Chloé ou la fin d'un rêve

Septembre 2003

J'ai eu une belle grossesse, magnifique même, toute en innocence et plénitude, sans aucune privation ni obligation, une grossesse de pacha, notre bébé nous en rêvions, nous l'accueillions ensemble dans la paix, la douceur, comme dans les livres, comme dans les rêves.

Et puis nous étions tout jeune, nous avions foi en notre entourage, en la médecine, en ce gynécologue qui avait l'air si bien, si ouvert. Quand il nous disait quelque chose c'était forcement la vérité, la meilleure solution, forcement pour notre bien pour celui de notre enfant.

J'étais tombé enceinte le 1er janvier selon l'échographie et selon notre calendrier, nous attendions bébé pour le 25 septembre selon le Dr X.

Et le 25 justement toujours rien, après cette grossesse parfaite, alors qu'on arrêtait pas de me dire que les grossesses raccourcissaient que les femmes accouchaient de plus en plus tôt, qu'il y avait de plus en plus de prématurés, moi j'attendais encore mon bébé, j'étais paraît-il à terme et il ne venait pas. Pas une seule contraction en 9 mois.

Rendez-vous à la clinique pour un examen de contrôle, bébé va bien, il se plait dans mon ventre à la peau tendue, la maison est confortable, quelque part c'est agréable de se savoir si accueillante. Mais rien ne laisse paraître une naissance imminente, ni un début de travail dans les prochains jours. Sans humanité, sans douceur une sage-femme me pose un monitoring, m'examine « col long, ferme et tonique » puis part. Voilà, le protocole, bébé arrive à terme, vous revenez demain, on vous déclenche si pas de changement.

Rendez vous le 26 au petit matin pour déclencher.

Je pleure le soir en refaisant ma valise et celle de bébé une énième fois, je pleure en enfouissant mon visage dans la petite tenue de naissance choisie avec précaution pour entrer dans les annales familiales. Mon bébé ne veut pas venir et je ne comprends pas pourquoi, mais bon, consolation, demain je le verrai, le docteur l'a dit il va me déclencher et puisqu'on m'a rien dit d'autres c'est que ça doit être égal à un début de travail naturel, le suspens en moins, on s'en passera.

26 septembre, 8h30, arrivée a la maternité, valise a la main, toute la famille est informée que, normalement, aujourd'hui on devrait voir la frimousse de bébé. Comme la veille, passage en salle exigüe de monitoring, sanglage allongée inconfortablement sur la table étroite, les capteurs trop serrés me rentrent dans le ventre, ils perdent le tracé dès que je bouge, mais tout va bien, bébé a la pêche, une santé d'enfer, et pas une seule contraction digne de ce nom.

Re-toucher vaginal avec à nouveau mon pauvre amour à mes pieds, obligé de regarder ses pieds pour ne pas voir sa femme humiliée, pour ne pas voir un autre à cette place « col long , ferme et tonique ».

Conclusion ben revenez demain on déclenchera a ce moment là.

Retour à la maison un peu déprimant, la valise à la main, coup de fil aux familles pour leur dire de ranger leur mouchoir et bouteille de champagne, mais on leur promet le bébé et la fête pour le lendemain donc chacun se console, on rit de l'attente, Gérôme a fait le même coup il y a 21 ans !

27 septembre, 8h30 nous revoilà pour le 3è matin d'affilée à la maternité, valise à la main comme des touristes pour la première fois dans un aéroport. Un peu crevé par l'attente, les réveils matinaux pour être à 8h30 à la maternité.

Re-pipi sur la bandelette, re-salle d'examen, re-monitoring, re-toucher vaginal.Une demie heure plus tard, la Sage-femme revient accompagnée du Dr X, pressé.

Il m'examine à son tour- honte de cette position devant mon compagnon honte de se faire toucher devant lui, sans pudeur dans cette salle exigüe, me fais un peu mal, me demande de poser mes poings sous mes fesses « je risque de vous faire un peu mal » et le peu devient très mal je ne sais pas ce qu'il fait exactement mais c'est une torture sans fin, ca parait durer une éternité. Il dit avoir fait une « maturation du col » (qu'est ce donc ??? personne ne nous le dira.) Ca devrait aider.

Mais par contre pas de déclenchement tout de suite par manque de place, donc au choix soit nous revenons à 14 h pour déclencher soit nous attendons le lendemain matin. Nous avons toujours foi en eux les blouses blanches, les diplômés ceux qui savent quoi faire et pourquoi le faire.

Nous en avons assez de ces aller retour, de ces fausses joies, de ces attentes, nous décidons de revenir l'après midi pour en finir, psychologiquement ce jeu de ping-pong est trop dur.

27 septembre 14h, nous revoici encore une fois, la dernière normalement dans la petite salle que nous commençons à connaître à faire notre, re-monitoring, re- examen complet, depuis le lundi rien n'a changé, bébé va toujours aussi bien, toujours aussi peu de contractions, toujours aussi peu d'espoir sur le col mais bon cette fois c'est bon ouf, nous passons de l'autre côté des portes, du côté où on se dit que c'est pour très bientôt.

Nous sommes dans la salle de naissance, carrelage blanc, lumière intense, appareil, métal, plastique partout mais le lit est plus confortable avec un vrai matelas et de vrais draps.

15h, X arrive, spéculum, pose du gel avec à peine un regard et quelques mots de politesse. 15h01 contractions, violentes, par surprise, dans les reins ça me cambre je ne m'y attendais pas comme ça on me les promettait pour dans un quart d'heure. Gérôme aussi est pris au dépourvu mais me masse, est là avec moi ça c'est bon.

La sage-femme est jeune, sympathique, oui nous souhaiterions éviter la péridurale dans le meilleur de cas, elle trouve que ce sont les plus belles naissances, celles sans péridurale.

1 heure, 2 heures, 3 heures, je ne sais combien de temps je reste là étendue sur la table, seul avec Gérôme, avec sûrement une surveillance régulière, je ne sais pas, je ne sais plus.

Au bout d'un moment on me passe en chambre, ça n'évolue pas assez vite pour que je monopolise une salle de naissance, « y a des femmes qui accouchent ici, on a besoin de la place ».

Je suis installée dans une chambre double, une femme en face de moi, enceinte, hospitalisée pour surveillance de fin de grossesse je crois. Je souffre, les contractions sont depuis la pose du gel puissantes et régulières, sans fin, sans pause, j'avais appris lors des cours préparatoires à la naissance que l'intensité et la fréquence évoluait au cours du travail, qu'il y avait un temps, une pause entre chaque contraction qui permettait de se reposer, de reprendre son souffle, je n'en vois rien.

Il doit être à peu près 19/20heures, rien n'avance. On me conseille une douche pour me soulager un peu, j'arrive à peine à m'y traîner et à y tenir debout. Je passe 5 minutes à me rafraîchir tant bien que mal mais n'arriverait pas à me soulager ne serait ce qu'un peu. Je me sens seule, je nous sens seuls tous les 3.

Plus tard, maman et 1 de mes soeurs passeront avec quelques affaires pour que je passe la nuit, avec des fleurs, j'ai envie de leur dire que je les aime, j'ai l'impression d'agoniser pas d'accoucher puis on renvoie Gérôme à la maison, « il ne se passera rien d'ici demain matin maintenant ». Plus tard, paraît il, il revient accompagner de ses parents pour m'embrasser, j'en garde aucun souvenir.

J'essaie de marcher, de trouver une position, de trouver du réconfort auprès de l'équipe de garde qui me renvoie dans ma chambre, ils ne peuvent rien pour moi me répondent ils, faut attendre. Je suis seule, j'ai très mal, j'ai très peur, je suis terrifiée je ne comprends rien. Je savais qu'accoucher était douloureux mais pas comme cela, pas autant, pas à mourir, et si long si long et si seule. Si méprisée par tous, pourquoi ont ils renvoyé Gérôme à la maison ?

Je sens -j'entends ?- quelque chose vient de se passer en moi, comme un pétard ou un coup de feu, quelque chose de soudain me ramène a la réalité, à la conscience, mon instinct me dit d'aller aux toilettes je ne sais pas pourquoi. Et là, je perds les eaux, la poche est percée et les contractions vont de plus belles. Comment est ce possible de faire encore plus douloureux ?

Je me traîne tant bien que mal jusqu'au poste de la surveillante de nuit, je la vois à peine la personne à travers la douleur mais je devine son sourcillement d'agacement en me voyant revenir à la charge (plusieurs fois déjà je suis venue réclamer de l'aide, du soutien, quelque chose contre la douleur et elle m'a renvoyé sur les roses). Je lui dit que je dois avoir percé la poche des eaux, elle me répond de regagner ma chambre, elle appelle quelqu'un.

Une autre éternité, je ne sais plus comment je suis passé de la chambre obscure à la salle de naissance, de la pénombre à la lumière crue des néons mais me revoici plus proche du monde, de l'agitation, ça me rassure.

La sage-femme de garde, sèche, technique, me branche le monito, m'examine, je ne m'étais pas trompée, la poche est bien percée mais le liquide est teintée, je suis tout juste à 3 cm -si peu comment est ce possible !- elle s'affaire autour de moi, tout tourne, j'ai de la fièvre, 38 et je souffre tellement et elle m'annonce que pour la péridurale ça va peut-être pas être possible a cause de la fièvre.

Et me laisse.

Bon, je résume pour moi, liquide teintée ça signifie pas bon signe d'après ce que je sais, et fièvre non plus puis sans la péridurale là je meurs, seulement 3 cm pour toute cette douleur c'est cher payé le centimètre !

Et Gérôme qui n'est pas là, elle m'a dit qu'elle partait l'appeler.

Elle revient l'anesthésiste va quand même venir la faire cette fichu péridurale et elle me dit aussi que personne ne répond au téléphone. Maudit soit ce téléphone qui sonne dans le vide, pourquoi Gérôme ne répond il pas ? Je ne veux pas donner naissance à notre enfant sans lui, j'ai peur, j'ai besoin de sa présence, j'ai besoin de vivre ça avec lui.

On me pose la péridurale, moins impressionnant que tout ce qui est dit partout je trouve et puis le confort est immédiat enfin, la douleur disparaît totalement, je ne sens vraiment plus rien du tout.

Et juste après Gérôme arrive, il doit être 1h du matin environ.

Je suis heureuse de le voir, j'avais si peur qu'il arrive trop tard. Nous discutons un peu, enfin je peux reprendre mon souffle, enfin je peux sourire. Il s'installe sur la chaise instable à coté de moi, et nous somnolons tout les 2, bercé par le bruit du monitoring et le balai de la sage-femme qui passe vérifier que tout va bien sur le tracé.

Que tout va bien.

Elle revient souvent je trouve, très souvent. elle a l'air inquièt, regarde la courbe, touche les capteurs, les replace, re-regarde la courbe, elle repart, sans un mot, sans un regard et nous, savourant enfin un peu de calme nous n'osons briser le silence.

Elle revient encore m'examine, 5 cm, ça fait 3 h que le col est à 5 cm dit elle. Et puis le coeur de bébé montre des signes de faiblesse, il est 5 heures on va demander son avis au Dr X, mais ça sera peut-être une césarienne.

Voilà, le mot est lancé, comme ça d'un coup sans qu'on s'y attende. Je sentais bien que quelque chose n'allait pas mais elle ne disait rien et nous ne voulions pas voir, pas croire que son manège était du à l'inquiétude.

Je suis désespérée, nous avions tout imaginé, mais pas ça, pas la césarienne, je voulais donné naissance à mon enfant, à mon bébé, je ne voulais pas qu'on me l'arrache et je voulais que son père soit là à mes côtés pour l'accueillir mais il ne pourra pas si c'est une césarienne. Je lâche prise, je pleure, je pleure mais ça ne soulage pas.

Un quart d'heure plus tard, le Dr X passe nous voir rapidement, il va se préparer pour la césarienne. ON me rase, on me lave, je suis nue d'un coup, on me roule à droite, puis à gauche, on me parle à peine, Gérôme ? Je ne sais plus où il est.

Il faut que je reste couchée côté gauche pour bébé, je sens que c'est la meilleure position, le monitoring le confirme.

Un brancardier me roule, moi qui suit nue sur cette table sous un drap si fin, et transparent, gibier pris au piège, il me roule dans le dédale de couloir et d'étages jusqu'à la salle d'opération.

Là, une infirmière me parle un peu, elle a l'air jovial, c'est pour elle un événement banal la césarienne, pour moi c'est un drame que je vis. Mais au moins elle me parle, ce sera la seule personne à m'avoir accordé quelques secondes d'humanité depuis un bon moment.

Elle me demande si je connais le sexe du bébé, essaie de me rassurer sur le déroulement de l'opération.

Elle prépare le bloc, tout le monde arrive, j'ai l'impression qu'il y a un monde fou mais je ne vois pas grand chose à part la tête déformée de l'anesthésiste.

Ca y est ça commence.

L'anesthésiste me colle un masque sur le visage, « respirez Madame, c'est de l'oxygène pour votre bébé » pas de problème je respire je respire.

Je sens, je sens mon ventre qui grogne de faim, je suis affamée depuis ce matin, pas pu avaler grand chose ce midi avec l'excitation du rendez vous, Je sens mon bébé qui bouge en moi, il remue j'ai l'impression qu'il se débat je ne sais pas pourquoi.

Et je sens le contact froid de la lame, je ne sens pas la douleur, juste le contact la pression, la force qui s'exerce sur mon ventre, sur mon corps pour m'ouvrir, je sens les mains qui farfouillent en moi, mon bébé qui donne l'impression de vouloir remonter plus haut encore dans mon ventre, mon estomac qui la dessus grogne de plus belle -on a pas idée d'avoir faim dans pareilles circonstances !-

Je commence à m'agiter, les sensations sont insupportables, j'ai l'impression de ne pas avoir d'anesthésie, comme réponse, j'obtiens qu'on m'attache les bras en croix, crucifiée, crucifiée pour donner naissance.

Ca y est, le bébé est dehors, X me le montre par dessus le champ opératoire, 15 secondes je le vois passer, inerte, yeux ouverts me fixant gros comme un bouddha, pâle sans un cri sans un geste.

Alors c'est lui mon bébé ? Cette petite chose sans vie ? Sans vie ??? Comment cela sans vie ? Est ce qu'il vit mon bébé ? Est ce qu'il va bien ? Et quel est son sexe ? Est ce Chloé ou Axel ? Personne ne me parle je n'existe pas ils sont tous à leur tache, ils font du bon boulot mais je n'existe pas.

« Respirez Madame, c'est de l'oxygène c'est pour votre bébé » me dit encore une fois l'anesthésiste en me plaquant de force le masque sur le visage. Je commence à prendre une bouffée et. non ce n'est plus le même gaz, et puis le bébé il est dehors, c'est un anesthésiant, on se débarrasse de moi, je ne suis pas assez docile, pas assez sage mais je veux savoir, je veux savoir si ce bébé est vivant, si c'est une fille, un garçon ? Je n'existe donc pas pour eux ?

Heureusement, l'infirmière dans un sursaut d'humanité se souvient que je ne connais pas le sexe, je l'entends demander si quelqu'un me l'a dit et elle m'annonce « Vous avez une belle petite fille de 3 kilos 6 madame, félicitations » et la petite fille en question, la petite Chloé pousse enfin un petit gémissement d'approbation.

Je peux respirer, je sais, je m'endors en sachant.je suis maman. maman. maman.

Je m'endors et je rêve, je suis a l'Aquarium du musée des arts africains et océaniens, il y a là Gérôme et le parrain de bébé fille (tiens là il n'a plus de prénom bébé) et toute cette eau, toute cette eau, il y a trop de bruit, trop de tangage, oui ça tangue j'ouvre les yeux ou me force la tête sur le côte « allez y vomissez Madame ».

Je vomis, et je tremble,je tremble comme une feuille morte, c'est incontrôlable, et j'ai envie de tousser mais avec l'anesthésie et sur le dos je n'y arrive pas, je n'arrive ni à parler ni à tousser et les glaires au fond de ma gorge m'étouffent, je tremble, j'étouffe, je ne sais plus ce qui ce passe.

Et je suis en chambre déjà, je tremble toujours j'ai cru apercevoir la présence de mon Gérôme sur le passage, un baiser sur le front (peut être l'ai-je rêvé ?). La chambre est sombre, il y a du monde autour de moi, je suis nue sous un drap dans un lit, on m'apporte mon bébé, on le pose nu sur ma poitrine, je tremble tellement que je ne peux pas le toucher mais je le sens si chaud, si doux contre mon sein. Cela ne dure que quelques secondes mais elle est si douce, oui, je suis maman, et j'ai une petite fille douce comme la soie. Puis on repart avec elle et je suis à nouveau seule.

Ma petite Chloé est née, à 6h10 le 28 septembre 2000 après un travail difficile, un réveil difficile de la césarienne (mais j'ai été endormie sous anesthésie générale ?).

Vers 10 heures, une infirmière passe me voir, tout va bien paraît il. Le pédiatre suit peu de temps après, mon bébé va très bien, me dit il, on me l'amène tout de suite.

Et puis, vers 11heures, enfin, ma toute petite arrive dans son berceau transparent, elle est belle avec sa peau diaphane, son air serein, Petit ange.

La puéricultrice (ce doit en être une ?) me la tend, il est l'heure de la mettre au sein. « Tenez, vous voulez allaiter, voilà bébé, voilà la feuille, faut noter les heures des tétées, 5 minutes à chaque sein toutes les 2 heures. »

Je la prends, essaie de me mettre en position et la puéricultrice repart.

Seule je me débrouille tant bien que mal à mettre ce tout petit paquet que je découvre à mon sein, selon mon instinct, malgré l'anesthésie qui m'empêche de bouger le bas du corps, malgré les perfusions et autres fils qui m'entravent mais j'ai la chance d'avoir un bébé expert qui attrape seul le sein, goulûment, sans hésitation, que je suis heureuse.

Quelques minutes après, la porte s'ouvre sur les heureux grands parents, avec appareils photos et flashs pour immortaliser la première tétée de leur premier petit enfant.

Marie, l'enfant
Nusch, l'artiste
Bibless, la mère
Maman de Chloé et Eloïse, nées par césariennes abusives pour travail dystocique
Femme comblée de Gérôme le Généreux
Thenon, 24