Editorial n° 14 - avril 2005

 

Profession : mère à part entière !

Je suis toujours agaçée d'avoir à cocher la case "sans profession " des formulaires divers et variés car être mère au foyer c'est tout sauf être inactive.

Etre femme et mère au foyer aujourd'hui, ça veut dire quoi ?

Avoir une vie en marge de la vie économique et sociale ?
Pas forcément, même si c'est le miroir que l'on nous tend. Une vie relationnelle riche est possible à travers la vie associative que l'on peut mener sans se séparer de ses enfants.

Un sacrifice de sa carrière au profit de sa famille ?
Quelle carrière ? Cela nous ramène au sens de la vie. Travaille-t-on pour vivre ou vit-on pour travailler ? Notre épanouissement passe-t-il nécessairement par le travail ? Peut-être parfois mais rarement "toujours"... De quoi se rappelle-t-on le jour du grand bilan ?...

Un don de soi ?
Oui, c'est certain. Mais n'est-ce pas dans le don que l'on se trouve ?
On donne au quotidien de son temps, de son corps, de sa disponibilité d'esprit. Mais c'est alors et alors seulement qu'on peut en récupèrer les bénéfices.
A vouloir ménager la chèvre et le chou on ne contente personne et à courir deux lièvres à la fois, on perd les deux, comme le prétend si justement le bon sens populaire.

J'ai eu mes deux aînées tout en travaillant à temps plein dans un secteur passionnant mais prenant, l'audiovisuel. J'ai connu les nuits blanches à monter des films, le stress de la vie d'entreprise (la mienne), le champagne des gros contrats, les moments de gloire et les moments d'angoisse. J'ai aussi testé les adaptations avec les nounous et les crèches, le sevrage forcé, la cavalcade pour arriver avant la fermeture de la garderie, les maladies des enfants qui tournent au cauchemar !
Mais j'ai surtout beaucoup perdu car je suis passée à côté de bien des moments de bonheur sans le savoir. Maintenant je sais tout ce que j'ai raté...

Alors j'ai finalement choisi d'être là pour mes enfants. De les accueillir quand ils reviennent de l'école, de les écouter, de les protéger, de les promener, de les instruire des choses de la vie et de toutes sortes de tâches, de m'amuser avec eux, de les vêtir, de les nourrir, de leur raconter des histoires, de les soigner, de les caliner, d'être là quand ils sont malades et quand ils ne le sont pas, mais, au contraire, pleins de vitalité et de joie à partager.

Vous me direz que je peux me permettre ce choix car les activités de mon conjoint font bouillir la marmite familiale. Certes, mais c'est parfois seulement une question de réflexion et de choix.
Avoir une vie professionnelle intense génère de nombreux frais. Avoir du temps pour faire les choses permet aussi de faire des économies importantes. L'un dans l'autre on peut s'y retrouver en apprenant à discerner besoins et envies.

J'aurais pu avoir ce rythme bien plus tôt mais j'avais été élevée -comme nous toutes- dans l'idée d'avoir un métier et de l'exercer, alors je l'ai fait sans réfléchir un instant et n'ai pas envisagé de m'arrêter à la naissance de mes premiers enfants... jusqu'à ce qu'une dépression me cloue chez moi et me fasse réfléchir au sens de la vie et à ses priorités.

L'autre jour, je me balladais avec ma bambine de 21 mois sur le dos lorsque nous croisons une dame que je connais. Elle s'extasie sur sa bouille heureuse et décidée, m'interroge sur ma situation et m'envie de pouvoir m'occuper d'elle.
Elle me dit aussi qu'elle s'ennuie dans sa retraite toute neuve et combien elle trouve dommage d'avoir du temps maintenant que son fils est grand alors qu'elle n'en avait pas à lui consacrer lorsqu'il était enfant. Il est aujourd'hui devenu un jeune adulte paumé qu'elle ne sait pas aider, après avoir été un adolescent révolté et un enfant à problèmes. Je sens de l'amertume dans ses mots et dans son regard, le sentiment d'avoir été flouée...

Je sais que je ne regretterai pas ce choix. Car c'est celui de la vie. Ce que je vis aujourd'hui est bien plus profond, bien plus fort, bien plus riche et bien plus gratifiant car les sentiments qui m'animent sont moins superficiels que ceux qui m'habitaient lorsque je travaillais à l'extérieur.

Je m'occupe de ma famille et de notre foyer, lieu de repos et de ressourcement de ceux qui me sont le plus cher. J'ai une activité associative riche et variée, que je peux exercer avec ma bambine qui me suit partout. J'ai ce site qui vit en permanence et vous remercie d'être là à le consulter ! J'ai mon activité d'auteur photographe toujours en éveil. Je suis épanouie car j'ai le sentiment d'être à ma place. Enfin ! Je n'ai jamais eu autant de projets et autant de force pour les mener.

Je ne me suis jamais sentie autant utile à ma famille, aux autres et à la communauté.

Emmanuelle Blin

Réactions d'internautes :

Emmanuelle,
J'aurais pu écrire presque mot pour mot chaque ligne de ton édito ! Moi aussi, une dépression a été le départ d'une nouvelle vie... et dire qu'on me plaint de "ne pas avoir de contacts sociaux" alors que je n'en ai jamais eu autant et d'aussi bonne qualité ! Je ne cours plus, je ne survis plus, je vis ! Et je savoure chaque moment avec ma famille : mon homme que j'envoyais ballader souvent parce-que "pas le temps", mon fils que je peux garder les jours de fièvre et qui ne reste plus de 8h à 18h30 à l'école, ma fille née depuis mon arrêt et avec qui je me permets le luxe d'un allaitement exclusif long...

Je donne et je reçois tant d'amour !

Pascale, Théo (05/07/00), Roxane (31/07/04) - (81)
"Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants" A. De Saint-Exupéry
http://avancer.canalblog.com/

Merci Emmanuelle pour cet éditorial qui mes les mots exacts sur mes pensées.

Amandine, maman heureuse et comblée de Louise et Amélie

J'ai arrêté totalement (enfin, congé parental...) de travailler il y a 9 mois (tient !?!) alors que mes fils avaient respectivement 8 ans, 5 ans et 16 mois... Auparavant, je travaillais à mi-temps à 350 km de chez moi 2 ou 3 jours par semaine... En en parlant hier avec avec mon aîné, il retient, lui, que j'étais avec eux 2 ou 3 jours par semaine et non l'inverse... Ce congé, je me le suis autorisée en l'imposant à mon compagnon qui n'en voyait pas la nécessité :-(((... Quand je lui expliquais qu'après avoir eu l'impression, l'illusion, d'être à deux endroits à la fois, je ne me sentais plus nulle part, c'était comme si je lui parlais chinois... Aujourd'hui, petit à petit, il admet que nous en avons tous bénéficié... Et il n'est plus aussi hostile à l'idée que ce congé pourrait se prolonger au delà des 3 ans de mon derniers... Je n'en suis pas encore à l'étape où je m'investis dans la vie associative (trop peur de me remettre des contraintes...), mais je vois bien que les relations avec le voisinage, les parents d'amis des enfants, et autres rencontres du hasard sont plus simples, plus faciles, plus spontanées qu'elles ne l'étaient quand il me fallait tout programmer, tout contrôler...

Tu pestes de devoir cocher la case "sans profession"... Je peste tous les ans de voir écrit sur ma feuille d'impôts "Célibataire sans enfant à charge" !!!!!!!!!!!!!!! Amitiés et bravo pour ton "travail" ;-)...

Laurence* et ses 3 p'tits mecs

Merci Emmanuelle pour ce bel édito qui m'a émue jusqu'aux larmes, tant je ressentais ce que tu as écris.

J'ai fait le choix, pour ma part, de prolonger mon congé de maternité par 6 mois de congé "épargne-temps" (tel un écureuil, j'avais fait des réserves depuis longtemps : 13èmes mois, congés non pris, primes diverses... en vue d'un éventuel bébé que je SAVAIS ne pas être capable de "laisser" à 3 mois de vie extra-utérine...), puis par un congé parental, car - signe visible - la tentative d'adaptation de ma petite fille de 9 mois à la crèche s'est très mal passée.

Ingénieur de formation, j'ai toujours été guidée par les autres (mes profs, ma famille) sur ce chemin de la "réussite" scolaire apparemment facile. Promise à une "belle" carrière dans une grande entreprise, j'ai cependant tout remis en question le jour où j'ai senti une nouvelle vie remuant dans mon ventre. C'est alors que j'ai commencé à décider par moi-même de ce que je ne voulais pas pour ma fille. Car je suis ainsi : je fais rarement un choix pour ce qu'il est, mais par élimination de tous les autres choix. De fil en aiguille, et en passant par de nombreux moments de crise (mes collègues comptent sur moi, mes parents m'ont payé des études, la société est faite pour les femmes qui travaillent à l'extérieur, que deviendrai-je si mon compagnon me quitte, etc.), j'ai finalement opté pour un compromis apparemment idéal : deux fois 6 mois de congé parental puis reprise du travail à mi-temps aux 22 mois de ma bambine.

Avec le recul, je réalise que ce congé parental apparemment "forcé" (je n'avais pas d'autre choix face à cette tentative d'adaptation catastrophique à la crèche à ses 9 mois, je ne voulais surtout pas me rabattre à la hâte sur une ass'mat' de fond de panier...) a été une merveilleuse chance ! J'ai découvert le maternage dans toutes ses dimensions, et le besoin manifeste d'accompagnement du tout-petit par sa maman jusqu'à 2-3 ans... La marche, le langage, les acrobaties, l'humour : quelles étapes fondamentales de développement précoce ai-je eu la chance de vivre à ses côtés !!!

Aujourd'hui, elle a 30 mois, et je fais le bilan de mes 8 mois de travail à temps choisi (4 matinées + 1 après-midi par semaine) :
- des bénéfices certains pour elle, dans une crèche où l'équipe - très maternante - mise sur le respect des choix parentaux et sur des activités épanouissantes et adaptées aux enfants ;
- un rythme de vie bien dosé pour elle, avec repas et siestes à la maison, et beaucoup de temps passé ensemble ;
- un mal-être patent pour moi, qui n'accepte pas d'être devenu quelqu'un de "pas fiable" au travail, et frustrée de ne pas pouvoir porter des dossiers de A à Z (horaires de présence limités à faire subir aux collaborateurs, et absences fortuites pour enfant malade notamment...) ;
- un rythme somme toute effréné pour moi qui veux proposer de bons repas faits maisons, une sieste au calme et... des tétées à ma petite fille ! (sans compter la tenue de la maison, car il est hors de question pour moi de recourir à l'esclavagisme moderne...)

Je n'ose pas en parler autour de moi, tellement ma situation semble idéale ! Et combien de fois me suis-je demandée, lors de mes fréquents moments de doute : " mais comment font les "autres" ?! " Nous sommes dans une région où l'attrait des emplois frontaliers (Luxembourg) est réel, et où les parents ont des journées à rallonge (horaires de travail + trajet). Ce à quoi mon compagnon me répond régulièrement qu'ils font comme ils peuvent, souvent aveuglés par l'appât du gain, et sans doute pas avec autant d'attention portée à leurs enfants, à leur foyer..., compensant le temps par l'abondance matérielle... et créant une nouvelle génération d'enfants sans autres repères que ceux tragiquement consuméristes relayés par des media omniprésents.

Tu nous trouveras certainement radicaux dans ces propos, mais je finis par me dire qu'à force de compromis, les femmes "modernes" - les wonder-women - ratent tout, et ne s'en rendent malheureusement compte que bien trop tard. C'est là que je me retrouve tout à fait dans ton expression " courir deux lièvres à la fois "... ce qui est également impossible pour moi avec le niveau d'exigence que j'ai. Encore un exemple, qui sera d'actualité sous peu : quand un vendredi, au gré d'une balade au village vers midi, j'ai vu les personnes du péri-scolaire venir chercher le groupe des "petits" à la maternelle pour les emmener à la cantine comme un troupeau de bétail, j'ai été écoeurée. Ces enfants étaient tristes... certains excités, d'autres introvertis, mais indéniablement tristes au fond d'eux. La plupart des adultes - qui vivent à 100 à l'heure - ne se souviennent plus comme les journées sont longues pour les tout-petits sans pouvoir aller et venir vers les bras affectueux de leurs parents. Plus d'un psy dira que c'est moi qui crée la dépendance, et que les enfants tôt poussés hors du nid se défendront mieux dans la vie actuelle ; je lui répondrai fermement non, car je sens que ma petite fille aura besoin de moi à la sortie de l'école, je sais que cette transition vers la maison nourricière sera un plaisir partagé et sécurisant, et je resterai à son écoute pour la laisser rentrer avec quelqu'un d'autre quand elle sera prête et qu'elle en aura envie. En attendant, nous adapterons nos horaires, je répartirai mes 20 heures hebdomadaires comme je pourrai pour être présente aux moments importants. Je suis convaincue que répondre aux besoins affectifs d'un enfant est un gage pour plus tard qu'il saura sereinement s'éloigner de sa base pour faire l'expérience de ses envies, alors que les "endurcis précoces" se retourneront tôt ou tard vers un substitut affectif - tabac, alcool, malbouffe, drogue, violence...

Quoi qu'il en soit de ce compromis bancal pour les mois à venir, je sais, lorsqu'il se manifestera, ce que nous choisirons pour notre futur enfant, et ce ne sera cette fois pas un choix par élimination ! Tout le monde y gagnera en qualité de vie, et... tant pis pour la maison de mes rêves !

Bien amicalement, et confraternellement mère avant tout,

- Marianne - maman de Flore, 30 mois (Moselle)