Comment mon bébé est devenu anorexique à son sevrage, au point de compromettre sa vie...

Voici son histoire : un allaitement merveilleux, plein de complicité et qui me donnait de la joie chaque fois que je dégainais mon sein. Ce bonheur me fut arraché. La pédiatre, lors de la visite des 4 mois, m'avait dit que je pouvais allaiter en exclusif jusqu'à 6 mois, puis diversifier doucement et allaiter le matin et le soir très longtemps et surtout tant que cela nous plairait à moi et mon bébé. Ce que j'avais l'intention de faire... Le papa, dépressif, voulait tout arrêter, retrouver sa femme, sa sexualité d'avant bébé. C'était un gamin qui avait le sentiment d'être totalement dépossédé de son jouet... Jaloux qu'il a dit à la pédo-psychiatre ! Jaloux de son fils.
Lorsque Kenny a eu 5 mois, il a levé le poing sur moi, exigeant que je sèvre Kenny sur le champs. J'ai refusé, mais très vite, la violence se faisant plus dure, j'ai obtempéré, en cachant les tétées du matin et du soir. J'ai diversifié mon bébé le midi et au goûter. Mon fils vomissait tout ce que je lui donnais, sans arrêt. A 5 mois et demi, je vais à la PMI, discute avec la pédiatre de ses vomissements et du pourquoi je commençais le sevrage, "je ne veux pas que mon bébé subisse la violence de son père durant les tétées". Du coup, dans un contexte socio-économique alarmant, les vomissements sont passés en second plan. Soulagée d'avoir parler à une oreille attentive, je suis rentrée plus légère. Pendant ce temps, Kenny devenait un bébé taciturne qui réclamait le sein à la place des solides, il jouait calmement, faisait des acquisitions normales, mais... je le voyais peu à peu flotter dans ses vêtements, les photos en sont encore témoins. Son double menton avait disparu, ses plis aux cuisses aussi. Et puis, cette tristesse profonde en réponse à la mienne... bouleversante.

A 6 mois, Kenny a un léger rhume, mon médecin étant absent, je vais prendre celle que j'avais lorsque je vivais à Paris. Elle n'examine pas mon fils, mais nous accueille d'un "Oh ! là ! Déshabillez le". Je m'exécute morte d'angoisse et l'envie soudaine de pleurer. Elle le pose sur la balance et ses paroles, 6 ans après, résonnent encore lugubrement à mes oreilles, je me souviens encore de la sensation que j'ai éprouvé alors : assomée, sans réaction, livide, la gorge nouée par des sanglots qui ne veulent pas sortir, la panique, la sensation du danger imminent... Elle s'est exclamé : "cet enfant est complètement dénutri !" et tout de suite, elle décroche son téléphone, sans rien nous dire, sans nous en parler avant, elle prend rendez-vous en urgence à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, en gastro-entérologie, dès la fin de semaine. C'est le seul rendez-vous où nous aurons Kenny et moi un peu de considération et d'humanité. Le gastro-entérologue nous parle d'hospitalisation, de tests mais nous dit également qu'il tenterait avant cela... que je le remette au sein exclusivement, m'assurant que je n'aurais aucun mal à avoir du lait en suffisance puisque je n'avais pas totalement arrêté. Je sors de là, soulagée. Soulagement de courte durée ! Le papa n'est pas d'accord "c'est d'la connerie ! T'avais qu'à arrêter complètement au lieu de continuer dans mon dos matin et soir". Sans appel ! J'aurais du fuir cet homme, mais il menaçait d'enlever mon fils, faisait des pressions psychologiques. J'ai tout de même tenté de remettre Kenny au sein, mais il avait faim, mes seins pas encore habitués, ne produisaient pas suffisamment avec si peu de tétées... Je n'avais pas les connaissances que j'ai aujourd'hui. Encore un commentaire sans appel de la part de l'entourage mais aussi du papa : "t'as plus de lait, il fallait s'en douter !" Ben oui, plus de lait mais en suffisance pour le matin et le soir. Lasse de me battre toute seule, j'ai laissé tomber et ai repris la diversification la mort dans l'âme mais à la joie du papa et de l'entourage qui pouvait enfin donner à manger à ce bébé.

7 mois et demi, un dimanche, date fatidique pour nous deux, nous sommes à la communion d'un garçon de 13 ans qui est en sursis d'une leucémie. Mon fils se balade de bras en bras, toujours vomissant. Mais il y a quelque chose qui cloche, ce n'est plus des régurgitations normales. Depuis 2/3 heures, il vomit à n'en plus finir. Je décide de l'emmener aux urgences. On passe en box (comme des animaux, à la chaîne !), on me fait déshabillé Kenny, tout maigre, je m'en rends compte et je sens sourdre une indicible angoisse, la même sensation de danger que dans le cabinet parisien du médecin. On lui prend sa température, il a un petit 38. Puis passage sur la balance, passage qui m'a depuis toujours glacée d'horreur et d'inquiétude : 6 kg 300. "C'est normal Madame ?" Je suis affolée, j'ai presque hurlé "Non ! Non ! ce n'est pas normal". Un médecin passe nous voir, examine mon BB et les questions fusent : "qu'est-ce que vous lui donner à manger ?" Je me sens mauvaise mère. Autant que possible, j'explique les conditions qui nous ont amené là, les régurgitations depuis le début du sevrage, la prise du sein matin et soir... "Ah ! Vous donnez le sein ! Faut pas s'étonner qu'il soit dans cet état, alors !" J'ai cru comprendre que Kenny avait une gastro-entérite dans la foulée, qu'il était déshydraté. On me dit sans ménagement que Kenny reste ici, je demande à rester avec lui puisque je lui donne le sein. Pas de commentaire, mais des regards lourds et désapprobateurs. Je pleure, je suis complètement paumée. J'ai fait des études para-médicales, ça aide, mais pas quand c'est son enfant, sa vie, la prunelle de ses yeux... la panique prend le dessus. Une infirmière passe et perfuse Kenny sans ménagement, vite fait bien fait, sans lui parler tandis que moi, je le noie de paroles affectueuses, de mes larmes, lui demandant pardon pour tout ce gâchis. Kenny pleure, il n'est pas bien, fatigué et ne comprenant pas ce qui lui arrive.
Il arrache sa perfusion, le sang remonte dans le tuyau. Je me fais vertement tancée par l'infirmière de ne l'avoir pas empêché me menaçant de l'attacher bras en croix. Je caresse et embrasse mon enfant pour le rassurer, lui demander de ne pas bouger.

Dans sa chambre, om m'apportera les papiers d'admission à signer (le papa et moi n'étant pas mariés, je suis seule détentrice de l'autorité... autorité baffouée à maintes reprises lors du séjour !). Je passe ma première nuit, réveillée par les bip des machines qui surveillent le coeur, la saturation... et par les visites des infirmières toutes les 30 minutes, sur un mauvais lit de fortune. Je donne le sein ce matin là avec bonheur. Mon petit tète avidement. Le repas du midi arrive, Kenny mange, mais revomit presque aussi sec. J'ai passé un week-end à peu près tranquille si j'eccepte que le papa exigeait de moi que je sorte au moins le soir pour lui préparer ses repas. Exigeance à laquelle j'accède seulement si j'ai réussi à endormir Kenny. Kenny ne s'endormait que dans mes bras, avec bercement et gros câlin. En proclive, attaché et sanglé, il m'était difficile d'accès, à moi, sa mère. C'est à ce moment là que j'ai proposé le doudou à Kenny qui ne le quittera plus jusqu'à récemment encore. Il m'était difficile de l'endormir, il pleurait beaucoup. Le soir, je retournais chez moi pour préparer les repas de l'homme, il me ramenait à l'hôpital vers minuit/1 heure du matin, j'étais réveillée toutes les demi-heures par les infirmières, et me levais vers 7 heures. L'épuisement s'est fait sentir vers le 4° jour. Le 5° jour (Kenny est rentré le dimanche soir), je me lève (Kenny avait passé la nuit contre moi dans le lit), je m'apprête à donner le sein. Une antillaise passe par là "Hop ! Attendez, on le pèse avant et après TT". Il n'avait pas pris de poids depuis son arrivée, pas de surprise, mais elle est revenue 1/4 d'heure plus tard, Kenny n'avait pas fini, elle me le prend des bras, le pose sur la balance et avec un air triomphant "je le savais bien qu'il ne prennait plus rien au sein : 80 g ! Pas étonnant qu'il soit si maigre ! Il est temps de lui donner autre chose, vous croyez pas madame ? Bon, je reviens". Kenny interrompu, ne voulait plus reprendre le sein. Elle revient, avec un biberon rempli de bouillie "vous lui donnez ou je le fais ?" Et puis quoi encore ! J'ai pris le biberon en main et lui ai donné, la mort dans l'âme. En sortant, elle a cru bon me dire "ce n'est pas la peine de continuer". La journée a passé, Kenny avait tout vomi, son biberon, son repas solides... Je m'éclipse vers 18 heures pour aller manger un peu (régime sandwich depuis le début de cette aventure !). Je reviens pour donner la TT à Kenny vers 19 heures, comme d'hab... Alors que j'allais rentrer dans sa chambre, on me prévient qu'il dort "Pas grave, je vais attendre qu'il se réveille pour lui donner la TT" et là, on me répond "trop tard, il a déjà mangé : biberon de bouillie et compote. Vous voyez, il n'a plus besoin du sein. C'est vous qui en avez besoin pas lui". Je suis restée estomaquée, pétrifiée. J'ai regardé Kenny à travers la vitre, et je me suis enfuie, j'ai courru, en larmes. Je suis revenue le lendemain matin, très tôt. Pas assez tôt toutefois, Kenny avait déjà été baigné, nourri... sans moi. J'ai ressentie tellement de tristesse, de dépossession de mon rôle de mère.

Nous avons abordé la phase critique. Kenny a été nourri sans moi, sans mon lait, il a vomi tout au long de la journée son bib' et sa compote. Le plateau de midi arrive. Kenny tourne la tête, pince les lèvres, avec une tristesse infinie dans les yeux que moi seule semble voir. Impossible de le faire manger. Le goûter arrive, copieux puisque le repas de midi n'a pas été touché, il refuse tout autant. On se dit que le soir, il va dévorer... le soir, il refuse d'ouvrir la bouche pour attraper cette foutue tétine de bib'. Une infirmière a voulu le forcer, il a recraché aussi sec. C'est la surprise générale : un BB qui fera date dans les annales médicales, un bébéqui refuse sciemment de manger. Le dimanche se passe ainsi : un bib' et une compote le matin et rien jusqu'au prochain matin que bien-sûr il vomit tout au long de la journée. L'angoisse. Le premier jour de ce régime, pas de perte de poids, le deuxième jour, moins 160 g, le troisième jour autant... Il a des blessures aux fesses qui m'intriguent : deux entailles noires. Le lundi, les infirmières pèsent Kenny, toujours en perte de poids, cela devient dramatique, il va descendre en dessous des 6 kg alors qu'il mesure 70 cm. Nous sommes à l'aube de ses 8 mois, dans 3 jours. Ce lundi, je désespère, je sens mon fils me quitter, irrémédiablement. Lorsque j'ai demandé à l'infirmière (la seule avec qui je me suis bien entendue) ce qu'il pouvait bien perdre alors qu'il n'a pas de graisse, elle me répond aussi triste que moi "il y a longtemps qu'il est en phase d'atrophie musculaire" et puis "le danger, s'il ne veut pas remanger, c'est que son coeur ne sera plus alimenté et qu'il va cesser de battre. On le perfusera bien-sûr, mais cela ne sera peut-être pas suffisant à régler ce problème". Le mardi, c'est tout un colloque de médecins, internes, et étudiants qui débarquent dans la piaule de mon fils. C'est la curiosité, le phénomène... de foire ! Mon fils, l'espace de quelques minutes, est devenu un animal de foire que l'on exhibe.
Pas un mot pour moi qu'un bonjour bougonné, à peine audible. Mon fils est posé sur le matelas à langer sans ménagement, manipulé et ausculté sans ménagement, sans parole réconfortante et je ne pouvais y accéder car trop de monde autour de lui, je ne pouvais même pas le voir. Je perçois juste le mot "scanner" et j'ai cru comprendre que l'on était pas sorti de l'auberge !
Cela me tarabuste tellement que je vais voir l'infirmière après déjeuner (que mon fils n'a pas pris d'ailleurs). Je me réveille de ma léthargie, de mon anesthésie émotionnelle et je décide de prendre les choses en main. Je dois sortir mon fils coute que coute de là. J'exige de voir le responsable du service qui suit mon fils. On me dit qu'elle n'est pas disponible, je leur rétorque que l'on ne fera rien à mon fils tant que je ne l'aurais pas vu. Elle arrive dans la chambre pendant la sieste de Kenny. On discute calmement. Je lui demande des explications (et des reproches : votre horde de médecins n'a même pas vu les 2 superbes crevasses aux fesses de Kenny") et les examens qu'elle a envisagé pour mon fils : scanner (pour déceller une anomalie du cerveau qui ferait dérailler la commande appétit), une radiographie, examens de selles et d'urines durant 3 jours non stop, examen sanguin le matin à jeun, tests d'allergie cutanée, endoscopie et prélèvements de muqueuse intestinale.... RIEN QUE CELA ! A ma question combien de temps nous allions rester, estimant plus favorable pour Kenny de rentrer auprès des siens que ce soit pour guérir ou pour mourrir, elle m'a répondu qu'elle estimait une bonne quinzaine de jours. Nous en étions au 11° jour. Ma réponse a fusé : "hors de question. Je vous donne trois jours au delà desquelles je prends mon gosse et vais consulter en externe ailleurs".
Elle est sortie, deux heures plus tard, une infirmière m'annonçait que Kenny avait rendez-vous jeudi matin en endoscopie, jeudi après midi au scanner, le vendredi, à la radio et en suivant les tests d'allergies. Entre temps, les examens sanguins se passaient mal, la crème anesthésiante ne faisait pas effet, il était piqué aux mains, à la tête, aux pieds, dans le cou. A chaque fois l'horreur ! Les poches pour receuillir les urines et les selles lui donnaient une formidable allergie à la colle, ce qui fait que lorsqu'on voulait lui décoller ces foutus poches, il hurlait de douleur. La poche à selles était collée directement sur ses crevasses (encore maintenant, j'ai mal rien que d'y penser). Une infirmière lui arrachait sans ménagement, jusqu'au jour où j'ai menacé du poing, par réflexe, je ne voulais plus que Kenny souffre. Une autre infirmière (notre préférée) est allée chercher un nouveau pansement "seconde peau", en 3 jours, les crevasses avaient disparues.

Le mercredi, convaincu que cette anorexie est mentale, même si les médecins disent le contraire, je demande à voir une pédo-psychiatre. Elle arrive en fin de matinée, Kenny s'est endormi, contre moi. Lorsqu'elle arrive, je ne me doutais pas de la tournure qu'allait prendre le RV. Je commence par lui parler de Kenny, du sujet qui nous inquiète alors et sans que je sache comment, mes larmes coulent, violentes, je me mets à parler de moi, de ma relation avec Kenny, avec son père et de ma propre relation à ma mère et surtout de cela. L'entretien a duré plus d'une heure, elle n'a pas osé m'interrompre dans mon flots de paroles ininterrompues et dans mes larmes.
Lorsque je me suis enfin arrêtée de parler, je suffoquais. Elle a mis fin à l'entretien au moment où Kenny s'est réveillé. Avant de partir, elle a caressé la tête de Kenny tout en lui parlant, de façon très réconfortante en mettant des mots que je n'avais pas su dire à Kenny de mes sentiments, de ma tristesse, de mon désarroi, de mes peurs.... Le soir même, je rentre de mon repas, une infirmière que je croise dans les couloirs m'interpelle "surtout n'y allez pas ! IL MANGE !" Je suis restée à l'écart, j'ai attendu. Lorsque son repas fut fini, il ne l'a pas vomi. Le lendemain, il avait repris le poids de tout ce qu'il avait mangé, il avait 300 grammes de plus et ne s'est plus jamais arrêté.

Kenny a eu malgré tout tous ses RV, dans la douleur la plupart du temps malgré les shoots pour le calmer. Les examens n'ont rien révélé, strictement. On m'a rendu mon BB, comme prévu le vendredi, abîmé (son allergie aux poches-pipi avait la forme d'un erythème géant, épais, brûlant ; les mains, la tête et les pieds bleus à force d'avoir été piqués), traumatisé (à ce jour, il ne peut s'empêcher de pleurer lorsqu'il voit une blouse blanche, lorsqu'on va à l'hôpital, lorsqu'on doit lui faire une petite piqûre...), avec le traitement que j'avais demandé et qui m'avait été refusé, sans un mot ni visite d'aucun médecin, sans excuses pour leurs erreurs ou leur conduite. Mais il va mieux, il a repris un poids normal en moins de 2 mois. Nous avons continué la surveillance à l'hôpital durant 2 mois, chaque semaine, la pédo-psy jusqu'à ses 12 mois, d'abord une fois par semaine, puis tous les 15 jours. Aujourd'hui, c'est un géant, beaucoup plus grand que la moyenne de son âge, il va bien, rarement malade. Mais jusqu'à ses 4 ans, il a eu des passages anorexiques lorsqu'il y avait un conflit, une déception, etc...

Thalie