Je pense qu'il est important de profiter de la fusion tant qu'elle est là, et tout aussi important de réaliser qu'elle prend fin quand ça se produit

Je trouve cette question du sevrage des petits pas très petits, vraiment délicate, et pleine de pièges, encore plus par chez nous où si peu de gens ont cette expérience de l'allaitement d'un "grand" ("grand" signifiant malheureusement trop facilement par chez nous "obéissant sous contrôle émotionnel", dans les attentes "standards")...car si je dis que j'en ai marre, entre ceux qui disent "bien fait, t'avais qu'à pas y aller" et ceux qui disent "t'y es t'y restes, c'est ainsi", en effet, où trouver son propre chemin...qui respecte celui de l'enfant.
Personne ne peut répondre à cela même si je suis complètement d'accord avec l'idée que c'est d'abord en me retrouvant moi, en me respectant, que je vais adopter une attitude juste avec mes enfants. Plus je me serais oubliée depuis longtemps, loin, voire mes
parents avant moi, plus c'est difficile.

Sur l'allaitement, je ne crois pas qu'un enfant puisse "s'arrêter tout seul" quand il n'en a plus "besoin" (besoin de quoi ? Qui décide ? Qu'est-ce qu'un besoin ?) : à mon avis c'est une myhtologie qui fait des dégâts : parceque personne n'est jamais seul, ne décide seul dans son coin. L'allaitement est une relation, et cette vision du respect du "besoin" de l'autre me semble en réalité terriblement isolante ! "Je n'ai rien à voir là dedans, c'est lui qui ... " : je fais quoi de mes inévitables influences parentales ? pas seulement pour l'allaitement. Un enfant n'a pas du tout une représentation du "temps" comme la nôtre (qui évolue toute notre vie, de toute manière; à 15 ans, 20 ans 30 ans, 40 ans ...60, 70 85 ans c'est encore autre chose), et en tout cas tant qu'une conception de quelque chose comme la fin, la mort, la finitude, la limite n'est pas là, la décision d'arrêter l'allaitement n'a pas de sens pour lui !
Passer à autre chose, peut-être poussé tranquillement ou abruptement par son entourage, oui, mais quel travail.
Un petit enfant de 2/3 ans a souvent beaucoup d'interrogations sur la vie, la naissance et la mort, il me semble que tant qu'il n'a pas décidé, en réponse personnelle à cette vision de sa finitude et de celles des êtres chers qui l'entourent, d'installer par lui-même quelque chose dans la durée (= avoir un ego), il ne peut décider d'arrêter quoi que ce soit avant de l'avoir épuisé (c'est d'ailleurs un des grands "problèmes" de cet âge, pour tout, et l'entourage aussi !); ça ne veut pas dire qu'il ait les mêmes besoins qu'un nourrisson (qui n'a pas d'interrogations métaphysiques, lui : il a toutes les réponses !). Et si le langage apparaît justement à cet âge, alors la relation peut plus facilement se parler... : c'est vachement bien fait, en fait, pour apprendre à tenir compte de l'autre.

J'ai beaucoup cherché, dans les tous premiers mois d'Elfie, à essayer de voir "combien de temps" (durée, fréquence des tétées, durée de l'allaitement) était "le mieux", avant de voir que PERSONNE ne pouvait répondre à cela, que l'allaitement était bien loin de n'avoir qu'une fonction essentiellement nutritive (ce que je croyais au départ), et que les mieux placés pour répondre c'était nous, tout simplement. Pas elle, ou moi, mais nous. Dans les premiers mois d'allaitement exclusif, c'est simple. Encore quelques mois de rab le temps d'apprendre à manger, ça va encore. Et après, on fait quoi ? Là ça se complique sérieusement . De moins en moins de nutritif, de plus en plus de ...quoi, au fait ? C'est en essayant de voir ce "quoi" que le "sevrage" (en réalité "techniquement" commencé dès la fin de l'allaitement exclusif), et donc notre relation d'allaitement, a suivi son évolution. Qui ne peut être la même pour personne, même si des convergences s'observent : entre autres ce "ras le bol" de la maman, plus ou moins fort, tôt...et sauvage parfois ! (ça me fait penser aux petits mammifères qui se font croquer, battre, griffer, bref chasser par la mère quand elle perçoit qu'ils sont prêts à se débrouiller).
Elfie a eu son petit frère à 3 ans, et j'ai retravaillé à ses 3 mois (temps très partiel, mais quand même). Nous n'avons pas eu le temps de vraiment "conclure", alors elle a repris, 1 an après la naissance de son frère, très peu et en privé (ma limite). Maximilien a eu beaucoup, plus intensément (portage compris), je l'ai quitté 3 fois en 2 ans (pas avant ses 10 mois, 1 h30)...et le "j'en ai marre" monte beaucoup plus facilement en moi ces temps ci (32 mois), ça va, j'ai ma dose !

Nous passons notre temps "sous influence", notre individualité intervient dans le tri, par l'apprentissage de modes de sélection, pas dans la réception des informations qui arrivent toutes, et les enfants sont tellement réceptifs à toutes sortes d'impressions que je ne vois pas comment l'entourage ne serait pour rien dans leurs décisions ! Par exemple sur l'allaitement, si le papa n'est pas d'accord (même sans en être vraiment conscient, sans avoir fait quelque chose manifestement "contre"), l'allaitement est compromis... même
"techniquement" : moins de lait ! La vision de "tout seul comme un grand" au lieu de nous penser comme de multiples carrefours de conscience en interactions constantes (même sans notre participation consciente et active) nuit gravement à notre compréhension de ce qui se joue.
Et dans l'allaitement, modèle d'interaction très proche, l'un des plus proches possible, je pense qu'il ne peut rien y avoir d'unilatéral sans en compromettre le déroulement. C'est au contraire dans la prise de conscience de soi et l'autre que la relation évolue, à la satisfaction de chacun, même - surtout - quand on sent bien que "ce n'est plus comme avant" (aussi incroyable, magique, chouette, sympa...) : il est temps de passer à autre chose, le plus en douceur possible, je trouve. Le "j'en ai marre" si mal connu de la maman (il est rare que les allaitements soient assez longs, le maternage assez proche, pour y arriver) me semble souvent, en réalité, un signal de la solidité de l'attachement, alors on peut prendre de la distance...mais c'est difficile à gérer, très culpabilisant pour la "bonne mère" sauce occidentale qui n'a jamais l'air de prendre une quelconque initiative !
Se faire confiance pour signifier ce non dans le présent, en l'accompagnant pour éviter d'induire abruptement de très inquiétants "jamais" "toujours" (les choses peuvent prendre un sens "définitif" à certains moments...) est de la haute voltige. Pour moi, le "j'en ai marre" est aussi venu d'Elfie, il peut aussi venir du papa (qui ne sont pas tous comme Marcel Rufo, qui refuse de partager le sein avec un nourrisson de plus de 3 mois, le pôvre...) : je ne l'ai pas traité de "jalouse", j'ai compris qu'il était temps de lui refaire plus de place, en ce moment nous roucoulons, c'est comme au bon vieux temps... autrement ! Comme par hasard, de nombreux souvenirs de sa période nourrissonne refont surface.

Il n'est absolument pas nécessaire de formuler quoi que ce soit sur un quelconque sujet, y compris "lui" (qui au départ n'est pas un "lui" constitué), pour qu'un enfant se fasse une idée de ce qu'il croit devoir adopter comme attitude vis-à-vis de ce sujet d'après ce qu'il perçoit de la(des) personne(s) de référence (c'est long à dire, mais ça va très vite). Il peut très bien arrêter de téter, même si personne n'a rien dit, ou même dit "vouloir continuer". Par contre un enfant peut très bien de lui-même se sentir attiré par toutes sortes de choses (et on ne peut l'y obliger ! le "trainer" quelque part, oui, mais mobiliser toute son énergie, ça ne peut être que de lui que ça vient) et en oublier de téter...de plus en plus souvent ! Et de plus en plus longtemps... jusqu'à ce que ce ne soit vraiment plus "d'actualité" : il se rend compte que "ce n'est plus ça", ça tombe bien pour la maman non plus. Personne ne l'a vraiment voulu, ni refusé, ça s'est fait en vivant le présent. Mais si ce présent est noyé sous des attentes, du "non-dit", ça complique...

Je n'aime pas l'idée des "nécessaires frustrations" constructives, au nom desquelles il est impératif de ne pas trop materner les tout petits et de sortir vite fait de la fusion (théorie psy en vigueur)... Tout simplement parceque selon moi il est inévitable "d'en sortir", de la fusion. Ou plutôt "d'en rentrer", car en fait il s'agit bien d'apprendre à fonctionner avec une "unité spatio-temporelle" limitée fonctionnellement (dans son usage courant) : un corps. Quoi qu'on fasse (sauf pour certains autismes, certaines "psychoses", semble
t'il) l'ego apparaitra, bien solide ou au contraire par défaut, engendrant un dedans et un dehors, entre lesquels il conviendra de gérer les échanges. Et cette gestion est bien difficile à apprendre, encore plus à maîtriser, et nos apprentissages s'accompagnent inévitablement de frustrations, parceque "ça ne le fait pas tout de suite comme on veut (pour toujours)".
Alors croire qu'un maternage "trop proche" peut les éviter est bien l'élucubration intellectuelle d'hommes (trahison, c'est aussi repris par des femmes) n'ayant jamais allaité des enfants de 2 ou 3 ans ! Et croire qu'une bonne mère fait tout pour éviter les frustrations à nos enfants est souscrire à cette élucubration, en version "contraire", mais c'est le même postulat : la mère empêche les frustrations, c'est mal, disent les premiers, c'est bien disent les secondes... c'est impossible de les éviter, à ces âges c'est flagrant, dis-je, et il est dommage de se priver des moyens de les accompagner, en s'épuisant à les éviter à tout prix, allaitement ou non.

Je pense qu'il est important de profiter de la fusion tant qu'elle est là, et tout aussi important de réaliser qu'elle prend fin (disparaît du devant de la scène, notre écran intérieur, mais est là en fait) quand ça se produit : ce n'est pas notre volonté qui en décide, pas plus que celle (non construite au départ) de l'enfant. Respecter tout ça demande beaucoup d'attention, et les "ras le bol" qui surgissent dans l'allaitement me semblent un bon indice de cette fin...de la fusion, pas forcément de l'allaitement, mais d'un allaitement "à la demande", satisfaisant naturellement l'un et l'autre, oui. Ah ! Comme ça me semblait simple et facile, ces premiers mois... mais je le dis après, bien sûr ! Sur le moment, les bouleversements, la fatigue de l'accouchement, les ajustements à vivre étaient si importants que la simplicité de l'allaitement d'alors était particulièrement bienvenue. Pas de "non" à l'horizon...que du "oui". mmmhhh. Tristesse.

Quand la prématurité du petit d'homme et de femme commence à laisser la place à un être presque fini (reste à grandir, peaufiner quelques systèmes, mais ça y est on rattrappe les animaux : on peut suivre le troupeau), le PMP (programme maman prioritaire) peut laisser la place à une légitime récupération de la femme par elle-même.
L'ego apparaissant chez l'enfant (3/4 ans, signes annonciateurs 2/3 ans : on a le temps de se préparer) permet à celui de la mère de se réajuster...et réciproquement : en réaffirmant ce qu'elle est, avec la nouvelle donne, elle permet à l'enfant de s'affirmer à sa manière. C'est un besoin "psychique". Dire "non" devient non seulement nécessaire, mais profitable à l'enfant : je lui donne un modèle d'affirmation de ce que je sens. Là je rejoins quelques théories, mais pas parcequ"'il faut frustrer l'enfant pour son bien" : je suis persuadée que si je ne dis pas non dans les moments critiques, je ne me respecte pas, et j'apprends à mon enfant à se forcer...et je préfèrerai que cela ne le frustre pas, eh oui, on ne se refait pas ! Mais je vois que très vite ils apprennent à poser des "non" (et j'en connais 2 qui ne se privent pas).
Ce qui ne signifie pas automatiquement la fin de l'allaitement, mais n'en permet la continuation harmonieuse que si les 2 (avant ils n'étaient qu'1) sont d'accord : avec Maximilien nous apprenons beaucoup l'un de l'autre, à négocier aprement, parfois, depuis quelques mois. "Je tiens compte de toi, et je te demande de tenir compte de moi" : c'est tout l'apprentissage de la relation, merveilleusement prévu dans l'évolution de l'allaitement, vers ce que l'on voit maintenant comme ayant un jour (quand ? nul ne le sait !) une fin. Et malgré cette inéluctabilité, c'est vivre le présent qui nous est profitable : le présent est solide, rassurant, c'est notre terrain de rencontre, on y trouve un accord, là, maintenant; pour après, on ne peut pas savoir. Mais pour moi c'est impératif de passer à ce cap du "j'ai le droit de dire non, c'est mon corps, mes seins, ma vie, ma personne etc..." : j'ai remarqué que si je me "sacrifiais", je le lui faisais "payer" d'une manière ou d'une autre (parole ou geste dur dans la journée...humeur massacrante, nourriture ratée, pas de moments disponibles et sympa etc... : vengeance !). Alors c'est très variable ! Les jours où je suis stressée, je ne suis JAMAIS d'accord... avec rien.

Il semble que si une mère a beaucoup "pris" sur elle, quand elle en a vraiment marre ça peut-être bien au-delà de ce qui a l'air de peser sur elle, ce qui démultiplie le ras le bol "contre" le maternage, même sans allaitement. Et ça fait très mal. J'ai vu des femmes tout a coup prises d'un irrésistible besoin de retravailler, au bout de 2 ans de "bons et loyaux services" : boum ! Plus personne, enfant avec sa maman du jour au lendemain en collectivité toute la journée, par exemple. Affreux. Et les mamans prennent beaucoup trop sur elles, pratiquement toutes, je trouve, parcequ'elles sont trop seules, dans un monde où beaucoup trop de gens sont trop seuls (au sens : isolés). Une autre possibilité est de nier cet irrépressible besoin de l'ego maternel à "reprendre ses droits sur ce qui lui appartient" : son corps, pour commencer. Je continue à donner à téter sans conscience du "non" qui ne peut manquer de se manifester tôt ou tard, je pense : je me coupe de moi-même, comme pour beaucoup d'humains c'est déjà fait, ça continue. La violence des "nons" accumulés, si elle sort d'un coup, peut amener des sevrages très brutaux : "non" pour toujours... sans préavis.

Toutes ces difficultés de l'allaitement long, les mamans qui n'ont pas allaité les vivent aussi, et pour moi je les trouve plus simples à aborder dans l'allaitement : je ne peux pas les ignorer si j'écoute mon corps (ce que j'ai entraîné pendant des années) ! Toutes les interrogations autour des doudous, sucettes, habitudes réconfortantes me semblent plus difficiles parceque je n'y ressens pas la certitude, l'assurance dans mon corps que j'ai bien donné tout ce que je pouvais et que c'est le "bon" moment de dire non, et de me préparer à accueillir les conséquences. Ce moment étant plus incertain à évaluer, la transition peut souvent être imposée au lieu d'évoluer, souvent sous pression sociale (voir les doudous "qu'on laisse dans la caisse à l'entrée" pour la vie en collectivité, les doudous de petits remplacés par des doudous de grands mais l'habitude n'a pas été quittée, en fait, si l'émotion ne s'est jamais faite
totalement expression), même si les mères ont un sens si formidable de l'accompagnement de leurs enfants que là aussi, elles peuvent quand même trouver des paliers de décompression en douceur. Tout ce qui met la mère à distance du nouveau-né et du bébé dans la période fusionnelle peut interrompre le "oui", la rencontre, la "preuve" de l'amour, de l'acceptation inconditionnelle. Les faux "oui" nous interdisent de croire aux vrais "oui", de poser de vrais "non", quand gérer la bonne distance devient affaire de relation, à 2 ... On peut patauger des vies entières, là dedans. Voilà pourquoi je ne peux pas allaiter contre mon gré.

"Je veux bien continuer à te prêter mes seins, mais tu me le demandes"..."toi tu veux, moi je ne veux pas : nous ne sommes pas d'accord"..."ce soir/à la maison/tout à l'heure/quand j'ai fini de ..." : ce n'est pas automatique, ce n'est pas un dû, et j'ai le droit de ne pas être d'accord. C'est ce que je vis avec Maximilien en ce moment. Pour Elfie, la limite de mon espace personnel est encore en négociation quasi-constante (je crois que nous n'avions pas achevé cela à la naissance de son petit frère). Inutile de dire que cet apprentissage est fondateur de bien des qualités relationnelles, immédiatement disponibles pour la vie de tous les jours ! Ainsi, Maximilien est très sensible au fait qu'on lui demande de lui emprunter ce qui est à lui : c'est souvent oui, mais si on lui prend sans rien dire, il est très en colère, à juste titre, je trouve. Et il vient à table "quand il a finit de ...". Forcément. La question est "suis-je prête à lui laisser autant de liberté que ce que je prétends vouloir lui donner ? Est-ce que moi-même j'en dispose, de cette liberté ?".

Valérie, maman d'Elfie et Maximilien