Naissance à domicile de Lorenzo, version maman Je ne suis pas certaine du tout de pouvoir "raconter" cette expérience de l'attente et de la naissance de Lorenzo, je ne suis même pas sûre de la tournure que va prendre mon récit, mais je me lance parce que j'en ressens le besoin, avant d'avoir pris trop de distance par rapport à cet évènement. Mais comment raconter ? Raconter les faits, raconter les émotions, raconter l'interprétation que j'en ai ... ? J'essaye, on verra bien ce que ça donnera :-) La grosse angoisse de ce troisième trimestre de grossesse a été pour moi d'accoucher trop tôt ; trop tôt pour pouvoir rester chez moi, trop tôt pour que mon petit soit autonome, trop tôt quoi. Je ne me sentais pas capable d'affronter un accouchement à l'hôpital, avec tout ce que ça implique comme négation de soi et comme violence, ni un éloignement d'avec mon bébé ... pour mon quatrième et très probablement dernier enfant, ça aurait été d'une tristesse infinie... Conclusion : dès 29-30 semaines, j'ai eu beaucoup de contractions douloureuses et fortes, un col qui pinçait et tiraillait, une tête de bébé qui pesait lourdement dans mon bassin et semblait l'écarter chaque jour davantage ... François a partagé mes angoisses et les a accueillies comme
il pouvait, me donnant la possibilité de lâcher la pression
de temps en temps et Jean-Claude en a reçu une petite partie aussi,
mais avec sa sensibilité, il en a certainement perçu bien
plus que ce que je ne voulais en montrer, les écoutant avec son
air mi-figue, mi-raisin habituel ;-) De plus, cette grossesse a été pour moi lourde de plein
de choses. Pour la première fois, j'ai vécu une grossesse
où je me suis laissée aller, en confiance (confiance en
moi, confiance en mon couple, confiance en nos choix), à tout ce
qui remuait et remontait du fond de moi. Lourde d'abord, dans le fait
d'attendre pour la première fois même si c'est triste à
constater, un enfant conçu dans l'amour d'un couple, dans l'amour
de deux êtres qui se sont choisis en connaissance de cause, et non
un enfant conçu pour masquer une carence affective et l'échec
d'un couple bancale. Il m'a fallu avoir le courage de le reconnaître
et de l'accepter, de regarder en face les motivations qui m'ont conduite
aux grossesses précédentes. L'envie d'enfant, oui, mais
pas pour eux, ni pour le couple, plutôt pour me sauver du non-être,
et me faire du bien à moi... :-( Maintenant que je l'ai accepté,
je peux aller de l'avant avec eux sans parasites, et j'ai fait mon chemin
pendant cette grossesse pour pouvoir accepter d'en profiter sans culpabilité
vis à vis de mes autres enfants. Ce chemin est passé par
tout un tas de manifestations inconnues de moi jusqu'alors : nausées,
douleurs abdominales, tristesse inexpliquée etc... Bref. Et samedi soir, vers 20h, alors que les enfants et moi venons juste de
terminer le sapin de Noël, je commence à ressentir de bonnes
contractions d'une "qualité" différente ; sans
avoir besoin de rien se dire, François ressent également
qu'il est en train de se passer quelque chose, et s'occupe alors de faire
manger et de coucher les enfants. Je suis devant la télé,
je regarde des bêtises en étant à l'écoute
de mon corps... Je reçois plusieurs contractions qui travaillent
nettement sur mon bassin, que je sens s'écarter, s'assouplir, j'allume
des bougies, je suis bien, je me sens en sécurité, mes enfants
sont à la maison pour le week-end et pas chez leur papa, tout est
prêt... mais je suis aussi très fatiguée. Je dors
mal depuis quelques temps, et là j'ai justement envie de dormir,
pas encore de "travailler". J'ai un peu peur tout à coup
de ce rendez-vous que j'attends pourtant depuis un bon moment :-) Le lendemain matin, vers 7h30, je suis à nouveau réveillée
par une bonne contraction, je sens que quelque chose coule et glisse,
et je m'aperçois que je perds des glaires teintés de sang
... le fameux "bouchon muqueux", enfin ! Cette fois je sais
que ça y est, ce sera pour aujourd'hui. Mes enfants sont excités
et je dois les calmer et leur expliquer qu'il y en aura encore pour quelques
heures, que bébé ne risque pas de débarquer tout
de suite. A ce moment là, forte des mes trois expériences
précédentes, où je suis entrée d'emblée
dans un travail intense et rapide, je pense encore qu'il naîtra
probablement avant midi, et que ce sera une affaire aussi rondement menée
que les précédentes :-) A ce moment là commence une période bizarre ... en fait
d'affaire "rondement menée", ça me fait tout drôle
d'entrer en travail le matin (j'ai toujours accouché le soir),
alors que la maison s'éveille, qu'il y a plein de choses à
faire, les enfants à nourrir et à habiller, le chien à
sortir etc... et mon travail se dilue et s'étale dans d'interminables
"préambules" qui ne me sont pas familiers. Quelque part,
je n'ose pas vraiment me laisser aller, parce que je suis en attente d'un
climat émotionnel que je ne peux pas obtenir à ce moment
là. Je décide de prendre un bain, toujours un peu mal à l'aise.
Je n'aime pas être en attente, en attente de l'arrivée de
ma mère, conduite par mon beau-père avec le "dérangement"
que cela implique, en attente que les enfants aient fini de manger et
"libèrent" François, en attente de je ne sais
quoi... que le temps s'arrête pour me permettre d'accoucher dans
ma bulle peut-être... ? Ma fille aînée vient assez souvent me tenir compagnie, ne sait que faire pour m'aider, tout en tendresse et en petites attentions. Je finis par la laisser me donner la becquée à la cuillère (je mange du riz au lait), pour qu'elle puisse "faire" quelque chose pour moi :-) En fait, ces préliminaires (tiens, le même terme que pour l'amour...) durent jusqu'aux environs de 13h30. J'ai des contractions fortes mais assez brèves, parfois dans le ventre, parfois dans les reins, et très irrégulières, peu convaincantes. Je m'y sens bien, dans ces contractions qui me laissent le temps, pour une fois, d'apprivoiser ce qui va se passer. Je descend arranger deux ou trois choses, je mange un peu de riz au lait, je flotte un peu entre deux eaux. Entre-temps on a rappelé Jean-Claude pour lui raconter ce travail étrange (pour moi), et ça m'a fait du bien d'en parler. Et puis tout à coup je ressens le besoin d'être tranquille,
de faire le vide autour de moi. Il me faut mon espace. Je me décide
vraiment à envoyer les enfants chez leurs petits amis comme prévu
(d'ailleurs c'est assez marrant, cet anniversaire qui était prévu
pour le samedi, et qui a été reporté in extremis
au dimanche, comme pour me laisser la possibilité, non prévue
initialement, que les enfants ne soient pas là). Tout à
coup j'ai hâte que tout se mette en place. Je presse François
de finir de préparer les enfants, de les habiller, de les conduire
et de revenir au plus vite. Ca l'énerve un peu cette fébrilité
soudaine, mais là je sens que ça devient impérieux,
je ressens un sentiment d'urgence, comme si j'allais rater un train...
Je remonte et je pressens que quelque chose va changer. Mes contractions s'arrêtent pendant un moment pour me laisser l'occasion de préparer "mon nid" que j'installe avec efficacité et rapidité : un petit matelas d'enfant recouvert d'une bâche et d'un drap en coton, par terre dans la salle de bain, entre la baignoire et les lavabos. Quelques alèses. Des coussins et une bouteille de menthe à l'eau. Je sais que généralement je déteste bouger, et même parler pour demander , quand j'en arrive à la phase active de mon travail, donc j'aime avoir tout sous la main. J'ignorais jusqu'à la dernière minute où je m'installerais, de la chambre ou la salle de bain. Eh bien voilà, c'est décidé, ce sera là et pas ailleurs, ça ne se discute pas. Je me déshabille entièrement et je rentre enfin dans mon enfantement. Plus personne ne me fera bouger de là. Et à partir de là, le début de la tempête
commence. il doit être aux environs de 14h-14h30, je crois, mais
c'est la dernière fois que j'ai conscience de l'heure et du temps
qui passe. Pendant un moment je suis encore connectée à
la réalité, entre les contractions qui, elles, deviennent
franchement impérieuses. Je bavarde un peu avec ma mère,
puis avec François qui est revenu et s'installe définitivement
près de moi. Ca me fait un bien fou de savoir que maintenant, il
ne sera plus là que pour moi, pour nous. De ce moment, je n'ai plus aucune conscience réelle de la chronologie
des évènements. Je me souviens de certaines choses, mais
je serais incapable de dire quand et comment exactement elles se sont
déroulées. De mon travail, je ne pourrai pas vraiment décrire les étapes
ou la chronologie exacte. Je sais qu'à un moment, quand ça
a commencé à être vraiment puissant, j'ai appelé
et accueilli les contractions avec plaisir, ouverte et consentante, presque
comme on s'ouvre à l'amour physique quand on se donne vraiment
entièrement. Il semblerait d'ailleurs que mes vocalisations aient
été plutôt ambigues à ce moment-là,
si j'ai bien compris ce que m'en a dit François :-) A un certain moment, le temps s'est comme suspendu... Et puis je me rappelle que tout a repris, violemment. Je me rappelle
m'être redressée en appui sur le bord de la baignoire, je
me rappelle de contractions qui me vidaient littéralement de tout
: de mon bébé, de mon souffle, de ma peur... Je criais sans
pouvoir rien retenir, comme une louve à la pleine lune, et là
j'ai senti la tête de mon bébé émerger d'un
coup dans mon vagin. J'ai eu l'impression étrange d'entendre/de
ressentir un espèce de gros "plop", comme quand on fait
sauter un bouchon de champagne, comme si cette tête parvenait enfin
à se dégager violemment d'un goulot de bouteille trop étroit.
J'ai distinctement entendu Jean-Claude dir tranquillement à François
"voilà, ça y est, il est là". J'étais
heureuse, exaltée, je sentais enfin arriver mon petit, c'était
presque fini... Mais là, contrairement à ce que je croyais,
nous n'étions pas encore parvenus à destination, mon bébé
et moi. Pour mes autres bébés, à partir du moment
où la tête déboulait dans le vagin, tout se déroulait
tout seul, en poussées involontaires, et la tête et le corps
glissaient très rapidement hors de moi. Et enfin l'anesthésie de la douleur, enfin l'arrivée de mon petit, dans un moment de silence épais, avant d'entendre son premier cri... Je me suis alors redressée et retournée, faisant passer ma jambe au-dessus de lui, entraînant presque mon bébé dans mon mouvement à cause d'un cordon ridiculement court, et je l'ai reçu des mains de François. Le cordon était tellement court que je ne parvenais pas à le lever au niveau de mes seins, et que j'ai dû le blottir contre mon ventre, moi-même pliée vers l'avant pour aller à sa rencontre avec mon visage et ma bouche, et pouvoir le humer et le lécher à mon aise. D'ailleurs, au bout d'environ une heure, ce mini-cordon de poupée finissant par m'agacer et mon bébé ayant des difficultés à parvenir au mamelon pour téter, j'ai demandé à François qu'il le coupe, et je me suis sentie immédiatement plus à l'aise dans mes mouvements. Au bout d'un moment d'une longueur indéterminée, François
m'a quand même demandé de pouvoir jeter un coup d'oeil entre
ses cuisses, détail auquel je n'avais même pas encore pensé...
et nous avons constaté en riant (moi en tout cas) qu'il s'agissait
d'un petit garçon affublé d'une grosse paire de coucougnettes,
alors que depuis le début de la grossesse je répétais
que j'étais quasiment certaine d'attendre une fille... au point
que nous n'avions pas encore vraiment réussi à nous mettre
d'accord sur un prénom de garçon. Peu après, mes trois loustics sont revenus de leur anniversaire,
et ont débarqué dans la salle de bains, tout vrombissant
de remarques et de questions autour de leur nouveau petit frère.
Le plus jeune perplexe et techniquement curieux devant la texture et la
raison d'être du cordon qui me pendait entre les jambes, la cadette
étonnée que le bébé ne soit pas plus gluant
et sale, et l'aînée se préparant déjà
à investir son rôle de grande soeur maternante. Entretemps, je continuais à avoir des contractions assez désagréables,
mais pas de placenta à l'horizon... malgré un bain-douche
vigoureux, les tétées précoces etc... En conclusion, je dirais avec le recul d'un peu plus d'une semaine, que
cet accouchement a été pour moi de loin le plus éprouvant
et le plus dur physiquement et mentalement (d'ailleurs j'ai eu pendant
plusieurs jours l'impression d'avoir été passée à
la moulinette et à la centrifugeuse dans chaque parcelle de mon
corps, et mes hanches ne sont pas prêtes à reprendre leur
place initiale d'après ce que je sens). Il me reste maintenant de cette naissance la saveur inexprimable et nostalgique
des choses qu'on sait ne plus jamais revivre, mais qui ont imprimé
en nous leur marque indélébile, un peu comme les souvenirs
d'enfance, dans lesquels on se blottit avec plaisir tout en sachant qu'ils
ne sont probablement pas le reflet de la réalité des choses.
Que c'est bon de vivre et d'aimer .. Françoise |