ALLAITEMENT ET CULPABILITE

L'une des choses les plus souvent répétées par les professionnels de santé, les administrations, les fabricants de lait industriel est ... " qu'il ne faut pas culpabiliser les femmes qui ne veulent pas allaiter ".

Cet argument n'en est pas un ; ce n'est qu'un prétexte pour détourner l'attention du fait que bon nombre de gens ne savent à peu près rien sur l'allaitement. Cela permet à ces gens de ne pas se sentir coupables de leur ignorance et de leur incapacité à informer et soutenir les femmes qui souhaitent allaiter. Cela permet aussi aux fabricants de lait industriel de ne ressentir aucune culpabilité à promouvoir leurs produits aussi agressivement que possible, et aux professionnels de santé de distribuer aux mères des échantillons de lait industriel en toute bonne conscience. Et combien de gens ne veulent pas culpabiliser les femmes qui ne veulent pas allaiter tout simplement parce qu'ils ne veulent pas se sentir coupables de ne pas avoir allaité, ou de ne pas avoir aidé leur compagne à allaiter ?

Si une femme enceinte dit à son médecin qu'elle fume un paquet de cigarettes par jour, si elle admet consommer régulièrement trop d'alcool ou de médicaments variés, combien de chances pensez-vous qu'elle ait de ressortir
de son cabinet sans avoir entendu un sermon sur les effets nocifs de sa conduite sur le foetus ? Combien de médecins hésiteront à la culpabiliser ? Si une mère arrive chez le pédiatre avec son bébé de 8 jours, et lui annonce qu'elle le nourrit au lait de vache ordinaire du commerce courant, le pédiatre risque fort de s'évanouir d'horreur, et ne ressentira ensuite aucune hésitation à stigmatiser sa conduite, et à l'adjurer de donner à son
bébé un lait industriel pour nourrissons (pas à allaiter, bien sûr, il ne faut pas culpabiliser cette pauvre femme).

Pourquoi une telle indulgence pour les laits industriels ? Indiscutablement, la publicité faite par leurs fabricants a obtenu les résultats souhaités, à savoir convaincre la masse qu'ils sont aussi bons que le lait maternel, et qu'il n'y a vraiment pas de quoi faire " tout un plat " de l'allaitement. Certes, les laits industriels actuels sont théorique--ment meilleurs pour les nourrissons que le lait de vache ordinaire ; mais en fait, il n'existe guère d'études médicales sur le sujet qui puisse le prouver formellement. Par contre, il existe de très nombreuses études prouvant les inconvénients du lait industriel.

Ne nous voilons pas la face. La plupart des femmes qui n'allaitent pas ou arrêtent rapidement d'allaiter le font parce qu'elles n'ont pas reçu les informations et le soutien nécessaire. Si une mère, parfaitement informée sur les inconvénients du lait industriel (c'est-à-dire certainement pas par les publications généreusement distribuées par les fabricants de lait industriel), décide de ne pas allaiter, elle prendra une décision informée. Si une mère commence à allaiter et décide alors que l'allaitement n'est pas pour elle, il lui sera facile de passer au lait industriel ; l'inverse n'est malheureusement pas vrai. Et mon expérience personnelle est la suivante : ce ne sont pas les femmes qui choisissent, en toute connaissance de cause, de donner à leur bébé un lait industriel qui se sentent coupables de ne pas allaiter, mais malheureusement celles qui auraient bien voulu allaiter et n'ont pas réussi à le faire.

Feuillet n°26 - "Breastfeeding and guilt " - Janvier 2000
Dr Jack Newman, Pédiatre, Responsable d'une consultation de lactation -
Toronto - Canada