IL ETAIT UNE FOIS UN PETIT GARCON QUI SOUFFRAIT D'INCAPACITE PERMANENTE

Il ne pouvait plus marcher. La nécessité étant la mère des inventions, sa famille lui organisa une simple paire de bâtons de bois pour l'aider à se déplacer. Ces bâtons le soutenaient aux aisselles et avaient l'air bizarre, mais ils faisaient tout de même l'affaire. On nomma ce dispositif "béquilles".

D'autres remarquèrent que c'était une bonne idée et une sage invention, et ce ne fut pas long avant que ce dispositif ne soit adopté par des personnes souffrant de problèmes temporaires et moins sérieux. On remarqua aussi que ce dispositif possédait l'avantage très net de permettre aux jambes de se reposer. par conséquent, les personnes que la marche fatiguait aisément se mirent à les utiliser, elles aussi. Les béquilles devinrent tellement populaires que des promoteurs en mal de nouveaux marchés et des manufacturiers en débutèrent la production en série, et firent la publicité sur une large échelle. On en fabriqua pour tous les goûts : attrayantes, jetables, décorées ou non. De pleines pages publicitaires clamaient audacieusement : CE SONT PRESQUE DE VRAIES JAMBES !

Les gens en vinrent à croire que l'usage des béquilles et la marche étaient synonymes. La popularité des béquilles et la propagande en leur faveur augmentèrent à tel point que plusieurs médecins se mirent à recommander l'usage des béquilles au lieu de la marche pour prévenir les cors et les durillons aux pieds, car ces derniers représentaient des maux affligeant uniquement les marcheurs. Ces médecins pensaient aussi que toute personne souffrant de verrues ou de contusions légères aux jambes ou aux pieds devait immédiatement arrêter de marcher. Bientôt les médecins virent de moins en moins de patients qui marchaient. En fait plusieurs d'entre eux ne voyaient que très rarement un marcheur.

Les gens commencèrent à croire que la capacité de marcher était reliée à la grandeur des jambes et il fut admis que cela ne donnait rien de bon d'essayer de marcher, puisque "la plupart des gens ne le peut pas de toute façon". On saluait les béquilles comme une nouvelle étape scientifique. Les vieux se rappelaient avoir marché, mais ajoutaient rapidement qu'ils l'avaient fait par nécessité car, dans leur temps , ils n'avaient pas le choix.

Les jambes devinrent un symbole sexuel, un ornement inutile à ne pas mentionner devant les hommes. Il y en avait beaucoup qui ne voulaient pas marcher car ils craignaient que cet exercice ne déforme leurs jambes. Les pauvres refusaient de marcher, même s'ils pouvaient difficilement se permettre les béquilles, parce qu'ils ne voulaient pas être différents de la classe moyenne. Le problème pris suffisamment d'ampleur pour justifier le gouvernement de pouvoir les pauvres d'autant de béquilles qu'ils en avaient besoin, par l'intermédiaire de programmes de bien-être social pour aider ces handicapés.

Les lieux publics étaient aménagés pour les usagers des béquilles et les marcheurs trouvaient de plus en plus difficile de se déplacer ou même de se faire accepter comme tels. les subversifs qui s'entêtaient encore à marcher et qui se justifiaient sur une base "naturelle" ou "thérapeutique", étaient considérés comme primitifs et parfois même obscènes.


Il était une fois un nouveau-né et à cause de circonstances spéciales, il fut séparé de sa mère. Comme on ne pouvait trouver de nourrice pour en prendre soin, on inventa un dispositif permettant de l'alimenter. Ce dispositif fut appelé "biberon"....