très loin, j'ai une pensée pour D. qui doit penser à moi… J. : « Es-tu bien là ? Ou veux-tu aller dans ton lit ? » Moi, je me dis que dans l'eau, les tissus se détendent mieux alors que dans le lit, hors de l'eau… je pense fugitivement à mon périnée, qui se détendrait mieux dans l'eau… Mais tout à coup, l'eau me paraît froide, trop froide. Bizarre. Alors je me redresse. « Comment je vais faire ? » dis-je « Comme d'habitude », me répond J. Je me lève. Vite, J. m'enveloppe dans une serviette chaude et demande à B. de m'aider. Je suis courbée en deux. J. me dit : « Oui, tu peux marcher. Et tu peux même te redresser. » Etonnant mais vrai. Vite, vite, je me dépêche avant la prochaine contraction. Zou, dans le lit. Je m'allonge sur le côté gauche. Waouh… ça fait du bien de s'allonger. Il me semble avoir dit « Moins de lumière »… il me semble que B. a éteint la grande lumière pour allumer l'ampoule du côté de son chevet. Contraction… cris… J. soulève ma jambe droite et la cale sur son épaule. Je n'ose pas m'appuyer sur elle. Combien de contractions dans cette position ? Je ne sais pas. Je sens quelque chose : « Je fais caca ! » J. me dit que non, que c'est mon bébé qui avance. « Mais si, je t'assure, je fais caca ! » dis-je , un peu désespérée. J. regarde, mais apparemment il n'y a rien. (Je me questionne toujours sur cette « crainte »… peut-être un reste de pudeur ?) Contraction… cris… ça s'enchaîne. Mais J. doit sentir, comme moi, que ce n'est pas la bonne position. Elle me dit : « Essaie à quatre pattes » Je m'exécute, sans trop y croire. A quatre pattes, les fesses en l'air, comment voulez-vous qu'un bébé naisse ? Par contre, l'avantage, c'est que j'ai B. en face de moi et il me tient les deux mains. Je ne les lâcherai plus jusqu'à la fin… ou presque. Contraction… je change de cri… « Aaaaaaaaaaah » là, c'est pas pareil. Ca pousse. La vache, ça pousse fort. Et je pousse aussi… avec quoi ? les abdos ? J'en sais rien ! Mais je pousse. Contraction… Aaaaaaaaaah… ça pousse. Je sens la tête, qui vient… et qui repart. J. dit : « Tu sens ton bébé ? Qui vient et qui repart ». Oui, je le sens. Pause… J. prend son appareil pour écouter le cœur du bébé. Pour rassurer B. me dira-t-elle plus tard. Elle n'avait aucun doute sur la santé du bébé et moi non plus : à en croire les coups de pied qu'il me balançait encore, il était en parfaite forme !
Contraction… Aaaaaaaaaah (ça commence à s'étrangler en fin de « aaaah »). Oh là là, la tête arrive à la vulve. Je sens les tissus s'étirer… et la fameuse brûlure ! « Ca brûle ! » crie-je. Mais aussitôt, j'intègre ce fait. Avec le recul, ça ressemble très fort à l'épreuve du Gom Jabbar de Dune, toujours Dune. Je crois que J. met sa main sur la vulve… mais je n'en suis sûre. La tête du bébé repart dans les profondeurs de mon vagin. Contraction… Aaaaaaaaaaah… Ca progresse toujours. Les tissus s'étirent. La vulve s'étire… encore un peu plus. Brûlure… mais c'est intégré, ça ne me fait plus vraiment mal. « Millimètre par millimètre » souffle J. « Respire bien (j'ai eu tendance à haleter à ce moment là), ton bébé a besoin d'oxygène ». Fin de la contraction. Zou, la tête repart. Curieuse sensation, presque une sensation de fraîcheur. Contraction… Aaaaaaaaaaah… Est-ce J. qui a pris ma main et l'a posée sur ma vulve ? Là, oui, je sens la tête de mon bébé, ses cheveux. B. me dit : « Tu l'as senti ? » « Oui ! » Combien de contractions se sont enchaînées pour étirer cette vulve ? Je ne sais pas. Mais une contraction, plus forte, plus longue que toutes les autres… je pousse, je pousse encore, millimètre par millimètre a dit J., je pousse, je souffle, au diable la brûlure, au diable l'épisiotomie et si je dois déchirer tant pis, je pousse encore un peu, oui encore un peu et voilà, la tête sort. Quel sentiment alors ! Indescriptible. C'est bientôt fini… c'est bientôt fini… Je sens J. dénouer le cordon. Elle demande à B. s'il veut voir. Je me dis « Non ! Il n'aime pas la vue du sang, ça va le chambouler !!!!! » mais B. regarde. J'entends J. admirer le teint de cette tête qui doit émerger de mon corps : rouge ! Il va royalement bien ce bébé ! J. le bouge un peu, je crois qu'elle veut le faire sortir mais le bébé reste bien campé là où il est. J'ai une pensée fugitive d'épaules coincées… qui s'envole à la contraction suivante : J. aide le bébé à se dégager, les épaules glissent, le corps glisse et voilà… bébé est là ! Je m'affale aussitôt sur le côté : « J'ai réussi, j'ai réussi, on a réussi… »

J'ai réussi à mettre au monde ce bébé. Je n'étais pas toute seule mais il n'y a eu aucune intervention médicale ! Pas d'épisiotomie, pas de forceps ! B. m'embrasse. J. emmaillote le bébé dans les serviettes chaudes. « Il est quelle heure ? » « 22h46 » Et puis on se retrouve seuls tous les trois. « Tu peux remercier ta grande sœur. » ai-je dit au bébé. « Ta grande sœur qui a dû prendre le mauvais chemin pour nous montrer le bon » a rajouté B.… quel plaisir m'ont fait ces mots-là ! Quand J. est-elle partie ? Je ne sais pas. Le temps s'étire. J. revient… « Alors, garçon ou fille ? » « C'est une fille » dit B.. Je soulève la serviette… « Eh non ! » C'est un garçon ! C'est dingue, un garçon ! Quelle surprise ! Aurèle… Le cordon bat mais très faiblement. J. demande si B. veut couper le cordon. Non, il n'y tient pas. C'est moi qui le coupe. J. me dit « Les ciseaux coupent bien, c'est le cordon qui est très résistant ». En effet… j'ai l'impression de couper une épaisse liasse de papier avec des ciseaux d'enfant pas affutés. On essaie la tétée. Rien à faire, il ne veut pas. Je suis un peu inquiète. Mais à nouveau des contractions. « Le placenta » me dit J.. Elle tire un peu sur le cordon « Tu le sens où ? Dans l'utérus ou alors dans le vagin ? » « Le vagin » dis-je. « Alors pousse avec la contraction » Ce que je fais. Très vite, le placenta sort. Un poids en moins. J. m'explique que certains bébés attendent que la mère soit délivrée (quel terme juste, en ce qui me concerne !) pour téter. A nouveau, nous sommes seuls… J. revient avec les papiers, son mètre et la balance. Aurèle hurle de déplaisir quand J. le prend dans les bras pour le peser. « Ouh, il est lourd… 9 livres ! » « C'est pas des livres françaises ???? » dit B. « Non, ce sont des livres anglaises, il faut diviser par 0.6 (quelque chose) » Ca fait quand même 4,070 kg… beau pépère… Tour de tête : 36 cm… 2 cm de plus que C.… je suis fière d'avoir fait naître cet enfant d'un plus gros gabarit que sa sœur sans aucune extraction instrumentale ! J. nous explique pour les papiers. Je l'écoute dans un état second. J'espère que B. retient bien tout. Aurèle ne veut pas téter. Bon. En même temps, ça contracte toujours fort et ça fait mal, très mal. Autant la douleur de l'accouchement ne me restera pas, autant celles des tranchées me laisseront un souvenir désagréable. J. m'examine : verdict, une petite déchirure de 1 cm. « Sans doute à cause de l'épisiotomie » me dit-elle « Peut-être… mais ce n'est pas cher payé pour une épisiotomie » « Non », acquiesce-t-elle. « Que fait-on ? C'est petit, je crois que ce n'est pas la peine de suturer. S'il faut le faire, c'est juste pour un point. Je n'ai pas envie de t'embêter avec ça. Qu'en dis-tu ? » « On laisse comme c'est ». Elle m'aide à évacuer quelques caillots. Elle me montre comment est mon utérus, comment le masser pour faire sortir les caillots éventuels. Ca fait un mal de chien. Je prends un antalgique. Ils auront des effets atténuateurs mais sans plus… B. et J. s'affairent pour nettoyer. B. s'est occupé des caillots… vraiment, je suis bluffée ! J. s'est occupée du placenta (faut pas exagérer quand même, le placenta c'est trop demander pour mon chéri !) : cette fois, j'ai pu le voir, le fameux placenta ! B. me tend le téléphone, pour parler à D.. « Ca y est » lui dis-je « Alors ? » « C'est un garçon ! Il s'appelle Aurèle » « Aurèle… » Ce prénom ne lui est pas inconnu, l'une de ses meilleures amies a un fils qui s'appelle Aurèle… on a copié. « Raconte ! » « Ah, ben pas tout de suite, hein… » D. est déçue mais elle comprend. On échange encore quelques mots et on raccroche. B. téléphone à ses parents, leur annonce la naissance d'Aurèle à la maison. La nouvelle va faire un choc à Paulx… mais ils s'en remettront rapidement. J. va partir. Elle nous dit qu'elle passera demain nous voir. Au revoir J.… en route pour la première nuit.

Fred