Récit d'une naissance à domicile

Dimanche 24 juillet 2005

Je suis bizarre aujourd'hui, nauséeuse, à fleur de peau, surtout avec les enfants.

Je sais que je ne dois pas accoucher la nuit prochaine, ma sage femme n'est jamais disponible les nuits du dimanche au lundi, je le sais, c'est convenu et signé, voilà.

Les enfants et leur papa vont faire une promenade en forêt et je reste à la maison pour dormir, ça me fait du bien.

Dans la journée, j'ai rangé et nettoyé le bureau, c'est la pièce où j'ai " prévu "  d'accoucher si ça se passe la nuit, notre chambre est mitoyenne de celle des enfants, ça me dérange.

Le soir, vers minuit, contractions. Pour la première fois depuis plus de dix jours, elles sont douloureuses… J'ai souri dans le noir " ça y est, j'ai mal, enfin… "

Je prends une douche et après m'être séchée, je perds un peu d'eau. Ceci deux fois et puis c'est tout. Antibio ? Pas antibio ? On décide d'attendre.

La nuit se passe comme ça, contractions un peu douloureuses que je chronomètre plus ou moins, je bouge beaucoup, je pars dormir en bas. Je commence à saigner, rose clair, très peu.

Lundi 25 juillet 2005

La journée est rythmée par des contractions douloureuses mais supportables, façon douleurs de règles dont on se demande si on va prendre ou non un doliprane.

Nous allons acheter le carrelage pour la cuisine, faisons un saut au marché dans la matinée.

J'appelle la sage femme B pour lui dire que depuis la veille j'ai des contractions un peu douloureuses et assez régulières.

Elle me rappelle vers 18 h, rien de neuf.

Vers 20 h, je suis à table, je sens que ça devient plus sérieux. Je suis obligée de m'arrêter de parler pendant le début des contractions car la douleur est bien plus soutenue.

Vers 22h, les enfants sont couchés, la sage femme rappelle, je lui explique que c'est plus soutenu mais que je n'ai mal que pendant les 45 premières secondes des contractions . Elle me dit que a priori, plus on avance et plus la douleur va se prolonger pendant la contraction. Je me vautre devant la télé et demande au papa de gonfler mon bon vieux ballon sauteur (il a 24 ans ! ! !) car j'ai l'impression que je vais être bien, assise dessus. Je vais beaucoup aux toilettes. Je me regarde de profil dans le miroir mais je trouve que mon ventre a toujours la même forme. Les contractions se rapprochent mais toujours la douleur qui " s'éteint " pendant la contraction. A minuit, nous allons nous coucher, je prends mon antibio par acquis de conscience (je suis + aux strepto B), si jamais c'est pour cette nuit. Je demande à R de m'examiner, il trouve le col (un bon signe) mais ouvert à un doigt.

Je tente de me coucher, c'est insoutenable d'être allongée. Je laisse R dormir et je pars en bas, m'asseoir sur le ballon. Je fais la navette avec les toilettes, j'ai du mal à supporter d'être assise sur la cuvette dure, ça me broie le bassin, c'est terrible. Je me répète en boucle " je suis une femme , je suis une mère ", pendant la douleur qui s'intensifie, je me concentre sur cette douleur, je l'accepte, je sais que c'est par elle que le col s'ouvre, que mon bébé se rapproche de moi. Je pense aussi à toutes les mamans que j'ai rencontrées et qui ont accouché chez elles ou différemment de " la norme " et à toutes celles dont j'ai lu les témoignages. J'ai l'impression qu'elles m'accompagnent, que nous sommes reliées par la pensée. Je pense à elle et aux millions de femmes qui ont accouché avant moi sans avoir les pieds dans les étriers. Elles m'accompagnent et je n'ai pas peur. Je suis bien sur le ballon, je roule doucement, ça me convient.

Je relis aussi deux récits que j'ai imprimés, je me demande si les contractions peuvent se suivre longtemps avec une telle intensité.

J'avais demandé à la sf quand je saurais que je dois l'appeler, elle m'avait dit que je le saurais, simplement.

A 1 heure, les contractions s'enchaînent, une à peine finie, la suivante arrive, j'ai l'impression d'être à bout. Je l'appelle , elle m'entend à peine car j'ai beaucoup de mal à parler. Elle me propose de demander à R de me faire un autre examen pour savoir où j'en suis puis de me rappeler. Je laisse le téléphone décroché pour que les enfants ne soient pas réveillés par la sonnerie le temps que je monte puis j'entreprends l'escalade de l'escalier. Ca va. Je réveille R qui a un peu de mal à émerger après avoir dormi ¾ d'h.

Je lui explique où j'en suis, le coup de fil, je m'allonge, il essaie de m'approcher, je crie " ne me touche pas ! " et je redescends du lit, je me mets à genoux la tête sur le matelas, je m'attrape le pubis, j'ai trop mal, je suis crispée et schploufff, dans un grand bruit, la poche des eaux vient de lâcher.

R m'aide à me déshabiller, me donne une chemise de nuit propre et une alèse que je garde entre les jambes. Puis il prend la bâche, les serviettes, draps, alèses, etc et nous redescendons. Je retrouve mon ballon dans le bureau et je ne le quitte plus. Il raccroche le téléphone qui sonne aussitôt, c'est B, elle se demandait ce qui se passait. Il veut me donner le téléphone, je ne peux pas parler, c'est lui qui lui explique la poche des eaux et tout. Elle prend la route, il est 1h30 elle sera là d'ici deux heures. Je n'ai aucune idée du temps que ça va encore durer, j'ai mal, c'est tout…

Je suis sur mon ballon, R déplie la bâche, en plastique très fin, j'ai l'impression qu'il a un mal fou, il n'y arrive pas, ça me fait rire. Il veut enlever le dessus de lit indien, rose, je lui demande de le laisser, j'ai envie que ce soit beau. Les contractions sont toujours là, de plus en plus vite….

Soudain, je ne sais pas depuis combien de temps nous sommes redescendus dans le bureau, pas très longtemps, j'ai envie de pousser. Je pense que j'ai besoin une fois de plus d'aller aux toilettes mais c'est vraiment très fort. Trois fois de suite, je ne réagis pas, je dis juste " il faut que j'aille aux toilettes ", " Vas y " " Mais je ne peux pas ! ", je lâche le ballon qui part rouler vers l'avant, je suis à 4 pattes, ça pousse encore, ce n'est pas moi, je mets ma main entre les jambes, il y a quelque chose que je n'identifie pas tellement c'est gluant. R a éteint la lumière et mis une petite lampe de bureau, allumé le radiateur électrique. Il jette un œil " Putain, c'est la tête ". J'ai juste le temps de me dire que voilà, je vais accoucher maintenant, une autre poussée, je vois un obus sortir, une demi tête en pain de sucre puis très vite contraction suivante, pas de doute, la tête est sortie. Je me trouve super sereine, moi qui ai dit à chaque accouchement précédent " mais pourquoi il ne pleure pas ? ", là j'attends. " Je peux t'aider ? " " non ne me touche pas ! " puis " oui, si tu veux…. " Je ne le sais pas mais R enlève le cordon qui passait sur chaque épaule et contre la nuque. Le temps est long…. Je crois qu'il s'inquiète un peu. Je lui dis que je ne peux pas pousser, que j'attends que ça vienne. Ca y est ! Une dernière poussée, l'épaule puis le corps entier est sorti, je vois les mains de R qui attrapent le bébé.

Il me le passe entre les jambes, je m'assieds, le cordon est un peu court pour la manœuvre. Je vois du sang sur la paupière droite. Il ne pleure pas mais je vois qu'il va bien, qu'il respire, il est un peu violet, heureusement que le chauffage est en route. Il ou elle au fait ? Il, pas de doute !

Je le prends contre moi, je lui dis bonjour, R me sourit avec des larmes dans les yeux. " Il est né … "

Je reste assise je ne sais pas combien de temps par terre sur mon alèse, A. me regarde avec ses grands yeux . A deux heures, R appelle B " C'est un garçon ! " et me demande si elle vient quand même. Oui, le placenta, tout ça, je préfère qu'elle vienne… Alors elle poursuit sa route.

Après un moment par terre avec mon bébé dans les bras, je rejoins le lit où je m'installe. A ne tète pas tout de suite. J'ai accouché 35 minutes auparavant quand je sens arriver le placenta. On le met dans une bassine sur le lit puisqu'on n'a pas coupé le cordon.

B arrive vers 3 heures. Après, mes souvenirs sont un peu flous, tout est dans le désordre.

Elle constate que j'ai deux déchirures (rien senti) dont une qu'elle recoudra. Elle me masse le ventre et de nombreux caillots sortent.

Elle coupe le cordon et fait un nœud avec un fil de coton.

Elle examine le placenta et vient me le montrer, m'expliquer des trucs. Il est entier.

A tète et je souffre de tranchées terribles de pire en pire. Tant que je manque de vomir et les spasmes de mon ventre provoquent la sortie de nouveaux et nombreux caillots.

A 4h15, B un peu inquiète nous demande de partir pour l'hôpital car d'après elle je fais une hémorragie. Elle préférerait que j'ai une révision manuelle utérine. R et moi comme un seul homme répondons " non ! ". J'imagine déjà l'anesthésie générale, la séparation d'avec mon bébé, etc… je ne peux pas ! Elle insiste pour une voie d'abord, je suis d'accord, en fin de compte, elle me met une perf avec du " liquide de remplissage "  (j'ai oublié le nom). La perf ne tient par sur nos chaises, alors je propose l'escabeau. J'ai donc une jolie perf suspendue par un cintre sur un escabeau, c'est assez marrant.

D'un commun accord, nous nous décidons pour une période d'observation. Elle s'allonge sur un matelas, R sur le canapé et toutes les 20 min, elle vient vérifier où en sont les saignements. A 6h30, c'est ok, l'hémorragie s'est arrêtée. J'ai perdu 2 litres de sang mais je le saurai plus tard.

Le matin, mes enfants se réveillent chacun leur tour et entrent dans le bureau dans les bras de leur papa…. Surprise, ils découvrent leur petit frère dans mes bras . Ils ont les yeux qui brillent et des sourires de Noël en ce 26 juillet.

A est pesé :4kg450. Dire que son frère avait eu du mal à sortir avec 500gr de moins ! ! !

Papiers, petit dèj (pour eux) et thé léger pour moi. B part assez tard et voilà notre famille face à elle-même. Quelle joie…

J'ai été surprise lors de cette naissance. J'ai trouvé que tout était simple. J'ai accouché, voilà. Ce n'est pas un événement, juste une étape de la vie. A est sorti de mon ventre et a rejoint sa famille à l'air libre, tout simplement.

J'ai découvert que la poussée est impérieuse, involontaire et pas du tout maîtrisable.

J'ai découvert que je n'avais pas si mal, ou en tout cas que cette douleur n'était pas telle que je l'avais crainte, imaginée.

A l'annonce de cette naissance, les réactions sont diverses mais beaucoup sont positives, plusieurs mamans me disent que j'ai réalisé leur rêve ou que j'ai eu de la chance et puis d'autres se lancent vers l'accouchement à domicile. Je lis souvent aussi dans les yeux de l'étonnement voire de la peur… J'explique, je raconte.

Je suis heureuse d'avoir vécu cet instant, et je remercie mes deux premiers enfants, leur naissance médicalisée m'a ouvert la voie vers une naissance naturelle.

Anne-Marie