Naissance à domicile de Lorenzo, version maman

Je ne suis pas certaine du tout de pouvoir "raconter" cette expérience de l'attente et de la naissance de Lorenzo, je ne suis même pas sûre de la tournure que va prendre mon récit, mais je me lance parce que j'en ressens le besoin, avant d'avoir pris trop de distance par rapport à cet évènement. Mais comment raconter ? Raconter les faits, raconter les émotions, raconter l'interprétation que j'en ai ... ? J'essaye, on verra bien ce que ça donnera :-)

La grosse angoisse de ce troisième trimestre de grossesse a été pour moi d'accoucher trop tôt ; trop tôt pour pouvoir rester chez moi, trop tôt pour que mon petit soit autonome, trop tôt quoi. Je ne me sentais pas capable d'affronter un accouchement à l'hôpital, avec tout ce que ça implique comme négation de soi et comme violence, ni un éloignement d'avec mon bébé ... pour mon quatrième et très probablement dernier enfant, ça aurait été d'une tristesse infinie... Conclusion : dès 29-30 semaines, j'ai eu beaucoup de contractions douloureuses et fortes, un col qui pinçait et tiraillait, une tête de bébé qui pesait lourdement dans mon bassin et semblait l'écarter chaque jour davantage ...

François a partagé mes angoisses et les a accueillies comme il pouvait, me donnant la possibilité de lâcher la pression de temps en temps et Jean-Claude en a reçu une petite partie aussi, mais avec sa sensibilité, il en a certainement perçu bien plus que ce que je ne voulais en montrer, les écoutant avec son air mi-figue, mi-raisin habituel ;-)
Je lui sais surtout gré de ne m'avoir jamais proposé de "faire" quelque chose de technique pour calmer ces craintes, et de m'avoir ainsi laissée l'occasion de "rentrer" dans mon histoire et mes angoisses pour avancer avec, au lieu d'essayer de les faire taire. Quant au reste du monde, selon mon habitude, je n'ai rien laissé paraître de tout cela.

De plus, cette grossesse a été pour moi lourde de plein de choses. Pour la première fois, j'ai vécu une grossesse où je me suis laissée aller, en confiance (confiance en moi, confiance en mon couple, confiance en nos choix), à tout ce qui remuait et remontait du fond de moi. Lourde d'abord, dans le fait d'attendre pour la première fois même si c'est triste à constater, un enfant conçu dans l'amour d'un couple, dans l'amour de deux êtres qui se sont choisis en connaissance de cause, et non un enfant conçu pour masquer une carence affective et l'échec d'un couple bancale. Il m'a fallu avoir le courage de le reconnaître et de l'accepter, de regarder en face les motivations qui m'ont conduite aux grossesses précédentes. L'envie d'enfant, oui, mais pas pour eux, ni pour le couple, plutôt pour me sauver du non-être, et me faire du bien à moi... :-( Maintenant que je l'ai accepté, je peux aller de l'avant avec eux sans parasites, et j'ai fait mon chemin pendant cette grossesse pour pouvoir accepter d'en profiter sans culpabilité vis à vis de mes autres enfants. Ce chemin est passé par tout un tas de manifestations inconnues de moi jusqu'alors : nausées, douleurs abdominales, tristesse inexpliquée etc...
Lourde également de tout un passé d'enfant en attente perpétuelle de tendresse, d'attention, de gestes d'amour... et lourde de choses plus noires et encore innommées, mais que je commence à oser regarder. Passé que j'ai nié et ignoré jusqu'il y a peu, et dont j'autorise enfin la douleur à refaire surface. Avec mon fils est également née une expression concrète de cette douleur qui me faisait tellement peur par sa violence.
... C'est dire le nombre de choses qu'on peut avoir en gésine en plus de son bébé ...

Bref.
Après avoir été persuadée que j'accoucherais prématurément, j'ai finalement accouché tout à fait "normalement" à 39 semaines, après avoir vécu les deux dernières semaines dans une attente qui ressemblait à une pulsation sourde, m'enveloppant rythmiquement de contractions bien "costaudes" que je recevais chaque fois comme un plaisir, de moments de fatigue extrême, de tout un cortège de pensées et d'émotions complexes ... besoin de solitude et de tendresse en même temps ; j'attendais la fête, j'attendais mon enfant, j'attendais ce bébé de l'amour tellement désiré, et la joie de pouvoir à nouveau me lover autour d'un nouveau-né.

Et samedi soir, vers 20h, alors que les enfants et moi venons juste de terminer le sapin de Noël, je commence à ressentir de bonnes contractions d'une "qualité" différente ; sans avoir besoin de rien se dire, François ressent également qu'il est en train de se passer quelque chose, et s'occupe alors de faire manger et de coucher les enfants. Je suis devant la télé, je regarde des bêtises en étant à l'écoute de mon corps... Je reçois plusieurs contractions qui travaillent nettement sur mon bassin, que je sens s'écarter, s'assouplir, j'allume des bougies, je suis bien, je me sens en sécurité, mes enfants sont à la maison pour le week-end et pas chez leur papa, tout est prêt... mais je suis aussi très fatiguée. Je dors mal depuis quelques temps, et là j'ai justement envie de dormir, pas encore de "travailler". J'ai un peu peur tout à coup de ce rendez-vous que j'attends pourtant depuis un bon moment :-)
Et justement, ben tiens, les contractions s'espacent et s'arrêtent vers minuit...
Je vais dormir, et je passe une très bonne nuit, avec mon fils blotti contre moi. Tout juste ai-je été réveillée trois fois de loin en loin par des contractions qui ne se sont pas répétées.

Le lendemain matin, vers 7h30, je suis à nouveau réveillée par une bonne contraction, je sens que quelque chose coule et glisse, et je m'aperçois que je perds des glaires teintés de sang ... le fameux "bouchon muqueux", enfin ! Cette fois je sais que ça y est, ce sera pour aujourd'hui. Mes enfants sont excités et je dois les calmer et leur expliquer qu'il y en aura encore pour quelques heures, que bébé ne risque pas de débarquer tout de suite. A ce moment là, forte des mes trois expériences précédentes, où je suis entrée d'emblée dans un travail intense et rapide, je pense encore qu'il naîtra probablement avant midi, et que ce sera une affaire aussi rondement menée que les précédentes :-)
Je m'installe un moment sur la toilette où je suis bien pour prendre les contractions, et mon fils s'installe par terre près de moi et décide de me lire une histoire, tout doucement pour ne pas me déranger :-)) Il s'inquiète un peu que le bébé ne tombe dans la toilette, et je le rassure, bien qu'il n'ait pas l'air convaincu :-)

A ce moment là commence une période bizarre ... en fait d'affaire "rondement menée", ça me fait tout drôle d'entrer en travail le matin (j'ai toujours accouché le soir), alors que la maison s'éveille, qu'il y a plein de choses à faire, les enfants à nourrir et à habiller, le chien à sortir etc... et mon travail se dilue et s'étale dans d'interminables "préambules" qui ne me sont pas familiers. Quelque part, je n'ose pas vraiment me laisser aller, parce que je suis en attente d'un climat émotionnel que je ne peux pas obtenir à ce moment là.
Bien sûr, François s'occupe de tout, je n'ai aucun souci "matériel", mais pendant ce temps là il ne peut pas être avec moi, et j'en aurais pourtant très envie ... j'ai besoin que ce moment soit "reconnu", soit respecté, et pas noyé dans les tâches quotidiennes. Et je le sens agacé de ma demande. Et son agacement me freine.
J'ai appelé ma mère pour qu'elle vienne s'occuper des petits, François appelle Jean-Claude pour lui annoncer que notre pitchoun est en chemin, et nous décidons ensemble de le rappeler quand je ressentirai le besoin de sa présence. Je sais qu'il est avec nous en pensée, ça me suffit pour l'instant.

Je décide de prendre un bain, toujours un peu mal à l'aise. Je n'aime pas être en attente, en attente de l'arrivée de ma mère, conduite par mon beau-père avec le "dérangement" que cela implique, en attente que les enfants aient fini de manger et "libèrent" François, en attente de je ne sais quoi... que le temps s'arrête pour me permettre d'accoucher dans ma bulle peut-être... ?
De plus, les enfants sont invités à l'anniversaire d'un petit copain l'après-midi, et je sais qu'ils ont envie d'y aller. Je suis partagée entre l'envie de les laisser aller, et l'envie de les garder près de moi, je ne sais pas quoi faire, je suis indécise et c'est inconfortable.
Le bain est bon malgré tout, mais à un certain moment j'ai besoin d'en sortir pour me vider les intestins, et je n'aurai plus envie d'y retourner jusqu'à la fin.

Ma fille aînée vient assez souvent me tenir compagnie, ne sait que faire pour m'aider, tout en tendresse et en petites attentions. Je finis par la laisser me donner la becquée à la cuillère (je mange du riz au lait), pour qu'elle puisse "faire" quelque chose pour moi :-)

En fait, ces préliminaires (tiens, le même terme que pour l'amour...) durent jusqu'aux environs de 13h30. J'ai des contractions fortes mais assez brèves, parfois dans le ventre, parfois dans les reins, et très irrégulières, peu convaincantes. Je m'y sens bien, dans ces contractions qui me laissent le temps, pour une fois, d'apprivoiser ce qui va se passer. Je descend arranger deux ou trois choses, je mange un peu de riz au lait, je flotte un peu entre deux eaux. Entre-temps on a rappelé Jean-Claude pour lui raconter ce travail étrange (pour moi), et ça m'a fait du bien d'en parler.

Et puis tout à coup je ressens le besoin d'être tranquille, de faire le vide autour de moi. Il me faut mon espace. Je me décide vraiment à envoyer les enfants chez leurs petits amis comme prévu (d'ailleurs c'est assez marrant, cet anniversaire qui était prévu pour le samedi, et qui a été reporté in extremis au dimanche, comme pour me laisser la possibilité, non prévue initialement, que les enfants ne soient pas là). Tout à coup j'ai hâte que tout se mette en place. Je presse François de finir de préparer les enfants, de les habiller, de les conduire et de revenir au plus vite. Ca l'énerve un peu cette fébrilité soudaine, mais là je sens que ça devient impérieux, je ressens un sentiment d'urgence, comme si j'allais rater un train...
Il téléphone à Jean-Claude sur ma demande pour lui dire de venir, et il part. Mon beau-père aussi. Ma mère, discrète, s'occupe en bas. C'est enfin le silence.

Je remonte et je pressens que quelque chose va changer. Mes contractions s'arrêtent pendant un moment pour me laisser l'occasion de préparer "mon nid" que j'installe avec efficacité et rapidité : un petit matelas d'enfant recouvert d'une bâche et d'un drap en coton, par terre dans la salle de bain, entre la baignoire et les lavabos. Quelques alèses. Des coussins et une bouteille de menthe à l'eau. Je sais que généralement je déteste bouger, et même parler pour demander , quand j'en arrive à la phase active de mon travail, donc j'aime avoir tout sous la main.

J'ignorais jusqu'à la dernière minute où je m'installerais, de la chambre ou la salle de bain. Eh bien voilà, c'est décidé, ce sera là et pas ailleurs, ça ne se discute pas. Je me déshabille entièrement et je rentre enfin dans mon enfantement. Plus personne ne me fera bouger de là.

Et à partir de là, le début de la tempête commence. il doit être aux environs de 14h-14h30, je crois, mais c'est la dernière fois que j'ai conscience de l'heure et du temps qui passe. Pendant un moment je suis encore connectée à la réalité, entre les contractions qui, elles, deviennent franchement impérieuses. Je bavarde un peu avec ma mère, puis avec François qui est revenu et s'installe définitivement près de moi. Ca me fait un bien fou de savoir que maintenant, il ne sera plus là que pour moi, pour nous.
J'ai conscience de l'arrivée de Jean-Claude, alors que je suis en train de "finir" une contraction, j'apprécie sa douceur quand il me dit quelques mots et me fait un câlin en arrivant. Il s'installe dans un coin de la salle de bain, par terre contre le radiateur (je ne comprends toujours pas à ce jour comment il n'a d'ailleurs pas fondu en flaque sur le sol... :-)) et n'en bougera pas beaucoup pendant tout le reste de l'accouchement. Sa présence est silencieuse, discrète, et en même temps je le sens tendu vers nous, tout en disponibilité, et l'atmosphère "s'habite" aussitôt de tout ce qu'il apporte avec lui et vient s'ajouter à notre histoire. C'est bon. J'avais un peu peur d'être gênée, freinée par sa présence, de ne pas oser vivre tout ce que j'avais à vivre par pudeur, et je m'aperçois qu'à aucun moment cette présence ne m'a pesé, au contraire. Je me suis sentie en sécurité tout au long de l'accouchement. A verser au débat sur l'accompagnement :-)

De ce moment, je n'ai plus aucune conscience réelle de la chronologie des évènements. Je me souviens de certaines choses, mais je serais incapable de dire quand et comment exactement elles se sont déroulées.
Je me souviens que François installe un matelas à côté du mien pour ne pas être directement sur le sol. Je l'entends souffrir de la chaleur, alors qu'il est nu à côté de moi, pauvre ours polaire obligé de supporter une température étouffante :-)
Je me souviens comme d'un moment-charnière qu'il est allé cherché une pomme, l'a pelée et mangée devant moi, et que je lui ai demandé ou qu'il m'a proposé de me couper un quartier. Le temps qu'il le coupe, j'ai été prise d'assaut par une contraction plus puissante que les autres, et j'ai oublié définitivement la pomme et le reste du monde pour entrer dans mon sanctuaire.
Je me souviens des mains de François, effleurant si légèrement mon dos et mes reins, comme un papillon. Ces mains dont j'ai apprécié la chaleur et la douceur, je me souviens de son corps, de ses bras, venant se placer la plupart du temps exactement au bon endroit, dans la bonne position, me faisant prendre conscience que c'est ça qu'il me fallait. Je me souviens de sa présence rassurante, pleine, à mes côtés, de son silence tellement parlant, tellement tendu vers moi et ce que je vis, mais calme, si calme. Il n'a que très rarement manqué au rendez-vous quand je "l'appelais" en silence.
Je savais qu'il était à 100% avec moi dans ce projet de naissance à la maison, mais j'ignorais qu'il le serait de manière si "juste", qu'il trouverait instinctivement la meilleure manière de m'accompagner sur ce chemin. Je n'aurais pas osé l'espérer, pour tout dire :-) Tout au long de cette naissance, je l'ai senti confiant, calme, dans l'accueil et la sérénité. S'il s'est inquiété, je ne l'ai pas senti. Et si mon corps était seul à mettre ce bébé au monde, nos âmes vivaient l'évènement à l'unisson, et respiraient au même rythme.
J'insiste là-dessus, parce que c'est la chose la plus magique qui me soit jamais arrivée, moi qui ai toujours vécu les choses importantes et bouleversantes de ma vie dans la solitude la plus totale, voulue ou non.

De mon travail, je ne pourrai pas vraiment décrire les étapes ou la chronologie exacte. Je sais qu'à un moment, quand ça a commencé à être vraiment puissant, j'ai appelé et accueilli les contractions avec plaisir, ouverte et consentante, presque comme on s'ouvre à l'amour physique quand on se donne vraiment entièrement. Il semblerait d'ailleurs que mes vocalisations aient été plutôt ambigues à ce moment-là, si j'ai bien compris ce que m'en a dit François :-)
Et puis plus tard, quand j'ai commencé à me perdre un peu dans la douleur, quand j'ai senti que cette naissance serait plus difficile que les autres, je me suis totalement blottie en moi-même, repliée à genoux, les hanches écartées, la tête dans les coussins.
J'avais du mal à trouver une position qui me convienne. J'ai essayé plusieurs fois de me redresser sur les genoux, en appui sur le bord de la baignoire, ou de rester à genoux en appui sur les mains (comme un orang-outang me décrit poétiquement François ;-))
Les moments où je me redressais correspondaient aux moments où je me "lançais" volontairement dans la suite du travail, où je voulais accompagner ce qui se passait, faire avancer les choses.
Ensuite il m'arrivait de douter, de douter de l'avancée réelle du travail, de ma capacité à endurer la suite, et surtout j'avais peur à certains moments... et alors je replongeais dans mes coussins, en essayant de laisser faire mon corps, de ne pas me crisper. Je savais que de son côté mon bébé faisait aussi son travail, et je m'en remettais un peu à lui quand je faiblissais.
J'ai pleuré aussi à un moment. Je ne sais pas combien de temps.A un moment, je sais que j'ai commencé à refuser les contractions, la douleur. J'ai fait barrage parce que je n'en pouvais plus. J'avais une phénoménale envie de dormir, de m'anesthésier, et j'ai d'ailleurs réussi à réellement tomber endormie pendant quelques secondes (minutes ?) entre certaines contractions.
J'ignorais où en était mon bébé. Je me souviens avoir réalisé avec un sentiment d'étonnement que Jean-Claude percevai probablement bien mieux que moi où "ça" en était, alors que c'était dans mon corps que ça se passait. Un comble quand même :-)
Ce que je sentais, c'est que certaines contractions s'accompagnaient d'une perte de liquide amniotique et de glaires, et d'autres non, indépendamment de leur force. J'en concluais que quand rien ne "sortait", bébé devait bloquer quelque part, et qu'au contraire, il devait progresser quand je perdais du liquide... J'ignore encore si mes conclusions étaient exactes :-)
J'ai également crié beaucoup plus que pour mes accouchements précédents. Certaines contractions engendraient des cris rauques et profonds qui sortaient malgré moi et emplissaient tout l'espace, alors que d'autres me donnaient envie de me replier et que je restais absolument silencieuse, enroulée autour de ma douleur. A certaines moments, il m'était d'ailleurs complètement impossible de communiquer avec l'extérieur. Je me rappelle clairement avoir eu pendant un bon moment une soif terrible ; je voyais ma bouteille près de moi, mais j'étais physiquement incapable de faire un mouvement pour l'attraper, et tout aussi incapable d'articuler un son pour demander à François de me la passer...
J'ai eu conscience que Jean-Claude effectuait quelques monitos, qui ne m'ont pas dérangée. A charge pour lui de se contorsionner pour placer son capteur où il fallait, moi je ne bougeais presque pas.
Par contre, à aucun moment je n'ai éprouvé l'envie d'un TV pour connaître la progression de la dilatation ... ça ne m'a même pas effleuré l'esprit. Il n'y avait aucune raison de profaner la cérémonie qui était en train de se dérouler en moi, et je n'éprouvais pas d'inquiétude pour mon bébé.

A un certain moment, le temps s'est comme suspendu...
A l'approche du grand saut, tout près, si près de l'arrivée de mon bébé, ma peur a commencé à grandir, à m'envahir. Je me souviens avoir éprouvé le besoin de dire à plusieurs reprises "j'ai peur".
Plus pour qu'on le sache, qu'on partage avec moi, que dans l'attente de quelque chose de concret. Je savais très bien que moi seule aurais à vivre ce qui se préparait. Mais quelle trouille, quel indicible sentiment de petitesse et d'impuissance face à cette énormité qui se déroule au plus profond de moi... quelle envie que quelqu'un arrive et dise "ne t'en fais pas, je m'occupe de tout, tu ne sentiras plus rien". Comme je comprends que les femmes soient consentantes quand un médecin leur propose de tout prendre en charge à ce moment là ... :-(
Et là, miracle, le temps s'arrête un petit moment, me laissant de longues plages de répit, comme pour prendre mon souffle avant de plonger dans les profondeurs.

Et puis je me rappelle que tout a repris, violemment. Je me rappelle m'être redressée en appui sur le bord de la baignoire, je me rappelle de contractions qui me vidaient littéralement de tout : de mon bébé, de mon souffle, de ma peur... Je criais sans pouvoir rien retenir, comme une louve à la pleine lune, et là j'ai senti la tête de mon bébé émerger d'un coup dans mon vagin. J'ai eu l'impression étrange d'entendre/de ressentir un espèce de gros "plop", comme quand on fait sauter un bouchon de champagne, comme si cette tête parvenait enfin à se dégager violemment d'un goulot de bouteille trop étroit. J'ai distinctement entendu Jean-Claude dir tranquillement à François "voilà, ça y est, il est là". J'étais heureuse, exaltée, je sentais enfin arriver mon petit, c'était presque fini... Mais là, contrairement à ce que je croyais, nous n'étions pas encore parvenus à destination, mon bébé et moi. Pour mes autres bébés, à partir du moment où la tête déboulait dans le vagin, tout se déroulait tout seul, en poussées involontaires, et la tête et le corps glissaient très rapidement hors de moi.
Ici, j'ai senti peser sa tête dans mon vagin, mais cette tête ne descendait pas toute seule avec les contractions, comme j'en avais l'habitude. J'ai dû très vite m'ajuster à une sensation nouvelle, complètement déroutée, et j'ai dû pousser, et bien pousser, pour la faire progresser. Je me souviens avoir paniqué, parce que je sentais mon périnée completement distendu, mais je ne parvenais pas à sentir mon bébé avec mes doigts... Je répétais "je ne le sens pas, il n'est pas là" ou quelque chose comme ça :-)
Et François qui me répétait "calme-toi, doucement, fais à ton aise", pendant que je me disais en moi-même "mais j'ai pas envie de faire à mon aise, j'ai besoin que cette énorme tête sorte de moi sinon je vais éclater" :-)
Pour finir, j'ai situé sa tête dans mon vagin, je m'y suis ancree, et j'ai suivi avec mes mains sa progression. J'ai senti son petit crane plein de plis, et puis son nez et ses yeux qui naissaient de moi, petit à petit, pendant que je m'échinais à pousser. Je sentais également contre la mienne la main de François, placée en coupe en-dessous de la tête de notre petit, dans un geste d'accueil, et bon dieu j'ai aimé ça :-)
Et enfin sa tête est sortie. Epuisée et soulagée pour un très court instant, j'ai replongé en prière musulmane dans mes coussins, et là encore, consternation de ma part ; où j'attendais de sentir glisser rapidement un petit corps mouillé hors de mon vagin, tout s'est bloqué en un point de douleur intolérable au niveau de mon périnée.
Je ne comprenais plus, j'étais alors totalement perdue, incapable de m'y retrouver dans mes sensations. J'ai hurlé "aidez-moi" aux deux hommes qui m'entouraient, et j'ai senti Jean-Claude aller dégager mon bébé qui s'était apparemment bloqué au niveau des épaules (qu'il avait larges, le petit sumo :-)), et me demander de pousser encore une fois pour dégager le corps, ce que j'ai fait. Etonnamment et malgré tout ça, aucune déchirure, rien. Je dois avoir un périnée en "strech" :-)

Et enfin l'anesthésie de la douleur, enfin l'arrivée de mon petit, dans un moment de silence épais, avant d'entendre son premier cri... Je me suis alors redressée et retournée, faisant passer ma jambe au-dessus de lui, entraînant presque mon bébé dans mon mouvement à cause d'un cordon ridiculement court, et je l'ai reçu des mains de François. Le cordon était tellement court que je ne parvenais pas à le lever au niveau de mes seins, et que j'ai dû le blottir contre mon ventre, moi-même pliée vers l'avant pour aller à sa rencontre avec mon visage et ma bouche, et pouvoir le humer et le lécher à mon aise.

D'ailleurs, au bout d'environ une heure, ce mini-cordon de poupée finissant par m'agacer et mon bébé ayant des difficultés à parvenir au mamelon pour téter, j'ai demandé à François qu'il le coupe, et je me suis sentie immédiatement plus à l'aise dans mes mouvements.

Au bout d'un moment d'une longueur indéterminée, François m'a quand même demandé de pouvoir jeter un coup d'oeil entre ses cuisses, détail auquel je n'avais même pas encore pensé... et nous avons constaté en riant (moi en tout cas) qu'il s'agissait d'un petit garçon affublé d'une grosse paire de coucougnettes, alors que depuis le début de la grossesse je répétais que j'étais quasiment certaine d'attendre une fille... au point que nous n'avions pas encore vraiment réussi à nous mettre d'accord sur un prénom de garçon.
Passé le premier instant de consternation passagère de François, nous avons accueilli notre garçon et je l'ai nommé du prénom que mon homme préférait, sans même y songer : Lorenzo. En tout cas, j'ai intérêt à me recycler si je comptais ouvrir un cabinet de voyance :-))

Peu après, mes trois loustics sont revenus de leur anniversaire, et ont débarqué dans la salle de bains, tout vrombissant de remarques et de questions autour de leur nouveau petit frère. Le plus jeune perplexe et techniquement curieux devant la texture et la raison d'être du cordon qui me pendait entre les jambes, la cadette étonnée que le bébé ne soit pas plus gluant et sale, et l'aînée se préparant déjà à investir son rôle de grande soeur maternante.
Je suis contente qu'ils n'aient pas été présents, tout compte fait, parce que je pense que mes cris devaient être impressionnants, et j'aurais risqué d'être inhibée par la crainte de les effrayer s'ils avaient été dans la maison. Au lieu de cela, ils se sont amusés comme des fous pendant que je vivais mon enfantement, sachant qu'à leur retour le bébé serait très probablement né. C'est bien comme ça, je n'ai aucun regret.

Entretemps, je continuais à avoir des contractions assez désagréables, mais pas de placenta à l'horizon... malgré un bain-douche vigoureux, les tétées précoces etc...
Au bout d'un moment, pas inquiète (je me sentais très bien) mais énervée par ce placenta paresseux qui m'empêchait d'aller m'installer et roucouler avec mon petit au lit et qui me laissait encore "en attente" de quelque chose, je pense que Jean-Claude a perçu cet énervement, et il m'a proposé de remonter tout doucement le long du cordon pour voir si "la bête" était prête à sortir ou pas encore. J'ai accepté ce coup de pouce avec enthousiasme, et il est allé cherché le placenta qui reposait négligemment au bord du col.
J'ai dû pousser un peu, j'ai senti passer une grosse masse à travers un col qui me semblait déjà bien serré, et j'ai enfin été délivrée, étonnée de la taille de l'organe, que nous avons congelé pour le planter au printemps.

En conclusion, je dirais avec le recul d'un peu plus d'une semaine, que cet accouchement a été pour moi de loin le plus éprouvant et le plus dur physiquement et mentalement (d'ailleurs j'ai eu pendant plusieurs jours l'impression d'avoir été passée à la moulinette et à la centrifugeuse dans chaque parcelle de mon corps, et mes hanches ne sont pas prêtes à reprendre leur place initiale d'après ce que je sens).
Je pense d'ailleurs, sincèrement, que dans les conditions offertes par l'hôpital, j'aurais fini par demander une péridurale ; je ne pense pas que j'aurais pu passer au travers de ce travail en-dehors de la sécurité de ma maison et confrontée à l'inhumanité d'un milieu médical. Mais ça a également été l'accouchement le plus "conscient", le plus beau, le plus partagé, le plus vivant que j'ai connu. Je l'ai vécu à fond dans chaque morceau de moi, et je n'ai jamais subi. Et j'ai surtout goûté le climat de calme et d'amour dans lequel cela s'est déroulé.
Les interventions de Jean-Claude ont correspondu à mes demandes, à mes attentes et à mes besoins, je n'ai aucun sentiment de regret ou d'échec par rapport à cela. J'ai vécu ce que je devais et pouvais vivre au vu de mon évolution actuelle et des circonstances, et l'accompagnement que nous avons eu, François et moi, nous correspond tout à fait.
D'ailleurs, pour la petite histoire, le point fort de l'accompagnement de Jean-Claude, c'est son "service après-vente"...
Les petits massages et drainages après l'accouchement, ça vaut de l'or ;-)

Il me reste maintenant de cette naissance la saveur inexprimable et nostalgique des choses qu'on sait ne plus jamais revivre, mais qui ont imprimé en nous leur marque indélébile, un peu comme les souvenirs d'enfance, dans lesquels on se blottit avec plaisir tout en sachant qu'ils ne sont probablement pas le reflet de la réalité des choses.
Qu'importe. Les couleurs qu'on y voit sont les seules qui comptent, les bonheurs que l'on se construit sont notre seule réalité ; et ma réalité, c'est un accouchement que j'ai aimé, que j'ai goûté, que j'ai partagé avec l'homme que j'aime et un ami qui m'est cher, et c'est aussi un petit garçon endormi, blotti entre mes seins, en train de faire ces grimaces invraisemblables et ces indescriptibles petits bruits de nouveau-né tellement doux à l'oreille... :-)

Que c'est bon de vivre et d'aimer ..

Françoise