FACTEURS INFLUENÇANT LA DENSITE OSSEUSE ET LA PREVALENCE DE L'OSTEOPENIE

Determinants of bone density and prevalence of osteopenia among female runners in their second to seventh decades of age. JH Gibson, M Harries, A Mitchell, R Godfrey, M Lunt, J Reeve. Bone 2000 ; 26(6) : 591-98.

Cette étude sectionnelle croisée avait pour but d'évaluer les facteurs affectant la densité osseuse chez 124 femmes, âgées de 16 à 68 ans, adeptes de la course à pied, et s'entraînant au moins 3 heures par semaine...
Le nombre total de mois d'allaitement était positivement corrélé à la densité osseuse au niveau lombaire. Les apports en calcium et la masse grasse n'avaient aucun impact significatif sur la densité osseuse, quel que soit le site du squelette étudié.


ALLAITEMENT ET RISQUE DE FRACTURE DU COL DU FEMUR

Breastfeeding and other reproductive factors and the risk of hip fracture in elderly women. RG Cummings et al. Int J Epidemiol 1993 ; 684-91.

Cette équipe australienne a étudié 311 femmes âgées de plus de 65 ans pour déterminer divers facteurs de risque de fracture du col du fémur. Les femmes qui ont accouché sans jamais allaiter avaient un risque de fracture du col du fémur 2 fois plus élevé que les femmes qui avaient allaité.

En étudiant de façon plus détaillée l'impact de l'allaitement, ils ont constaté que plus la durée totale d'allaitement avait été longue, et plus le risque de fracture du col du fémur était bas. Un allaitement de 9 mois et plus pour chaque enfant réduit de 25% le risque de fracture par rapport à l'absence d'allaitement pour cet enfant.

ALLAITEMENT ET DENSITE OSSEUSE

La récente publication, dans le JAMA, d'une étude sur les changements de densité osseuse observés pendant l'allaitement, a bénéficié d'une grande publicité. Un certain nombre d'articles, écrits après lecture " en diagonale " de cette étude, ont reçu des titres du genre : " Perte de densité osseuse chez les femmes allaitant plus de six mois ", " L'allaitement est mauvais pour les os "..., sans aucune considération pour l'impact sur les lecteurs. Tant les mères que les professionnels de santé se demanderont, devant de tels échos, si l'allaitement n'est pas susceptible d'induire des troubles de la minéralisation ou une ostéoporose. Or, ni cette étude, ni d'autres effectuées sur le sujet, n'ont démontré un tel effet.

De nombreuses études ont été conduites pour étudier la façon dont le corps de la mère utilise le calcium et les autres sels minéraux pendant la grossesse et l'allaitement, pour couvrir ses besoins et ceux de son enfant.
L'étude parue dans le JAMA confirme un fait connu depuis longtemps, à savoir que, pendant l'allaitement, l'équilibre hormonal particulier de la mère permet au calcium et à d'autres sels minéraux d'être déplacés des os pour servir à la synthèse du lait. Les mères qui allaitent plus de quelques mois verront donc leur densité osseuse diminuer, mais ensuite, l'équilibre hormonal revenant à son niveau antérieur, la densité osseuse revient à la normale. Cette baisse transitoire de la densité osseuse est observée même quand les apports calciques sont élevés, et en dépit du fait que l'absorption et l'assimilation du calcium sont plus élevées pendant et après l'allaitement (Specker 1991, Kent 1990, Hillman 1981, Hayslip 1989, Cole 1987, Stevenson 1979).

Pourquoi l'étude de Sowers a-t-elle reçu autant de publicité ? Cela est difficile à dire, mais il est probable que cela est en rapport avec la crainte de l'ostéoporose, observée après un certain âge, et cause importante de fracture pour un traumatisme minime. Lors de la croissance de l'être humain, on observe une importante augmentation de la masse osseuse pendant l'enfance et l'adolescence, avec une densité osseuse maximale vers la trentième année, et qui diminue ensuite progressivement. Tant les hommes que les femmes peuvent être atteints d'ostéoporose, bien que sa prévalence soit plus élevée chez les femmes après la ménopause. Il existe une prédisposition raciale et génétique, ainsi que des facteurs de risque tels que la sédentarité, l'alimentation, l'alcoolisme, la tabagie... Etant donné l'augmentation du nombre de personnes âgées actuellement observée dans les pays industrialisés, l'ostéoporose devient un important problème de santé. Il n'existe pas, actuellement, de traitement réellement efficace de cette pathologie. Le facteur le plus important semble la prévention, et en particulier l'obtention d'une masse osseuse importante pendant la période de croissance. Cependant, il existe peu d'études sur le meilleur moyen d'obtenir et de garder une densité osseuse élevée. Et l'allaitement a été, pendant des années, suspecté de favoriser l'ostéoporose, à cause de son impact transitoire sur le métabolisme calcique de la femme allaitante.
Diverses études épidémiologiques ont confirmé que ces variations de densité osseuse liées à l'allaitement n'avaient pas d'impact à long terme. Pendant ces 15 dernières années, nombre d'études se sont penchées sur les facteurs de risque de l'ostéoporose observée en post-ménopause. De nombreux facteurs ont été étudiés : âge, imprégnation oestrogénique, nombre de grossesses, durée des allaitements... Dans certaines études, des femmes souffrant de fractures dues à l'ostéoporose ont été comparées à des femmes du même âge en bonne santé (Kreiger 1982, Aloia 1985, Cummings, 1993). Un certain nombre d'études ont mis en évidence le fait que les femmes qui n'avaient pas allaité ou qui n'avaient allaité que peu de temps présentaient un risque plus élevé d'ostéoporose. Il n'a pas été trouvé de relation significative entre l'allaitement et la perte de densité osseuse par la suite.
Deux études ont même mis en évidence une densité osseuse plus élevée chez les femmes qui avaient allaité (Aloia 1983, Hreshchyshyn 1988). Certaines études ont donné prise à la critique, car les auteurs n'avaient pas tenu compte de facteurs tels que les apports calciques, l'âge de la mère lors des allaitements, le niveau d'activité physique, ou parce que la technique de mesure de la densité osseuse ou le site où elle était mesurée étaient sujets à caution.
Cependant, une récente et importante étude, conduite suivant un protocole soigneusement établi, a donné les mêmes résultats (Kritz-Silverstein, 1992).
Si certains aspects du métabolisme calcique sont actuellement bien connus ,il existe encore des zones d'ombre méritant des recherches. Une étude parue il y a un certain temps était nantie d'un titre provocateur: " l'allaitement apporte-t-il suffisamment d'éléments pour assurer une croissance et une minéralisation osseuse adéquate pendant la première année ? " (Chan 1982).
Les chercheurs se posaient cette question, car le calcium est présent dans le lait humain en quantité nettement inférieure aux apports couramment recommandées. Depuis, de nouvelles découvertes semblent montrer que, si ces recommandations peuvent éventuellement être adaptées aux enfants nourris au lait de substitution, elles surestimeraient nettement les besoins des enfants allaités. Le calcium du lait humain, s'il est en quantité inférieure, bénéficie d'une biodisponibilité bien supérieure. Le bébé peut absorber environ 67% du calcium du lait humain, contre 25% de celui du lait de vache. L'âge de la mère, la parité et l'alimentation, même s'il y a prise de suppléments, n'ont qu'un impact minime sur le taux lacté de nombreux sels minéraux. Le taux de calcium retrouvé dans le lait ne présente que des variations de faible amplitude chez des mères du monde entier, en dépit des larges variations d'apport calcique observées dans l'alimentation de ces mères.

Les pays industrialisés sont de gros consommateurs de produits laitiers, et la consommation moyenne de calcium dans nos pays est beaucoup plus élevée que celle observée dans d'autres pays. La raison couramment donnée pour un apport élevé de calcium est l'obtention d'os et de dents solides. Cependant, il est à noter que, dans d'autres pays où les apports calciques sont nettement inférieurs aux nôtres, les populations ne souffrent pas pour autant de problèmes dentaires ou de fractures par déminéralisation. En outre, les femmes de ces pays, population la plus susceptibles d'avoir des apports de calcium très inférieurs à ceux recommandés, pour cause de pauvreté ou de culture excluant les produits laitiers, sont souvent aussi celles qui sont le plus souvent enceintes, et les plus susceptibles d'allaiter longtemps. Or, il a été démontré que la prévalence de l'ostéoporose était basse chez elles. Il semble évident que le corps humain est capable de s'adapter à la quantité de calcium présente dans ses apports alimentaires, et d'utiliser le calcium avec d'autant plus d'efficacité que l'apport calcique est bas.

Le Dr Allan Cunningham, dans une lettre publiée en 1983 dans la revue Pediatrics, suggérait que le corps humain peut devenir " dépendant " d'un apport calcique excessif. Il disait, par exemple, que " la minéralisation osseuse d'animaux dont l'alimentation contenait un apport important de calcium n'était pas meilleure que celle d'animaux dont les apports calciques étaient bas ; en outre, les animaux habitués à un apport calcique élevé avaient plus de difficultés à maintenir leur équilibre calcique quand ils étaient âgés. " Il en concluait qu'il lui semblait nécessaire de revoir les recommandations couramment faites quant aux apports en protéines, calcium et phosphore en particulier, afin de permettre l'adaptation de l'organisme à des apports moins importants, et de promouvoir sa faculté à maintenir un équilibre adéquat.
Le lait humain est " l'étalon or " pour l'alimentation des enfants. On doit donc en conclure que les taux de calcium et autres sels minéraux du lait humain représentent non seulement ce qui est adéquat pour la croissance du petit de notre espèce, mais qu'ils représentent en outre l'idéal en la matière non seulement à court terme, mais aussi pour l'équilibrage des métabolismes à long terme. Il est très possible que le taux de calcium plus bas du lait maternel soit en fait un avantage à long terme pour les enfants, et tout particulièrement pour les femmes qui auront eu la chance d'être allaitées pendant leur petite enfance.
Aucune des études citées ci-dessus ne s'est penchée sur l'impact de l'allaitement sur la minéralisation future. Une étude récente l'a fait (Hirota et al, 1992). Cette étude a recherché les corrélations entre la densité osseuse et 60 facteurs divers chez 161 jeunes femmes asiatiques. Un des facteurs étudiés était le mode d'alimentation dans l'enfance. 56,5% de ces femmes avaient été allaitées, 13% avaient été nourries au lait de substitution, et 30,4% avaient reçu une alimentation mixte. Ces femmes ont été réparties en 4 groupes en fonction de la qualité de leur minéralisation. Dans le groupe dont la densité osseuse était la plus basse, 48% des femmes avaient été allaitées, contre 72% dans le groupe dont la minéralisation osseuse était la plus élevée. La densité osseuse moyenne était
significativement plus basse chez les femmes qui avaient été nourries au lait de substitution que chez celles qui avaient été allaitées. Certes, ce sont les résultats d'une seule étude, et ils doivent être confirmés par d'autres recherches. Ils mettent cependant en lumière la possibilité d'un nouvel avantage à long terme de l'allaitement maternel.

D'après un article de R Lufkin. Leaven Nov-Dec 93.
Références
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