Face au sentiment d'inutilité (voir de gène) ressenti devant la couveuse, je me sentais pleinement maman et utile à tirer mon lait.

J'ai mis au monde (maternité niveau 3) un très grand préma (5 mois et demi) et dans l'hôpital il y avait un service de "biberonnerie" (et "diététique infantile") qui s'occupait de préparer les biberons et recueillir le lait maternel, le "traiter" et faire toutes les préparations (les préma ne le reçoivent pas tel quel au début, il est notamment enrichi)...et quand notre bébé a pu sortir de l'hôpital (3 mois et demi après sa naissance), ils avaient un stock d'une quarantaine de litres (j'ai beaucoup tiré, même la nuit) de mon lait qui a été jeté...aux égouts!!!
Ils voulaient que je le récupère, je n'ai pas voulu (je voulais allaiter en direct, moi !!!). j'ai proposé de le donner à un lactarium (c'était celui de Strasbourg, le plus près) et ils m'ont découragé : procédure compliquée (papiers, analyse de sang...) et papati et patata. Moi j'étais complètement dans les choux, vidée et très stressée de cette longue hospitalisation et me suis laissée convaincre. C'était au dessus de mes forces, d'aller chercher l'info ailleurs.
Et donc aujourd'hui, je regrette énormément de n'avoir pas fait la démarche, d'autant qu'il suffisait d'un voyage pour tout récupérer et qu'il y avait sûrement encore du lait bien adapté aux prémas. Pffffff.

Sinon, je dois dire que j'ai été plutôt encouragée à allaiter, du moins le temps des soins intensifs (réanimation). On m'a posée la question : "voulez vous allaiter" de suite après la naissance (ce qui m'a fait du bien, vu que le pronostic vital était très incertain) et on m'a apporté un tire lait dans ma chambre (+ explications).
Par contre pas d'infos concrètes sur les bienfaits de l'allaitement, mais un discours toujours très positif sur le lait maternel.
Pas d'infos non plus sur comment tirer (fréquence, rythme...). Pas de conseillère en lactation, pas de liens vers des sites internet, rien du tout. Pas de témoignages de mamans ayant réussi leur allaitement. Pas de soutien psychologique non plus.
Je demandais les biberons vides, et les rendais remplis. C'est tout.
J'étais très motivée à allaiter durant ma grossesse, et avais déjà un projet d'allaitement. Je pense que ça m'a aidée.
Ils m'ont quand même dit de "tenir" jusqu'à la première tétée mais qu'ensuite je serai trop fatiguée et que jamais une maman n'est sorti de là en allaitant encore son bébé (né comme Coline). Pas très encourageant !!!

Autour de moi, j'ai du voir plus de bébés biberonnés que de mises au sein. D'ailleurs je ne supportais pas de voir une maman mettre son bébé au sein, c'était insoutenable pour moi (j'ai du attendre 1 bon mois avant de prendre mon bébé dans les bras, quelques minutes ... et 8 semaines avant la toute première mise au sein).En attendant c'était dur de voir d'autres mamans connaître le bonheur de prendre son bébé et de lui proposer le sein.
J'ai discuté avec la maman d'un petit gars né au même terme que notre Coline et qui avait commencé à allaiter (elle trouvait ça génial et regrettait de ne l'avoir pas fait pour ses 2 aînés) et son petit a eu de gros soucis de santé et a du être transféré dans un autre hôpital pour être opéré d'urgence...et d'un coup, plus de lait (choc psychologique). C'est vraiment très difficile de vivre cette épreuve (grande prématurité et suite) et on est soumis à un stress immense qui a des retentissements sur notre santé.

Sinon c'est vrai que notre allaitement est très difficile à vivre, complètement contrôlé par le corps médical, aucune initiative permise, pas de possibilité de rester avec son bébé, et on est bien loin de "la demande" du bébé. Très loin.
Il existe des centres qui pratique la méthode kangourou et je suppose que l'allaitement y est facilité.

Tirer son lait pendant cette période n'a pas été une contrainte pour moi, au contraire, ça m'a beaucoup aidé à surmonter l'épreuve, la séparation. C'est tout ce qu'il me restait pour me sentir mamam.
Face au sentiment d'inutilité (voir de gène) ressenti devant la couveuse, je me sentais pleinement maman et utile à tirer mon lait.
Heureusement que j'ai pu le faire.
Par contre pour donner le sein à son bébé, c'est vraiment compliqué et difficile (il faut la complicité du personnel, que le bébé soit prêt, hors ce sont les horaires qui régissent tous les soins, pas d'intimité, alarmes qui sonnent sans cesse, durée limitée, trajets pour la maman...grande fatigue)

Ensuite, quand Coline a quitté la réa pour la néonat, les choses se sont encore gâtées.
J'ai accumulé beaucoup de fatigue et de tension (je voulais faire toutes les tétées de la journée), et Coline a eu des "soucis" de santé (transit, pet huileux, selles très abondantes...), moi aussi car j'avais beaucoup trop de lait (et là une conseillère en lactation m'aurait beaucoup aidée).
Je donnais le sein à Coline et vidais ensuite le sein au tire lait, tant j'en avais. Elle n'avait jamais accès au lait de fin de tétée. J'en ai parlé au personnel et ils m'ont dit que le lait avait toujours la même composition et que ça n'avait pas d'importance (ce qui est faux ndlr).

Bref, ça été difficile et lors d'une 2 ième hospitalisation (à cause de son transit) ils m'ont interdit l'allaitement. Elle a été au lait industriel une petite semaine à la néonat (impossible de contester, et j'étais extrêmement épuisée avec une lymphangite, beaucoup de température, clouée au lit chez moi). Je suis allée voir Coline plusieurs fois, c'était déchirant: elle cherchait le sein, et je ne reconnaissais plus mon bébé (odeur différente).
A la sortie de l'hôpital, le pédiatre nous a bien formellement interdit l'allaitement (une infirmière m'a aussi dit "de penser à Coline plutôt qu'à moi", ben voui quand je tirais mon lait la nuit, c'était par pur égoïsme !!!).

Heureusement qu'une merveilleuse maman de la LLL (anim dans le 34, trèèès loin de chez moi !!!) m'a alors soutenue par internet et tel.
Même mon zhom ne voulait plus que j'allaite.
On a galéré longtemps encore avec ces soucis, mais bon aujourd'hui c'est bien fini et elle est toujours allaitée (presque 2 ans !!!).

D'un côté j'ai été soutenue, par le corps médical et de l'autre pas du tout. En tout cas, l'information sur la physiologie de la lactation est toujours défaillante.

Comme d'autres l'ont dit, c'est aussi un problème de moyens et de budget. L'allaitement leur parait bien dérisoire par rapport à toute la technicité déployée pour sauver ces petits prémas, et pourtant....D'ailleurs, dans les pays qui n'ont pas ce niveau de technicité, mais qui pratiquent la méthode kangourou, les taux de mortalité et de morbidité n'y sont pas plus élevés que chez nous.

Je sais aussi que le litre de lait maternel revient très cher au lactarium car ils font toute une batterie de test dessus.

Voilou pour mon expérience.

Sans tous ces problèmes, je n'aurai pas connu la LLL, la lacta, l'allaitement long et j'aurai été beaucoup moins proche de mon bébé. Alors je positive et essaye d'oublier toutes ces mésaventures.

Isabelle, maman de Coline, 22 mois (57)