Comment mon bébé est devenu anorexique
à son sevrage, au point de compromettre sa vie...
Voici son histoire : un allaitement merveilleux, plein de complicité
et qui me donnait de la joie chaque fois que je dégainais mon sein.
Ce bonheur me fut arraché. La pédiatre, lors de la visite
des 4 mois, m'avait dit que je pouvais allaiter en exclusif jusqu'à
6 mois, puis diversifier doucement et allaiter le matin et le soir très
longtemps et surtout tant que cela nous plairait à moi et mon bébé.
Ce que j'avais l'intention de faire... Le papa, dépressif, voulait
tout arrêter, retrouver sa femme, sa sexualité d'avant bébé.
C'était un gamin qui avait le sentiment d'être totalement
dépossédé de son jouet... Jaloux qu'il a dit à
la pédo-psychiatre ! Jaloux de son fils. A 6 mois, Kenny a un léger rhume, mon médecin étant absent, je vais prendre celle que j'avais lorsque je vivais à Paris. Elle n'examine pas mon fils, mais nous accueille d'un "Oh ! là ! Déshabillez le". Je m'exécute morte d'angoisse et l'envie soudaine de pleurer. Elle le pose sur la balance et ses paroles, 6 ans après, résonnent encore lugubrement à mes oreilles, je me souviens encore de la sensation que j'ai éprouvé alors : assomée, sans réaction, livide, la gorge nouée par des sanglots qui ne veulent pas sortir, la panique, la sensation du danger imminent... Elle s'est exclamé : "cet enfant est complètement dénutri !" et tout de suite, elle décroche son téléphone, sans rien nous dire, sans nous en parler avant, elle prend rendez-vous en urgence à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul, en gastro-entérologie, dès la fin de semaine. C'est le seul rendez-vous où nous aurons Kenny et moi un peu de considération et d'humanité. Le gastro-entérologue nous parle d'hospitalisation, de tests mais nous dit également qu'il tenterait avant cela... que je le remette au sein exclusivement, m'assurant que je n'aurais aucun mal à avoir du lait en suffisance puisque je n'avais pas totalement arrêté. Je sors de là, soulagée. Soulagement de courte durée ! Le papa n'est pas d'accord "c'est d'la connerie ! T'avais qu'à arrêter complètement au lieu de continuer dans mon dos matin et soir". Sans appel ! J'aurais du fuir cet homme, mais il menaçait d'enlever mon fils, faisait des pressions psychologiques. J'ai tout de même tenté de remettre Kenny au sein, mais il avait faim, mes seins pas encore habitués, ne produisaient pas suffisamment avec si peu de tétées... Je n'avais pas les connaissances que j'ai aujourd'hui. Encore un commentaire sans appel de la part de l'entourage mais aussi du papa : "t'as plus de lait, il fallait s'en douter !" Ben oui, plus de lait mais en suffisance pour le matin et le soir. Lasse de me battre toute seule, j'ai laissé tomber et ai repris la diversification la mort dans l'âme mais à la joie du papa et de l'entourage qui pouvait enfin donner à manger à ce bébé. 7 mois et demi, un dimanche, date fatidique pour nous deux, nous sommes
à la communion d'un garçon de 13 ans qui est en sursis d'une
leucémie. Mon fils se balade de bras en bras, toujours vomissant.
Mais il y a quelque chose qui cloche, ce n'est plus des régurgitations
normales. Depuis 2/3 heures, il vomit à n'en plus finir. Je décide
de l'emmener aux urgences. On passe en box (comme des animaux, à
la chaîne !), on me fait déshabillé Kenny, tout maigre,
je m'en rends compte et je sens sourdre une indicible angoisse, la même
sensation de danger que dans le cabinet parisien du médecin. On
lui prend sa température, il a un petit 38. Puis passage sur la
balance, passage qui m'a depuis toujours glacée d'horreur et d'inquiétude
: 6 kg 300. "C'est normal Madame ?" Je suis affolée,
j'ai presque hurlé "Non ! Non ! ce n'est pas normal".
Un médecin passe nous voir, examine mon BB et les questions fusent
: "qu'est-ce que vous lui donner à manger ?" Je me sens
mauvaise mère. Autant que possible, j'explique les conditions qui
nous ont amené là, les régurgitations depuis le début
du sevrage, la prise du sein matin et soir... "Ah ! Vous donnez le
sein ! Faut pas s'étonner qu'il soit dans cet état, alors
!" J'ai cru comprendre que Kenny avait une gastro-entérite
dans la foulée, qu'il était déshydraté. On
me dit sans ménagement que Kenny reste ici, je demande à
rester avec lui puisque je lui donne le sein. Pas de commentaire, mais
des regards lourds et désapprobateurs. Je pleure, je suis complètement
paumée. J'ai fait des études para-médicales, ça
aide, mais pas quand c'est son enfant, sa vie, la prunelle de ses yeux...
la panique prend le dessus. Une infirmière passe et perfuse Kenny
sans ménagement, vite fait bien fait, sans lui parler tandis que
moi, je le noie de paroles affectueuses, de mes larmes, lui demandant
pardon pour tout ce gâchis. Kenny pleure, il n'est pas bien, fatigué
et ne comprenant pas ce qui lui arrive. Dans sa chambre, om m'apportera les papiers d'admission à signer (le papa et moi n'étant pas mariés, je suis seule détentrice de l'autorité... autorité baffouée à maintes reprises lors du séjour !). Je passe ma première nuit, réveillée par les bip des machines qui surveillent le coeur, la saturation... et par les visites des infirmières toutes les 30 minutes, sur un mauvais lit de fortune. Je donne le sein ce matin là avec bonheur. Mon petit tète avidement. Le repas du midi arrive, Kenny mange, mais revomit presque aussi sec. J'ai passé un week-end à peu près tranquille si j'eccepte que le papa exigeait de moi que je sorte au moins le soir pour lui préparer ses repas. Exigeance à laquelle j'accède seulement si j'ai réussi à endormir Kenny. Kenny ne s'endormait que dans mes bras, avec bercement et gros câlin. En proclive, attaché et sanglé, il m'était difficile d'accès, à moi, sa mère. C'est à ce moment là que j'ai proposé le doudou à Kenny qui ne le quittera plus jusqu'à récemment encore. Il m'était difficile de l'endormir, il pleurait beaucoup. Le soir, je retournais chez moi pour préparer les repas de l'homme, il me ramenait à l'hôpital vers minuit/1 heure du matin, j'étais réveillée toutes les demi-heures par les infirmières, et me levais vers 7 heures. L'épuisement s'est fait sentir vers le 4° jour. Le 5° jour (Kenny est rentré le dimanche soir), je me lève (Kenny avait passé la nuit contre moi dans le lit), je m'apprête à donner le sein. Une antillaise passe par là "Hop ! Attendez, on le pèse avant et après TT". Il n'avait pas pris de poids depuis son arrivée, pas de surprise, mais elle est revenue 1/4 d'heure plus tard, Kenny n'avait pas fini, elle me le prend des bras, le pose sur la balance et avec un air triomphant "je le savais bien qu'il ne prennait plus rien au sein : 80 g ! Pas étonnant qu'il soit si maigre ! Il est temps de lui donner autre chose, vous croyez pas madame ? Bon, je reviens". Kenny interrompu, ne voulait plus reprendre le sein. Elle revient, avec un biberon rempli de bouillie "vous lui donnez ou je le fais ?" Et puis quoi encore ! J'ai pris le biberon en main et lui ai donné, la mort dans l'âme. En sortant, elle a cru bon me dire "ce n'est pas la peine de continuer". La journée a passé, Kenny avait tout vomi, son biberon, son repas solides... Je m'éclipse vers 18 heures pour aller manger un peu (régime sandwich depuis le début de cette aventure !). Je reviens pour donner la TT à Kenny vers 19 heures, comme d'hab... Alors que j'allais rentrer dans sa chambre, on me prévient qu'il dort "Pas grave, je vais attendre qu'il se réveille pour lui donner la TT" et là, on me répond "trop tard, il a déjà mangé : biberon de bouillie et compote. Vous voyez, il n'a plus besoin du sein. C'est vous qui en avez besoin pas lui". Je suis restée estomaquée, pétrifiée. J'ai regardé Kenny à travers la vitre, et je me suis enfuie, j'ai courru, en larmes. Je suis revenue le lendemain matin, très tôt. Pas assez tôt toutefois, Kenny avait déjà été baigné, nourri... sans moi. J'ai ressentie tellement de tristesse, de dépossession de mon rôle de mère. Nous avons abordé la phase critique. Kenny a été
nourri sans moi, sans mon lait, il a vomi tout au long de la journée
son bib' et sa compote. Le plateau de midi arrive. Kenny tourne la tête,
pince les lèvres, avec une tristesse infinie dans les yeux que
moi seule semble voir. Impossible de le faire manger. Le goûter
arrive, copieux puisque le repas de midi n'a pas été touché,
il refuse tout autant. On se dit que le soir, il va dévorer...
le soir, il refuse d'ouvrir la bouche pour attraper cette foutue tétine
de bib'. Une infirmière a voulu le forcer, il a recraché
aussi sec. C'est la surprise générale : un BB qui fera date
dans les annales médicales, un bébéqui refuse sciemment
de manger. Le dimanche se passe ainsi : un bib' et une compote le matin
et rien jusqu'au prochain matin que bien-sûr il vomit tout au long
de la journée. L'angoisse. Le premier jour de ce régime,
pas de perte de poids, le deuxième jour, moins 160 g, le troisième
jour autant... Il a des blessures aux fesses qui m'intriguent : deux entailles
noires. Le lundi, les infirmières pèsent Kenny, toujours
en perte de poids, cela devient dramatique, il va descendre en dessous
des 6 kg alors qu'il mesure 70 cm. Nous sommes à l'aube de ses
8 mois, dans 3 jours. Ce lundi, je désespère, je sens mon
fils me quitter, irrémédiablement. Lorsque j'ai demandé
à l'infirmière (la seule avec qui je me suis bien entendue)
ce qu'il pouvait bien perdre alors qu'il n'a pas de graisse, elle me répond
aussi triste que moi "il y a longtemps qu'il est en phase d'atrophie
musculaire" et puis "le danger, s'il ne veut pas remanger, c'est
que son coeur ne sera plus alimenté et qu'il va cesser de battre.
On le perfusera bien-sûr, mais cela ne sera peut-être pas
suffisant à régler ce problème". Le mardi, c'est
tout un colloque de médecins, internes, et étudiants qui
débarquent dans la piaule de mon fils. C'est la curiosité,
le phénomène... de foire ! Mon fils, l'espace de quelques
minutes, est devenu un animal de foire que l'on exhibe. Le mercredi, convaincu que cette anorexie est mentale, même si
les médecins disent le contraire, je demande à voir une
pédo-psychiatre. Elle arrive en fin de matinée, Kenny s'est
endormi, contre moi. Lorsqu'elle arrive, je ne me doutais pas de la tournure
qu'allait prendre le RV. Je commence par lui parler de Kenny, du sujet
qui nous inquiète alors et sans que je sache comment, mes larmes
coulent, violentes, je me mets à parler de moi, de ma relation
avec Kenny, avec son père et de ma propre relation à ma
mère et surtout de cela. L'entretien a duré plus d'une heure,
elle n'a pas osé m'interrompre dans mon flots de paroles ininterrompues
et dans mes larmes. Kenny a eu malgré tout tous ses RV, dans la douleur la plupart
du temps malgré les shoots pour le calmer. Les examens n'ont rien
révélé, strictement. On m'a rendu mon BB, comme prévu
le vendredi, abîmé (son allergie aux poches-pipi avait la
forme d'un erythème géant, épais, brûlant ;
les mains, la tête et les pieds bleus à force d'avoir été
piqués), traumatisé (à ce jour, il ne peut s'empêcher
de pleurer lorsqu'il voit une blouse blanche, lorsqu'on va à l'hôpital,
lorsqu'on doit lui faire une petite piqûre...), avec le traitement
que j'avais demandé et qui m'avait été refusé,
sans un mot ni visite d'aucun médecin, sans excuses pour leurs
erreurs ou leur conduite. Mais il va mieux, il a repris un poids normal
en moins de 2 mois. Nous avons continué la surveillance à
l'hôpital durant 2 mois, chaque semaine, la pédo-psy jusqu'à
ses 12 mois, d'abord une fois par semaine, puis tous les 15 jours. Aujourd'hui,
c'est un géant, beaucoup plus grand que la moyenne de son âge,
il va bien, rarement malade. Mais jusqu'à ses 4 ans, il a eu des
passages anorexiques lorsqu'il y avait un conflit, une déception,
etc... Thalie |