TOUR D'HORIZON SUR LE LAIT HUMAIN

Texte de La Leche League France

Une des particularités des mammifères est de produire un lait spécifiquement adapté à tous les besoins de leurs petits. La lactation est une caractéristique qui confère un avantage particulier en ce qui concerne la survie du petit de l'espèce. Ce qui est exact pour les autres mammifères l'est aussi pour l'homme. La science s'est beaucoup penchée sur la nutrition de l'enfant, mais essentiellement pour en déduire la composition du lait industriel " idéal " pour le nourrisson ; il est intéressant de constater qu'on en sait davantage sur la lactation chez les mammifères élevés par l'homme pour leurs capacités laitières que sur la lactation humaine. Cependant, les études de plus en plus nombreuses publiées sur le lait humain nous amènent à reprendre conscience du fait que le lait humain est spécifiquement conçu pour répondre à tous les besoins du petit de notre espèce, et que la complexité de sa composition est très supérieure à ce qu'on a longtemps pensé.

Dès le début du 20ème siècle, des articles scientifiques ont été publiés sur la mortalité beaucoup plus élevée constatée chez les enfants qui n'étaient pas allaités. Mais il a fallu attendre les dernières décennies du 20ème siècle pour avoir l'explication de cet état de fait, grâce aux nombreuses études effectuées sur les facteurs immunologiques du lait humain.

Les facteurs nutritionnels

La composition du lait humain est régulée par divers mécanismes complexes. Sauf quelques exceptions, une carence maternelle ou un excès d'apports n'auront pas d'impact significatif sur la composition générale du lait. Dans la mesure où les apports nutritionnels de l'enfant allaité représentent la norme, la connaissance de ces apports est importante. Les enfants peuvent tolérer une certaine marge de variation dans les taux des divers nutriments qu'ils absorbent, mais toute déviation importante par rapport aux limites de la normale est susceptible d'avoir de graves conséquences sur la croissance et la santé de l'enfant, comme le montrent la morbidité et la mortalité plus élevées chez les enfants qui sont nourris au lait industriel.

Le lait humain contient plusieurs milliers de constituants répartis dans plusieurs phases : une phase aqueuse, une phase colloïdale caséïnique, une phase de lipides en émulsion, des cellules vivantes. Il est difficile de donner une composition exacte pour le lait humain, dans la mesure où il varie suivant les femmes, et chez une même femme, suivant les caractéristiques génétiques, la durée de la gestation et le temps écoulé depuis l'accouchement, les techniques d'expression, de stockage et de dosage…

Protéines

Le taux de protéines passe en moyenne de 15,8 g/l dans le colostrum à 8-9 g/l dans le lait mature. Ces protéines ont un rôle nutritionnel, mais la plupart sont aussi ou surtout des facteurs protecteurs, des facteurs de transport pour les vitamines, des hormones, des enzymes… Le taux de protéines du lait humain est l'un des plus bas parmi tous les laits, ce qui est en accord avec la croissance staturale beaucoup plus lente du petit humain par rapport à celle des autres petits mammifères. Une bonne partie (20 à 25%) de l'azote présent dans le lait humain provient de sources non protidiques, qui comportent plus de 200 molécules différentes telles que les acides aminés libres, la carnitine, la taurine, des sucres aminés, des acides nucléiques, des nucléotides, des polyamines…Le statut nutritionnel maternel peut avoir un impact sur les composants azotés du lait. Une étude a observé un taux plus bas de protéines et d'immunoglobulines dans le lait de mères colombiennes malnutries. Même chez des femmes bien nourries, le pourcentage des protéines dans l'alimentation a un impact sur certains facteurs protidiques du lait.

Glucides

Le lactose est, après l'eau, le constituant principal en poids du lait humain. De 20 à 30 g/l dans le colostrum, son taux atteint environ 70 g/l dans le lait mature. C'est aussi le composant dont le taux présente les plus faibles variations individuelles. Le lait humain contient aussi du glucose, à un taux très bas (0,02 g/l). On y trouve aussi des nucléotides glucidiques, des glycolipides, des glycoprotéines et des oligosaccharides, ces molécules étant susceptibles d'avoir aussi des effets biologiques chez l'enfant allaité.

Les oligosaccharides sont parmi les glycoconjugués les mieux étudiés. Le lait humain est remarquable pour ce qui est du taux particulièrement élevé et de la variété de ses oligosaccharides complexes (le lait des ourses et celui des marsupiaux sont les seuls autres laits à s'approcher du lait humain dans ce domaine, probablement en raison de la très grande immaturité des petits de ces espèces à la naissance). La plupart des sucres sont présents sous forme glycoconjuguée : fucose, acide sialique, galactose, mannose… Le taux lacté d'oligosaccharides varie suivant la durée de la gestation, celle de la lactation, l'heure de la journée, et certains facteurs génétiques maternels tels que le groupe sanguin. Par exemple, après un accouchement à terme, les taux d'acide sialique et de N-acétylglucosamine baissent pendant les 13 premières semaines de la lactation. Le lait pré-terme est plus riche en oligosaccharides. Le taux lacté est le plus élevé vers 19 heures (en soirée). Les oligosaccharides résistent très bien à la digestion, et cette dernière n'affecte guère leurs propriétés biologiques.

Lipides

Les lipides représentent la source la plus importante de calories dans le lait humain. 97 à 98% de ces lipides sont sous forme de triglycérides. Le taux lacté de lipides varie entre 30 et 50 g/l, et représente 45 à 55% des apports caloriques de l'enfant. Ils sont de loin la classe de nutriments qui présente les variations les plus importantes. La multiparité et une production lactée plus importante sont associées à un taux plus bas de lipides. La composition du lait change aussi pendant la tétée, le taux de graisse étant plus élevé en fin de tétée. Le lait humain est riche en acides gras essentiels à longue chaîne, comme l'acide linoléique, et l'acide alpha-linolénique, ainsi qu'en leurs dérivés, l'acide arachidonique et l'acide docosahexaénoique. Le nourrisson se caractérise par une immaturité pancréatique, et le lait humain apporte un équipement enzymatique qui facilitera la digestion des graisses et leur assimilation par l'enfant. Le taux d'acides gras polyinsaturés à longue chaîne est plus élevé dans le lait de mères ayant accouché prématurément, vraisemblablement pour couvrir les besoins plus importants des prématurés.

Il semble que les femmes ayant des réserves lipidiques basses ont un taux lacté plus bas de lipides, et compensent en ayant une sécrétion lactée plus abondante. Les apports alimentaires maternels ont aussi un impact important sur la composition des lipides lactés ; par exemple, lorsque l'alimentation maternelle est pauvre en graisses et riche en glucides, la synthèse lipidique mammaire est plus importante, et le lait est plus riche en acides gras en C6-C10 et C12-C14. La nature des graisses consommées par la mère se reflètera au niveau des lipides lactés. On estime qu'environ 40% des variations individuelles constatées quant aux taux des divers acides gras polyinsaturés sont en rapport avec les différences d'apports alimentaires. De nombreuses études ont constaté que la prise par la mère d'un supplément d'huile de poissons riche en acide docosahexaénoïque augmentait le taux lacté de cet acide gras. Le rapport entre les acides gras en n-3 et en n-6 dans l'alimentation se reflètera sur ce même rapport au niveau des acides gras lactés. Dans les pays occidentaux, les apports des différents chefs de file de ces séries ont beaucoup évolué avec les modifications de notre alimentation depuis quelques décennies. Or, dans la mesure où ces acides gras sont impliqués dans la synthèse de diverses prostaglandines, un déséquilibre du rapport entre les séries en n-3 et en n-6 peut avoir un impact significatif sur la santé (sur le risque d'allergies par exemple).

L'apport alimentaire joue aussi au niveau des isomères des acides gras (forme spaciale). Leur forme " naturelle " est la forme " cis ". La forme " trans " apparaît lors de l'hydrogénation des acides gras naturels. Or, cette forme isomérique semble présenter des risques pour la santé. Les apports alimentaires en acides trans sont très variables d'une population à l'autre, et d'une personne à l'autre au sein d'une même population. Dans notre pays, on estime la consommation quotidienne d'acides gras trans à 3 à 13 g/jour (huiles hydrogénées, margarines, produits alimentaires industrialisés). Dans les régions méditerranéennes, où le principal corps gras consommé est l'huile d'olive et où la consommation d'aliments cuisinés industriellement est beaucoup plus basse, les apports en acides gras trans sont habituellement inférieurs à 1 à 2 g/jour. Ces acides gras trans représentent 6 à 7% des acides gras dans le lait de mères américaines, contre moins de 0,5% dans le lait de mères chinoises.

Les acides gras représentent non seulement une source importante d'énergie, mais ils ont aussi d'importants rôles, pour la maturation du système nerveux, la myélinisation, le transport des vitamines liposolubles… Ils sont aussi les précurseurs de médiateurs importants tels que les prostaglandines, les thromboxanes, les leucotriènes. Ils participent à la défense du nourrisson vis-à-vis des parasites et des virus.

Vitamines

Le taux lacté de vitamine A semble dépendre essentiellement des apports alimentaires maternels. Ce taux est élevé dans le colostrum, puis baisse dans le lait mature avant de se stabiliser. Le lait humain contient aussi de nombreux caroténoïdes. Le taux lacté de vitamine D peut varier dans la proportion de 1 à 10, et il est fonction du statut maternel pour cette vitamine. Si la mère a des apports alimentaires faibles et s'expose insuffisamment à la lumière du jour, l'enfant allaité pourra présenter un rachitisme. Les études évaluant l'adéquation aux besoins de l'enfant du lait humain pour ce qui concerne la vitamine D donnent des résultats peu concluants, et une supplémentation en vitamine D est généralement recommandée chez les enfants allaités. Le taux lacté moyen de vitamine K est de 2 à 3 µg/l ; il est peu affecté par les apports alimentaires maternels, mais une supplémentation maternelle de 5 à 20 mg/jour de vitamine K permettra de l'augmenter significativement. Le taux de vitamine E passe de 8 mg/l dans le colostrum à 3-4 mg/l dans le lait mature ; il est peu affecté par l'alimentation maternelle.

Le lait de mères correctement nourries contient en moyenne 100 mg/l de vitamine C, soit un taux 8 à 10 fois plus élevé que le taux plasmatique maternel ; le taux lacté de cette vitamine est peu modifié par la prise de compléments de cette vitamine. Le taux lacté de vitamine B1 est bas dans le colostrum, et nettement plus élevé dans le lait mature, ainsi que celui de la vitamine B3 et de la vitamine B6. Celui de vitamine B2 baisse au contraire, ainsi que celui de la vitamine B12 et des folates. Le taux lacté de ces vitamines du groupe B du groupe B dépend beaucoup des apports maternels ; il est amplement suffisant chez les mères bien nourries, mais peut devenir trop bas lorsque la mère est carencée.

Minéraux

Dans l'ensemble, le taux lacté des minéraux n'est pas corrélé aux apports maternels. De plus, leur biodisponibilité dans le lait maternel est maximale. Le taux lacté de la plupart des minéraux semble être régulé par un gradient osmolaire entre les principaux ions (sodium, chlorure et potassium) et le lactose. Les taux de calcium, phosphore et magnésium sont plus ou moins indépendants du statut maternel ; tout au plus peut-on noter l'existence d'un taux lacté de calcium légèrement plus bas chez les mères dont les apports en calcium sont bas. Le lait humain contient aussi de nombreux oligo-éléments : fer, cuivre, zinc, manganèse, sélénium…

Hormones et facteurs de croissance

Les enzymes du lait humain peuvent se diviser en plusieurs classes : celles qui sont nécessaires à la fabrication des divers composants du lait et à leur excrétion ; celles qui ont une action connue chez l'enfant, en compensant par exemple l'immaturité de son système enzymatique digestif (faible taux de lipase, absence d'amylase…) ; et celles dont le rôle chez la mère ou l'enfant reste inconnu à ce jour.

On a décrit de nombreuses hormones, dont la structure dans le lait est différente de leur structure plasmatique chez la mère, parce qu'elles sont glycosylées ou phosphorylées par la glande mammaire avant d'être excrétées dans le lait. Ces différences de structures peuvent être à l'origine d'un impact différent. Ces hormones peuvent soit être synthétisées par la glande mammaire, soit provenir de la circulation sanguine maternelle, soit être une combinaison des deux. Si certaines hormones peuvent avoir une fonction au niveau de la glande mammaire, comme les corticostéroïdes, l'insuline ou la prolactine, d'autres n'en ont aucune et leur présence dans le lait semble avoir pour unique raison un rôle chez l'enfant. La prolactine, par exemple, est présente dans le lait, sous forme d'isomères différents des isomères plasmatiques. Elle est nécessaire au développement neuroendocrine. Pour les molécules provenant du sang maternel, la résistance à la digestion après absorption par l'enfant est améliorée par des modifications de leur structure au niveau de la glande mammaire avant excrétion dans le lait. Dans la mesure où les hormones et les facteurs de croissance peuvent avoir des impacts très variés au niveau de la croissance, de la différenciation et de la maturation fonctionnelle de nombreux tissus, il reste difficile d'apprécier exactement leur impact chez l'enfant. Cet effet peut être immédiat (pendant l'allaitement) ou différé (impact à long terme).

Ce n'est que récemment que l'attention s'est portée sur le phénomène de " programmation métabolique ". L'alimentation reçue pendant les premiers mois pourrait avoir un impact décisif sur le fonctionnement à long terme de notre métabolisme, et donc sur la prévalence d'un certain nombre de maladies. Le lait humain a un impact sur le développement et la maturation du tractus digestif, du système immunitaire et du système nerveux, qui pourrait affecter nos fonctions biologiques pendant toute la vie. Les oligosaccharides, les mucines, les glycoprotéines, les gangliosides… sont importants pour les membranes cellulaires et les récepteurs membranaires. Des études ont constaté un moins bon développement neurologique chez des enfants qui n'avaient pas été allaités. D'autres ont observé que le développement cognitif était d'autant plus élevé que l'allaitement avait été long. On ne sait pas encore exactement à quoi est dû cet impact. Mais des études chez des animaux ont constaté que les apports en acide sialique avaient un impact important sur le développement cognitif. Or, les apports en acide sialique des enfants nourris au lait industriel représentent moins de 20% de ceux des enfants allaités. Ces derniers ont des taux salivaires d'acide sialique 2 fois plus élevés que les enfants nourris au lait industriel. Les glycoconjugués modulent aussi le métabolisme des sphingolipides ; ces derniers sont des composants essentiels des structures nerveuses. La saposine et son précurseur, la prosaposine, sont des glycoprotéines présentes dans le lait humain ; toutes deux sont nécessaires au métabolisme des sphingolipides. Le taux lacté de prosaposine est élevé dans le colostrum, il baisse dans le lait de transition, puis remonte dans le lait mature.

L'allaitement est recommandé pendant au moins les 12 premiers mois, mais la majeure partie des études effectuées sur les aspects nutritionnels de l'allaitement sont faites pendant les 3 premiers mois de la lactation. Des études évaluant l'impact nutritionnel d'un allaitement long sur la mère et sur l'enfant seraient nécessaires. Ces études pourraient même avoir des applications très intéressantes pour les enfants qui ne sont pas allaités. L'adéquation des laits industriels pour les nourrissons ne peut pas être déduite uniquement à partir de la liste de leurs composants, en raison de l'importance de la forme moléculaire de ces composants, de leurs interactions, des différences de biodisponibilité… Mesurer la croissance des enfants recevant ces laits industriels n'est pas suffisant ; il faudrait aussi faire des études sur la biodisponibilité des nutriments du lait industriel.

Les facteurs immunocompétents

De très nombreuses études ont constaté que les facteurs protecteurs du lait humain étaient directement responsables de la morbidité et de la mortalité plus basses chez les enfants allaités. Les enfants nourris au lait industriel, qui ne bénéficient pas de cette protection, ont une fréquence plus élevée de pathologies infectieuses : diarrhées, infections respiratoires, otites, entérocolite ulcéronécrosante, infections urinaires, mort subite du nourrisson … Ils ont aussi un risque plus élevé de pathologies immunologiques comme la maladie de Crohn, la maladie cœliaque, les lymphomes ou l'asthme, bien que cet impact du non-allaitement reste plus controversé. Des études ont aussi constaté que le non-allaitement était susceptible d'avoir un impact à long terme sur notre métabolisme, et en particulier sur les facteurs de risque cardio-vasculaire.

La principale raison de cet état de fait est que le système immunitaire du nourrisson est immature, cette immaturité étant particulièrement importante chez le prématuré. En conséquence, l'enfant est beaucoup plus " fragile " que l'adulte. Le lait humain apporte de nombreux facteurs palliant cette immaturité, ainsi que des facteurs qui modulent et accélèrent la maturation du système immunitaire de l'enfant. Ces facteurs sont très nombreux ; ils sont spécifiques et non spécifiques, et il semble que la plupart des composants du lait humain, y compris ceux ayant avant tout un rôle nutritionnel, jouent un rôle au niveau immunologique. Outre tous les facteurs protecteurs qu'il apporte, le lait humain favorise la mise en place chez l'enfant d'un système immunitaire performant. Les facteurs protecteurs du lait humain ont en commun un certain nombre de caractéristiques :
§ ils agissent essentiellement au niveau des muqueuses ;
§ ils résistent bien à la digestion ;
§ ils agissent souvent en synergie ;
§ ils évitent les réactions inflammatoires ;
§ leur taux lacté est dans l'ensemble inversement corrélé aux capacités du système immunitaire de l'enfant.

Des facteurs spécifiques …

Toutes les classes d'immunoglobulines sont présentes dans le lait. Toutefois, les IgA sont de loin les plus abondantes : l'enfant en absorbe 4 g pendant son premier jour de vie, et il en reçoit 1 g/jour à partir de J4. Elles représentent 70 à 80% de toutes les Ig présentes dans le lait humain. Ces IgA sont fabriquées par des cellules qui ont migré depuis les plaques de Peyer et le tissu lymphoïde bronchique de la mère jusque dans le tissu interstitiel mammaire, et sont ensuite excrétées dans le lait par transcytose. Elles protègent l'enfant vis-à-vis de tous les germes présents dans l'environnement habituel de la mère et de l'enfant.

… et non spécifiques …

On a longtemps pensé que l'impact protecteur de la lactoferrine était corrélé à sa capacité de fixer le fer, et de le rendre indisponible pour tous les germes pathogènes ayant besoin de fer pour proliférer. On sait maintenant que ses mécanismes d'action sont beaucoup plus complexes. La lactoferrine contient un peptide, la lactoferricine, qui est bactéricide vis-à-vis de l'E coli, des Klebsiella, du Pseudomonas, du Protéus, du Yersinia, des Staphylocoques, de la Listéria… La lactoferrine détruit les germes responsables de mycoses, et lyse les cellules tumorales. Elle est anti-inflammatoire par son impact inhibiteur sur la sécrétion d'interleukines et de prostaglandines, elle active les cellules T killer, module l'activité du complément…

Le lysozyme lyse les parois bactériennes, stimule la production d'IgA, active les macrophages, et accélère la destruction des bactéries. Son taux lacté augmente avec le temps. Le taux de lysozyme est beaucoup plus élevé dans le lait humain que dans le lait de vache. Cette enzyme résiste à la digestion, mais pas aussi bien que les IgA et la lactoferrine. La caséine est une protéine essentiellement nutritionnelle, mais elle a aussi un impact important sur la flore digestive, en favorisant fortement la croissance du Bifidobacterium bifidum, et en limitant la prolifération des germes pathogènes. Sa digestion induit la libération de casomorphines ; ces petits peptides ont des effets comportementaux et immunomodulateurs. Le lait humain contient aussi et entre autres de la fibronectine, de la protectine, les protéines du complément.

… inhibent les germes pathogènes,

Les oligosaccharides et les glycoconjugués sont des molécules glucidiques complexes qui inhibent la fixation de très nombreux germes pathogènes. Parmi tous les laits de mammifères, le lait humain est unique pour sa richesse en oligosaccharides complexes ; plus de 100 oligosaccharides différents ont été décrits, et ils représentent un composant important du lait humain en quantité (environ 15 g/l). Ils favorisent aussi la croissance d'une flore intestinale optimale, et limitent la croissance des bactéries pathogènes.

Les glycoconjugués participent à l'impact protecteur du lait humain vis-à-vis des infections. Ils inhibent de nombreux germes pathogènes. Par exemple, les entérotoxines d'E coli et du vibrion cholérique sont inhibées par les gangliosides, ainsi que par les oligosaccharides fucosylés. Les toxines sécrétées par les Shigella sont inhibées par le globotriaosylcéramide, un glycolipide. Les rotavirus sont inhibés par la mucine et la lactadhérine. Les glycoconjugués favorisent aussi l'installation d'une flore digestive spécifique, qui empêche la prolifération des germes pathogènes. Le virus respiratoire syncytial est inhibé par les gangliosides et par la lactoferrine. Cette dernière inhibe aussi le CMV, et elle inhibe le VIH in vitro. Le VIH est aussi inactivé par des glycosaminesglycanes.

L'un des mécanismes d'action les plus importants des glycoconjugués est la prévention de l'adhésion du germe sur sa cellule cible. Ce mécanisme est en rapport avec la structure moléculaire des glycoconjugués, qui est similaire à celle des récepteurs utilisés par la plupart des germes pathogènes ; ces derniers viennent se fixer sur le glycoconjugué plutôt que sur la cellule cible. De très nombreuses études ont constaté ce mécanisme. Par exemple, lorsque le CMV a pénétré dans les fibroblastes, son développement ne pourra plus être stoppé. S'il est fixé par un glycoconjugué, il ne pourra plus pénétrer dans la cellule. Mais ce mécanisme n'est pas le seul. La lactoferrine agit aussi en fixant le fer, qui ne pourra plus être utilisé par les germes pathogènes pour leur multiplication. Une glycoprotéine riche en histidine fixe le cuivre et le zinc, ce qui augmente leur biodisponibilité pour l'enfant ; une autre glycoprotéine joue le même rôle pour la vitamine B12. Les glycoconjugués ont aussi un rôle important pour l'excrétion biliaire. Les IgA stimulent le développement du système biliaire. Le taux des acides biliaires conjugués indispensables pour la digestion des lipides est plus bas chez les enfants nourris au lait industriel que chez les enfants allaités. La lipase activée par les sels biliaires (une enzyme importante pour la digestion des graisses) est bien étudiée, et elle est glycosylée de façon importante avec du fucose, du galactose, de la glucosamine, de la galactosamine, et de l'acide sialique.

Le lait humain contient un taux significatif de glycoprotéines. Les cytokines sont d'importantes glycoprotéines. Elles agissent au niveau de la communication intercellulaire et de l'activation du système immunitaire. On retrouve aussi des glycoprotéines dans la membrane des globules lipidiques du lait humain ; elles semblent agir au niveau de la reconnaissance des antigènes, et donc dans la protection de l'enfant vis-à-vis des germes pathogènes. Le lait humain contient aussi des glycoprotéines phosphorylées.

… stimulent le système immunitaire,

La protectine est un glycolipide qui protège les cellules sanguines, endothéliales et épithéliales. Les glycosphingolipides du lait humain, qui sont essentiellement des galatosylcéramides, sont importants pour le développement des structures neurologiques. Les gangliosides favorisent le développement du cerveau. Le rapport des 2 principaux gangliosides du lait humain (GD3 et GM3) varie suivant le moment de la lactation. Les glycosylphosphatidylinositols ont été découverts récemment. Le lait humain contient aussi diverses enzymes participant au métabolisme des glycoconjugués : fucosyltransférases, galactosyltransférases, N-acétylglucosaminetransférase, neuramidinase… Ces enzymes peuvent elles-mêmes avoir un impact, en se fixant sur divers antigènes, ou en stimulant les mécanismes de défense immunitaire.

La taille du thymus est moins importante chez les enfants nourris au lait industriel que chez les enfants allaités. Il est possible que ce soit en rapport avec une moins bonne stimulation de la fabrication des lymphocytes T. La maturation du système immunitaire favorisée par le lait maternel protège l'enfant vis-à-vis des allergies, des maladies auto-immunes et des pathologies inflammatoires. Des études ont retrouvé une prévalence plus élevée d'allergie et d'asthme chez les enfants qui avaient été nourris au lait industriel. Ces derniers souffrent aussi plus souvent de wheezing, de bronchites, d'arthrite rhumatoïde, et de maladie de Crohn plus tard dans la vie. Des études ont aussi constaté une prévalence plus élevée de diabète et de certains cancers chez les enfants nourris au lait industriel, bien que ces résultats demandent à être confirmés.

On sait moins de choses sur les gangliosides ou les glycosamineglycanes. Les vésicules lipidiques du lait agissent selon deux mécanismes : leur membrane de glycoconjugués fixe les bactéries et les virus, tandis que les triglycérides, les acides gras libres et les monoglycérides ont un rôle lytique sur l'enveloppe des bactéries, des virus et des protozoaires ; leur impact est favorisé par les lipases du lait.

… ou en modulent les réactions.

Les cytokines sont des immunomodulateurs. La production de cytokines est faible chez les nourrissons. On a déjà constaté la présence de nombreuses cytokines dans le lait humain, et on continue encore à en découvrir de nouvelles. Certaines d'entre elles favorisent ou suppriment les réactions inflammatoires, et leur rôle exact chez le nourrisson reste inconnu. Le lait contient aussi des récepteurs solubles pour les cytokines. Parmi les molécules ayant des propriétés anti-inflammatoires, on peut citer aussi les vitamines A, C et E (qui agissent essentiellement comme des antioxydants), des enzymes telles que la catalase ou la glutathione peroxydase, des prostaglandines, des enzymes inhibitrices, des facteurs de croissance (comme le TGF-alpha). Les cellules présentes dans le lait peuvent adhérer à l'épithélium intestinal et passer dans la circulation sanguine de l'enfant. Les nucléotides du lait humain semblent agir essentiellement au niveau de la muqueuse intestinale.

Certaines enzymes ont une fonction immunitaire. Les protéases et les anti-protéases modulent la protéolyse des protéines du lait, dont les fractions pourront avoir des rôles spécifiques. La lipase dépendante des sels biliaires transforme les triglycérides en acides gras et en monoglycérides, et contribue donc à l'activité antibactérienne et antivirale de ces fractions. L'acétylhydrolase du platelet-activating factor protège le tractus digestif du nourrisson.

Les facteurs anti-inflammatoires du lait humain comprennent des vitamines (A, C, E), des enzymes, des prostaglandines, des inhibiteurs enzymatiques, des inhibiteurs de protéases, des facteurs de croissance qui accélèrent la maturation de la muqueuse intestinale, des cytokines anti-inflammatoires, et des récepteurs spécifiques des cytokines inflammatoires. Les hormones présentes dans le lait humain (cortisol, insuline, thyroxine), les facteurs de croissance et les cytokines jouent un rôle important dans la mise en place des défenses immunitaires de l'enfant.

Le lait humain contient aussi des cellules immunologiquement actives : macrophages, polynucléaires neutrophiles, lymphocytes, cellules épithéliales. Les lymphocytes appartiennent essentiellement à la lignée T : CD4 et CD8. La colonisation sélective de la glande mammaire par des souches de lymphocytes T mémoire pourrait être l'un des mécanismes de protection spécifiques vis-à-vis des germes présents dans l'environnement. Ces cellules ont la capacité de survivre dans le tube digestif de l'enfant, et de sécréter divers facteurs biologiquement actifs, tels que des hormones, des facteurs de croissance et des cytokines, qui passeront dans la circulation de l'enfant. Ces cellules sont aussi capables de traverser la muqueuse digestive et de migrer vers d'autres sites chez l'enfant.

En conclusion

Il reste encore beaucoup de choses à découvrir et à étudier sur la composition du lait humain. Tout permet de penser que le lait humain joue un rôle important non seulement pour la protection de l'enfant pendant la période d'allaitement, mais aussi à plus long terme, en raison de son impact sur la mise en place du système immunitaire de l'enfant. Ce que nous savons actuellement sur la composition du lait humain, et tout ce que nous continuons à apprendre, permet d'affirmer que l'impact de l'allaitement sur la santé de l'enfant justifie pleinement les efforts actuels de promotion de l'allaitement.

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