Récit de la naissance de Xavier à domicile

Lundi 20 juin 2005, je suis à terme samedi et je commence déjà à m'impatienter. Je sais que je suis enceinte depuis plus de huit mois et j'ai l'impression que je ne peux plus attendre quelques jours, j'ai peur de dépasser le terme et de devoir aller à l'hôpital. Hier nous avons fait une ballade assez longue dans les Vosges, j'ai mal partout.

Nous avons rendez-vous avec U., la sage-femme, à 18 heures, mais à 13 heures elle m'appelle pour décaler le rendez-vous à 16 heures, peu importe, R. a pris congé toute la journée. Le trajet est assez long, nous partons vers 14h30, avec les affaires du bébé, mais pas les nôtres, qui d'ailleurs ne sont pas prêtes ! Je me demande ce que vont penser les voisins s'ils nous voient partir avec le siège auto ! Je prévois de préparer nos affaires tranquillement pendant le travail, j'ai vaguement empilé quelques vêtements dans un sac. Nous n'avons pas trouvé de sage-femme qui vienne à la maison, nous allons donc louer un appartement, en Allemagne, où nous avons trouvé une sage-femme francophone. Après avoir quitté l'autoroute française, vers 15h, je commence à sentir des douleurs dans le ventre, que je n'assimile absolument pas à des contractions, que je gère en m'agrippant comme je peux. Les longs trajets en voiture sont devenus pénibles ces derniers temps..

C'est toujours un plaisir de voir U., tellement souriante, accueillante. Nous discutons du dépassement de terme, ce qui m'angoisse parce qu'elle n'acceptera plus d'aad après 42sa, elle écoute le cœur du bébé qu'elle ne trouve pas tout de suite (encore une angoisse !) et veut faire un toucher vaginal (le premier depuis que je la connais !) Je me mets donc à plat dos, et là arrive une douleur intense, je ne reste pas sur le dos ! Elle reste très calme, R. aussi, je suis surprise par l'intensité de la douleur, c'est une contraction, ah c'est donc ça !! J'en ai les larmes aux yeux, elle me rassure en me disant de visualiser une fleur qui s'ouvre, ou la tête du bébé qui ouvre le col. Elle fait le tv, col effacé ouvert à 1cm, ce qui pour moi ne signifie pas grand chose, mon dernier tv date d'un mois, je me dis que ce col doit être ouvert ainsi depuis longtemps.

Pour U., la naissance va arriver dans les prochains jours (elle ne se mouille pas trop), elle nous recommande d'aller tout préparer à l'appartement puis de rentrer en France et de tout préparer pour un départ.

Elle nous conseille aussi d'écrire une lettre au bébé, en lui racontant ce qui a déjà changé dans notre vie, ce que nous lui souhaitons. En partant, nous plaisantons encore en lui demandant s'il faut remplir la piscine tout de suite et R. lui dit : « à tout à l'heure, alors…. » Aucun de nous trois ne s'imagine ce qui va se passer….

Les contractions continuent, nous nous rendons à l'appartement, sortons les vieux draps, les alèses, les serviettes, les affaires du bébé. J'installe la piscine, je la veux en plein milieu, je la regonfle, la déplace, une fois, deux fois, R. installe les tuyaux pour la remplir (c'est tout un montage, nous ne trouverons les bons raccords que trois jours après l'accouchement…). Les contractions continuent mais je suis très accaparée par ce que j'ai à faire, je trouve une position antalgique pendant et dès que la contraction est finie je trouve autre chose à faire. Je veux absolument rentrer en France, câliner les chats, prendre un bain dans ma baignoire, préparer les affaires, se mettre d'accord pour un prénom, écrire cette fameuse lettre, le programme de la soirée est chargé !

J'admets que le travail a commencé mais je me suis tellement bien rempli la tête avec les accouchements à rallonge des primi comme moi que je reste persuadée que le bébé n'arrivera pas avant 24 heures, naître le jour de l'été c'est chouette. J'ai donc le temps de rentrer !

Il est 17h30 quand R. me persuade d'attendre avant de partir en inventant le joli prétexte d'éviter la circulation, lui sait très bien que nous ne partirons pas. En y réfléchissant, je ne vois pas comment je pourrais supporter 3 heures de voiture avec de telles douleurs. Je trouve que ces contractions sont très rapprochées pour un début de travail, ça promet !!

Chacune est plus douloureuse que la précédente, j'en ai presque des nausées et j'ai mal dans le bas du dos, pendant la contraction je me mets accroupie, ou à 4 pattes, ou sur les toilettes, et entre je file sous la couette avec une bouillotte dans le dos (alors qu'il fait une chaleur écrasante).

R. reste d'un calme olympien, sa présence est rassurante, réconfortante, il m'encourage, il me propose son aide, je m'agrippe à lui, je m'accroche, il s'occupe de la bouillotte. Il me suggère aussi plusieurs fois d'appeler la doula ou la sf, mais je refuse obstinément parce que je ne veux pas les contraindre à passer des heures auprès de moi, tellement convaincue que je suis d'être partie pour un travail de 24 heures minimum. Je pourrais aller dans la piscine, elle m'attend, mais là non plus je ne veux pas, pas tout de suite, pas déjà.

Puisque nos affaires sont tellement importantes pour moi, nous décidons d'appeler ma sœur, pour qu'elle nous les ramène. Je l'entends lui expliquer où sont rangés l'appareil photo, mon peignoir, son rasoir, (des choses essentielles…) puis le trajet. Je voudrais dire encore quelque chose, mais j'ai une contraction sans lui, je crie. Ma sœur demande si le bébé est déjà là..

Je lui demande de regarder quel est l'intervalle entre les contractions : 5 minutes, oui je trouvais aussi que c'était rapproché. Je suis surprise par la vitesse de ce travail, je ne m'y attendais vraiment pas. Je commence à avoir du mal à gérer, pendant les contractions je vais sur les toilettes (je cours), et entre je m'allonge sur le côté (à plat dos impensable). A chaque fois je me rhabille, consciencieusement (c'est tellement agréable les vêtements de grossesse), je fais donc des allers-retours entre les toilettes et le lit, mais la douleur ne me lâche pas vraiment entre les contractions, je suis à peine allongée que la contraction me reprend.

Je perds le bouchon muqueux, progressivement, je ne pensais pas que c'était tellement volumineux ! Je me laisse aller, je pousse des hurlements rauques, je vire mes fringues, je deviens un peu agressive avec R. (le pauvre !), je demande la péri, je veux que tout s'arrête, j'ai la sensation que je n'y arriverai jamais, je ne souhaite cela à personne.

Je veux appeler A., la doula. Elle travaille beaucoup avec les chants, les sons, et pourra m'aider face à cette douleur ; il réussit à la joindre, elle sera là dans environ 45 minutes, c'est long mais l'idée qu'elle arrive me rassérène. Elle demande si nous avons prévenu la sage-femme et ça me fait sourire, parce que je me dis que non, c'est beaucoup trop tôt !

Mes contractions continuent, ça fait vraiment très mal, je commence à avoir envie de pousser, comme pour aller à la selle. Là aussi j'ai lu quelque chose au sujet de la poussée chez les primi mais je ne sais plus quoi, tant pis. Je pousse, de toutes façons c'est plus fort que moi, sans aller à la selle. Il est 20 heures, je n'ai pas vu le temps passer, j'ai la sensation de ne plus avoir de répit entre les contractions. Je suis assise sur les toilettes et R. est accroupi devant moi, je me sens découragée, épuisée, lui toujours aussi calme, me rassure : « tu vas y arriver, nous n'irons pas à l'hôpital, et tu as toujours 5 minutes entre les contractions » Ce beau mensonge est interrompu par une contraction, 3 minutes après la dernière.

Et puis dans une contraction je perds les eaux, très peu, avec un joli bruit de « pfuiiitt ». Ca brûle un peu, mais il me semble que j'ai un peu moins mal. Là on appelle la sf, elle sera là dans un quart d'heure. Je vais enfin dans la piscine, mais pourquoi n'y suis-je pas allée avant ??? J'ai beaucoup moins mal dans l'eau ! Je passe ma main sur ma vulve, un peu craintive, je sens une grosse boule, mes tissus étirés, je n'insiste pas dans cet auto-examen.

Je voudrais que R. me rejoigne, il part chercher son maillot de bain laissé dans la voiture (nous avions envisagé aller à la gravière dans l'après-midi….) et revient avec la doula et la sf (tout ce monde !)

La doula me regarde avec un regard de compassion que je ne lui ai jamais vu, je dois avoir une de ces têtes ! La sf écoute le cœur, je me reconnecte à ce bébé en entendant ces pulsations, que vit-il lui ? Elle promène sa main sur ma vulve, j'ai envie de lui arracher. Elle me fait sentir la tête de mon bébé, qui est là et me dit qu'il arrive. Au fond de moi je le sais, mais j'ai du mal à y croire. J'avais aussi senti mon périnée, c'est comme s'il y avait un gros ballon juste derrière. Je répète « j'ai mal, j'ai mal » mais c'est surtout pour être rassurée et cette sensation de poussée a quelque chose d'effrayant, j'ai peur de « craquer » (de déchirer mais nous utilisons le mot craquer avec la sf allemande). La sf est toujours aussi calme : « Mais non, tu ne vas pas craquer. »

R. me rejoint enfin, il était occupé à sortir de l'eau avec une bassine pour pouvoir en rajouter, plus chaude. Elles me suggèrent de changer de position et m'installent assise entre les jambes de R., la position ne me plaît pas mais une contraction me déconnecte de toute réflexion, la force est puissante, surnaturelle, et la tête apparaît entre mes jambes. Ce bébé rêvé, imaginé, mystérieux est là et en même temps encore en moi. Je veux l'attraper, tirer dessus, la sf me retient, elle me dit qu'à la prochaine contraction il sera là, je ne la crois pas. Ma doula me dira plus tard que j'ai éclaté de rire à ce moment là. Le souvenir du profil droit de notre bébé entre mes jambes est intact encore aujourd'hui.

Le temps est suspendu, tout le monde attend LA contraction qui fera naître totalement notre enfant. Elle est venue, mais je ne m'en souviens pas, ma mémoire a zappé. L'instant d'après notre bébé est contre moi. En sortant de l'eau il inspire tout de suite, crie à peine, s'apaise rapidement.

J'entends « 20h59 ». C'est magnifique, notre bébé est dans nos bras, tout doux, tout rose, tout chaud. Je pensais être émue aux larmes mais l'émotion est bien différente et surtout bien plus forte. Je me tourne vers R. pour lui dire « on a réussi », je ne sais pas comment j'aurais fait sans lui. Après quelques instants il me demande de regarder le sexe, c'est un petit garçon. C'est impressionnant parce que je le « sentais » depuis le début de la grossesse. Nous n'avons même pas eu le temps de nous mettre vraiment d'accord pour un prénom de garçon, mais Xavier était le seul que nous aimions tous les deux.

La doula entonne la chanson de bienvenue
Maman vient de te mettre au monde
Elle t'a aidé comme elle a pu
Bienvenue à toi dans ce monde
Parmi nous sois le bienvenu

Blotti contre elle, tu sommeilles
Tu sens la chaleur de sa peau
Son cœur bat contre ton oreille
Tu es son rêve en plus beau

Du bout des doigts elle caresse
Le doux duvet de tes cheveux
Avec amour avec tendresse
Elle attend que tu ouvres les yeux

Maman vient de te mettre au monde
Pour partager nos lendemains
Bienvenue à toi dans ce monde
Bienvenue parmi les humains

Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés serrés ainsi, tous les trois, dans la piscine.

Nous avons entendu frapper et ma sœur est arrivée pour rencontrer son neveu et prendre ses premières photos.

Puis tout le monde est parti, et nous sommes restés tous les trois dans notre bulle de bonheur, sous la couette à fleurs. Nous n'avons pas beaucoup dormi cette nuit-là, tellement heureux, émus et émerveillés par ce petit bonhomme si beau, si doux, si paisible, attendu, rêvé, imaginé et enfin dans nos bras.

Nous sommes restés dans cet appartement tous les trois, loin de tout, jusqu'au samedi, seule la sage-femme est venue nous rendre visite tous les jours. Nous avons passé une semaine inoubliable.

Epilogue

Après coup cet accouchement me semble très simple, j'ai même la sensation de ne pas avoir de mots pour le raconter. Mais le chemin pour y arriver ne le fut pas du tout. J'aurais aimé décrire aussi le parcours du combattant que nous avons vécu, avant et aussi après l'accouchement, les découragements, les déceptions, mais je ne pense pas que cela intéresse les gens, d'une part, et je ne me sens pas encore le courage d'aller remuer tout ça, d'autre part.

Plus d'une fois avant la naissance j'ai failli tout laisser tomber pour aller accoucher à l'usine du coin, plus d'une fois après la naissance j'ai ravalé ma rage face aux réflexions, mais R. m'a toujours soutenue et encore aujourd'hui défend bec et ongles l'aad.

Je voudrais simplement faire passer un message aux parents qui souhaitent accoucher à domicile (si la santé de la maman et du bébé le permet, bien sûr) : La naissance de nos enfants nous appartient, nous sommes en droit de choisir où et avec qui nous souhaitons mettre nos enfants au monde même si tous les discours laissent entendre le contraire. Même si l'aad vous semble compliqué, difficile, même si vous vous heurtez à l'incompréhension de votre entourage, du corps médical, même si vous ne connaissez personne l'ayant vécu, même si vous avez des difficultés à trouver une sage-femme, si vous sentez que c'est chez vous que vous voulez donner naissance à votre enfant et nulle part ailleurs, écoutez-vous et foncez.

Adeline