LES BEBES VEULENT ETRE PORTES

Franz Renggli, Basel 25.04.2001

On trouve chez les mammifères 2 formes de développement de la relation mère-enfant, et du développement du petit : les nidifuges et les nidicoles. Chez les premiers, le petit se déplace dès la naissance comme les adultes, et suit sa mère, ou son troupeau où qu'il aille. C'est le cas par exemple chez les buffles ou les chevaux. Chez les nidicoles, comme par exemple les souris ou les chats, les petits naissent sans fourrure, les yeux fermés, et ils sont toujours plusieurs. Ils restent dans un nid, où leur mère les élève.

Par contre, la situation est tout autre chez les singes, nos proches cousins : dans leur cas, c'est la mère qui est le " nid ". Le petit s'agrippe avec les mains et les pieds à la fourrure de sa mère, et il est porté de manière ininterrompue pendant la première période de sa vie. Ainsi porté, au contact corporel rassurant de sa mère, un petit singe est la plupart du temps calme. Et dans le cas où le petit se met à pleurer ou à gémir, sa mère réagit immédiatement, ce qui est aussi tout à fait sensé au niveau biologique : si le petit perd son agrippement d'une main ou d'un pied, il est menacé de mort, vu que les singes se déplacent principalement dans les arbres.

L'être humain a perdu sa fourrure il y a 4-5 millions d'années, lorsqu'il a quitté la forêt vierge, et qu'il s'est installé dans les savanes sèches et les steppes d'Afrique. Et malgré le temps passé depuis lors, les bébés humains naissent encore et toujours avec les mains et les pieds fermés, comme s'ils allaient s'agripper " à la fourrure " de leur mère. Les civilisations dites " primitives " ont cette connaissance et cette intuition de la vie, et c'est la raison pour laquelle les petits sont constamment portés, et dorment contre le corps nu de leur mère pendant la nuit. Toutes les personnes ayant eu l'occasion d'observer ces peuples en sont revenues surprises de la tranquillité des bébés, visiblement calmés par le fait d'être en contact corporel constant avec leur mère ou une autre personne de référence. Mais il faut toutefois souligner que dans ces cultures, il y a toujours 10 à 20 personnes qui s'impliquent à s'occuper d'un bébé. On constate chez un petit enfant un besoin archaïque de contact corporel, ou, autrement dit, une peur archaïque lorsqu'il perd ce contact physique.

Les civilisations dites " développées " se démarquent par une séparation précoce et conséquente de la mère et de l'enfant. La règle veut que plus le degré de civilisation est élevé, plus la séparation est précoce et radicale, ce qui est visiblement une adaptation émotionnelle à l'aliénation de la vie en ville. Ainsi, un noyau de peur et de panique est comme imprimé à l'intérieur de chaque être humain. Mais on peut aussi dire que c'est aussi la source éternelle de toute notre curiosité pour la technique et notre créativité artistique : une beauté à couper le souffle, que nous pouvons admirer, dispersée autour du monde.

Dans les civilisations " développées ", les mères et les enfants sont séparés depuis des millénaires. C'est n'est que dans les années 1970 que les mères de notre culture ont recommencé à allaiter leurs enfants, à les porter davantage, et même de les accepter dans leur lit pendant la nuit, selon les circonstances. Les enfants peuvent maintenant à nouveau être rassurés au contact de leurs parents. Et ce serait l'idéal si non seulement les parents pouvaient s'entraider pour cela, mais qu'encore au moins 10 personnes pouvaient contribuer à les décharger dans cette tâche, comme dans les cultures primitives. Car plus le lien entre l'enfant et sa mère est solide, plus l'enfant est rapidement prêt à créer des relations à d'autres personnes. Un éloignement millénaire des mères et des bébés est en train d'être transformé par des parents alternatifs : on offre de nouveau au bébé la proximité dont il a besoin et qu'il souhaite ardemment. Ce " processus de guérison " est déjà si avancé, que, dans les cliniques progressistes, on ne sépare plus les mères des nourrissons après la naissance.

Est-ce que la mère, ou les parents, n'est pas dépassée émotionnellement par ce processus ? car, en tant que bébés, une telle proximité était interdite. Tout d'abord, une maman ne devrait porter son bébé qu'autant que cela lui paraît bon, et qu'elle le supporte physiquement. Ensuite, elle devrait chercher autant d'aide extérieure que nécessaire. Pour le bébé, à quoi sert-il d'avoir une maman qui est toujours là pour lui, et s'effondre, " dépressive ", à la fin de sa première année ? On peut dire que la tâche principale, la plus importante de la mère réside dans le fait de bien s'occuper d'elle-même, et, en quelque sorte, d'être une bonne mère envers elle-même. Si elle se sent bien, le bébé le ressentira aussitôt.

Mais il reste encore un troisième aspect à considérer : les parents d'un bébé, dont les vieux traumatismes et vieilles blessures se sont réveillés, parfois même déjà pendant la grossesse.
C'est leur propre " bébé intérieur " qui pleure, car en tant qu'enfants, ils n'avaient pas le droit de pleurer, de crier. De tels parents ont la chance de pouvoir ainsi découvrir toutes leurs anciennes blessures, associées à de la tristesse, du désespoir et de la colère, et de s'en libérer. Ce " bébé intérieur " qui pleure est réveillé par leur enfant qui pleure. Ces parents ne veulent plus éduquer leurs enfants, mais ce sont les enfants qui deviennent les " enseignants " des parents. Et en tant que thérapeute de bébés et de leur famille, je voudrais encore insister sur ce point : chaque larme pleurée par le bébé au contact corporel de sa mère ou de son père est synonyme de guérison. Mais il s'agit aussi d'une guérison potentielle pour les parents eux-mêmes, s'ils parviennent à s'écouter, à écouter leur propre corps, à reconnaître et à accepter ce que les pleurs de leur bébé réveillent en eux. C'est ainsi que l'on peut dire qu'un petit enfant est une chance énorme pour les parents de se guérir eux-mêmes ! Il est cependant important dans ce processus, que la mère et le père soient puissent se soutenir émotionnellement l'un l'autre, ou qu'ils puissent l'un et l'autre mobiliser les ressources nécessaires : amitiés, activités, créativité ou spiritualité, qui leur donne de la joie, leur permettent de retrouver des forces ou de redonner un sens à leur vie.

Un dernier mot concerne les bébés qui pleurent beaucoup, et qui mènent ainsi leurs parents parfois au bord de l'épuisement. Les bébés souffrant des coliques des 3 mois, ou d'autre maladie, les bébés dont la grossesse a été difficile ou la naissance pénible. Les parents de tels enfants ne doivent pas essayer de tenir le coup plus longtemps, et attendre que les pleurs de leur enfant diminuent peu à peu et finalement s'arrêtent. Ces parents ne doivent pas avoir honte d'aller rechercher de l'aide de professionnels, pour eux et pour leur bébé. Souvent, il suffit d'une première consultation pour apporter une amélioration importante pour les bébés comme pour les parents.

Franz Renggli
Psychanalyste et psychothérapeute corporel
Traitement des bébés et de leurs parents
Auteur de différents livres spécialisés sur la relation précoce entre parents et enfants
Nonnenweg 11, 4055 Bâle
Tel. 061 271 62 32