ETUDE PRELIMINAIRE SUR LES ALTERATIONS DE L'ADN CHEZ LES BEBES NON ALLAITES

(Pediatrics International, avril 2002, vol.44, n°2, pp. 127-130(4)) Dündaröz R. ; Aydin H. I. ; Ulucan H. ; Baltaci V. ; Denli M. ; Gökçay E.

Résumé :

Contexte : Le lait maternel présente de nombreux avantages pour les bébés, y compris une protection contre les risques de cancer, et plusieurs études ont mis en évidence ces avantages. Dans cette étude, on a comparé les altérations de l'ADN chez des bébés nourris avec du lait humain et des bébés nourris avec du lait de vache.

Méthodes : le degré d'altérations génétiques dans les lymphocytes du sang périphérique de bébés nourris principalement avec du lait de vache et de bébés nourris avec du lait maternel a été étudié en analysant les échanges de chromatides soeurs, qui représente une bonne mesure des altérations chromosomiques. Chaque groupe était constitué de 30 bébés, âgés de 9 à 12 mois.

[ chromatide (définition du Larousse) : chacune des deux copies identiques du chromosome unies par le centromère ; j'en conclus donc que les chromatides soeurs sont les chromatides appartenant à un même chromosome. Pour le sang périphérique, je sèche. Peut-être le sang des veines, par opposition au sang artériel ]

Résultat : un accroissement significatif (P < 0.0001) de la fréquence des échanges de chromatides soeurs a été trouvé chez les bébés non allaités (taux moyen par cellule +/- SD : 8.66 +/- 1.15) par rapport aux bébés allaités (taux moyen par cellule +/- SD : 4.93 +/- 0.82).

Conclusion : A notre connaissance, il n'y a eu aucune étude publiée étudiant le taux d'échange de chromatides soeurs en relation avec les altérations de l'ADN chez les enfants non allaités. Les mécanismes moléculaires de l'altération de l'ADN causée par l'absence de l'effet protecteur du lait humain restent à analyser.

Texte de l'article :

De nombreux bébés, dans le monde entier, sont toujours nourris avec des préparations à base de lait de vache ou avec du lait de vache pendant leurs premiers mois, en lieu et place de l'allaitement, et ce malgré un encouragement actif de l'allaitement par plusieurs auteurs. L'hypothèse a été faite que le lait humain pouvait fournir aux bébés une meilleure capacité à faire face aux futures agressions mutagènes en agissant sur l'interaction entre les agents infectieux et le système immunitaire en développement de l'enfant , ou directement en agissant sur le développement à long terme du système immunitaire de l'enfant.

Notre compréhension des événements génétiques sous-jacents au cancer a fortement augmenté ces dernières années, et les données actuelles laissent à penser que les altérations de l'ADN peuvent conduire à une croissance cellulaire déréglée et en fin de compte au cancer. La relation entre les altérations de l'ADN et la carcénogénèse chez le jeune enfant reste peu claire, mais l'effet protecteur du lait humain contre le développement des tumeurs malignes [ malignity = malignité d'après le Robert et Collins = caractère malin d'une maladie ou tumeur d'après le Larousse] pendant l'enfance ou à l'âge adulte a été souligné dans plusieurs études. Il a également été signalé que le lait artificiel pour nourrissons, c'est-à-dire l'alimentation à base de lait non humain, pouvait accroître le risque de cancer en général ou de certains cancers ou groupes de cancers spécifiques, ainsi que le risque de maladies telles que le diabète de type 1 et la maladie de Crohn.

Dans cette étude, des bébés nourris exclusivement avec du lait de vache ont été comparés avec des bébés nourris avec du lait humain pendant au moins 6 mois. Le degré d'altérations génétiques dans les leucocytes du sang périphérique de bébés a été étudié au moyen de l'analyse de la fréquence des échanges de chromatides soeurs (SCE). Le SCE est considéré comme étant un indicateur simple, rapide et représentatif pour tester le potentiel génotoxique d'une variété d'agent mutagénique et carcinogène. Les échanges de chromatides soeurs découlent de cassures dans l'ADN et de la réversion des fragments brisés à une position presque équivalente après échange entre les deux chromatides soeurs d'un même chromosome et par conséquent leur formation dépend de la phase S du cycle cellulaire ou des processus de duplication de l'ADN. [pas évidente, cette phrase.
Voici la vo pour celles qui souhaitent : " The SCE arise from DNA breaks and the reversion of broken fragments at almost homologous loci after their exchange between two sister chromatids of the same chromosome and hence their formation is dependent on the S phase of the cell cycle or on DNA replication processes. " ]

Nous avons constaté un accroissement significatif (P<0.0001) de la fréquence des échanges de chromatides soeurs chez les bébés nourris avec du lait de vache en comparaison de ceux qui avaient été allaités.

Méthodes :

L'échantillon était constitué de 60 bébés, 30 allaités et 30 nourris avec des préparations à base de lait de vache. Leurs âges allaient de 9 à 12 mois. En termes de durées d'allaitement, le premier groupe (allaité) était défini comme ayant été nourri exclusivement avec du lait humain jusqu'à l'âge de 6 mois. Bien que d'autres aliments aient été introduits dans leur menu, ils avaient continué à recevoir du lait humain jusqu'à leur entrée dans la présente étude. Les bébés du second groupe, pour certaines raisons, telles que la mort de leur mère ou l'insuffisance de lactation de leur mère, n'ont pas pu recevoir de lait humain depuis leur naissance [" were not able to have human milk from birth onwards "]. Dans la région où l'étude a été conduite [La Turquie, je présume], la pauvreté est aussi une des multiples raisons qui poussent à ne pas utiliser des préparations pour nourrissons trop onéreuses.

Les bébés des deux groupes étudiés était d'âge, de sexe et de milieu socio-économique similaires, étaient tous en bonne santé [" within the normal percentile ", c'est-à-dire, je pense, ni en meilleure santé ni en moins bonne santé que la moyenne des bébés] et avaient été sélectionnés au hasard dans une région donnée. A notre connaissance, aucun de ces bébés ou de leurs mères avait été exposé à des agents mutagènes, tels que des radiations, des produits chimiques, le tabac, des drogues ou des virus, et aucun d'eux ne présentait de maladie chronique ou " neoplastic " [signifie peut-être tumorale.. Néoplasie étant synonyme de tumeur d'après mon Larousse préféré]

Un comité de surveillance institutionnel approprié a approuvé le projet et un consentement éclairé a été obtenu des deux parents ou du tuteur légal après que la nature des procédures ait été pleinement expliquée.

Du sang périphérique veineux a été prélevé d'une façon aseptisée chez chaque sujet dans des " heparinized tubes " [mon Robert et Collins ne connaît pas.]. Un total de 200 [la lettre grecque " mu "]L du sang complet a été ajouté le jour même du prélèvement à 5mL de medium TC 199 (Gibco, Grand Island, USA) complété avec 10% de sérum de fotus de veau [" fetal calf serum "] (Gibco), 2% de phytohemagglutinine (Sigma, St Louis, USA), 5 [mu]g/mL de 5-bromodeoxyuridine (Sigma), 150 U/mL de pénicilline et 150 [mu]g/mL de streptomycine. On a laissé incuber les cultures dans l'obscurité pendant 68 heures à 37°C. Après le traitement avec de la démécoline (Colcemide, Gibco, 0.1 [mu]g/mL) pendant 3 heures, des lamelles pour microscopes ont été préparées avec une méthode conventionnelle et teintées par fluorescence plus en utilisant la technique Giemsa de Wolff et Perry. Le taux d'échange de chromatides soeurs moyen a été calculé sur la base du taux par cellule, à partir de 20 cellules sélectionnées par individu. Les cellules ont été décomptées [" scored "] par le même opérateur.

Le t-test des étudiants [" student's t-test "] a été utilisé pour tester les différences entre les deux groupes. Le logiciel statistique INSTAT (Graphpad Software, San Diego, USA) a été utilisé.

Résultats

Le tableau 1 montre les fréquences d'échanges de chromatides soeurs obtenues chez les enfants nourris avec du lait humain et du lait de vache.

La comparaison statistique des fréquences d'échanges de chromatides sœurs dans les deux groupes montre une différence significative (P> 0.0001). La fréquence moyenne de SCE par cellule chez les enfants nourris avec du lait de vache était de 8.66 (+/- 1.15), comparé à la fréquence de 4.93 (+/- 0.82) chez ceux qui étaient allaités.

Discussion

L'augmentation de la fréquence des échanges de chromatides sœurs dans les cellules des bébés nourris avec du lait de vache pourrait indiquer un meilleur effet protecteur du lait maternel contre les altérations de l'ADN.
A notre connaissance, aucune étude n'a été publiée montrant les altérations de l'ADN chez les bébés non allaités. Ces résultats pourraient indiquer un rôle possible de ces altérations, qui pourraient conduire à une carcinogénèse pendant l'enfance ou plus tard dans l'existence.

Plusieurs études ont été signalées suggérant une relation inverse [inversement proportionnelle ?] entre l'allaitement et la carcinogénèse pendant l'enfance. Un petit nombre d'études épidémiologiques suggère également une relation avec un risque réduit de développement de cancers à l'âge adulte dans une population allaitée. En fait, la plupart de ces conclusions ont été obtenues à partir de petits échantillons hétérogènes, et il est maintenant nécessaire de définir l'allaitement, la durée de l'allaitement et comment mesurer la durée de l'allaitement. Les influences culturelles sur la mise en route de l'allaitement et son timing, sur la durée de l'allaitement exclusif, et sur les quantités relatives d'aliments supplémentaires peuvent aussi différer.

Le rôle de l'alimentation dans l'étiologie et la pathogénèse du cancer a été examinée dans plusieurs études. L'effet protecteur d'aliments contre les cancers de l'enfant et de l'adulte a aussi attiré l'attention de nombreux chercheurs. Par exemple, la plupart des études rendent compte d'une relation négative entre la consommation de produits laitiers et le cancer du colon, tandis que d'autres études concluent qu'il n'y a aucune preuve d'une relation, ou parfois une relation positive. Les produits laitiers et le lait ont été signalés comme inhibant la croissance de tumeurs, le yaourt en particulier inactivant les carcinogènes et prévenant les altérations de l'ADN. Le lait de vache a également été signalé chez des bébés plus âgés pour ces effets anticarcinogènes. Le seul inconvénient du lait de vache semble être son activité mutagène lorsqu'il est surchauffé, car alors des mutagènes comme des extraits de chloroforme et d'éthanol apparaissent. Vu que ces études précédemment conduites indiquent un effet protecteur du lait de vache contre le développement de tumeurs malignes plus qu'une activité carcinogène, nous en concluons que les résultats que nous avons sont probablement dus au manque de la protection apportés par le lait humain contre des facteurs environnementaux plutôt que à un effet mutagène du lait de vache.

Un mécanisme majeur par lequel l'environnement peut influer sur la carcinogénèse est l'oxydation. Cela se rapporte à la génération de sortes réactives d'oxygène qui endommagent ensuite d'importantes biomolécules, y compris l'ADN, les protéines et les lipides. Des observations expérimentales suggèrent que les dommages dus à l'oxydation sont associés à la carcinogénèse. Les études sur les niveaux d'anti-oxydants comme le sélénium et les carotenoides montrent que ces composants sont nettement moins nombreux dans les laits industriels que dans le lait humain. Par conséquent, l'absence de lait humain peut entraîner chez les bébés une plus grande prédisposition aux dommages dus à l'oxydation.

Un grand nombre de variables telles que l'âge, le sexe, la race, le statut socio-économique, l'indice de masse corporelle, l'histoire familiale des tumeurs, la durée de l'allaitement et les aliments additionnels rendent ces précédentes études épidémiologiques difficiles à évaluer pour des associations statistiques significatives. Cependant, ces études suggèrent que l'allaitement était associé avec un risque réduit de malignité. Par conséquent, nous avons mis en place cette étude préliminaire expérimentale afin de rechercher des altérations de l'ADN, qui pourrait causer une carcinogénèse comme résultat de l'absence de la protection du lait maternel.
Nous avons également essayé de conserver toutes ces variables similaires afin de renforcer la pertinence des résultats.

Un nombre de corrélations existe entre le taux d'échange de chromatides sœurs et les mutations et il subsiste peu de doute qu'un accroissement du taux de SCE indique une altération de l'ADN. Notre récente étude utilisant cette technique chez des bébés a montré que c'était une approche utile pour démontrer que l'allaitement en lui-même, poursuivi plus de six mois, peut protéger efficacement contre les altérations de l'ADN.

Le SCE est l'un des plus importants tests démontrant une corrélation avec le cancer et les altérations de l'ADN. Cependant, nous pensons qu'il serait plus approprié que ce travail soit complété par d'autres méthodes de détection.

A notre connaissance, cette étude est la première portant sur des enfants non allaités et montrant les dommages portés à l'ADN en utilisant l'analyse des échanges de chromatides sœurs. D'autres études expérimentales sont nécessaires pour compléter ces données préliminaires. Etant donné que la pertinence biologique des lésions de l'ADN révélées par le SCE ou d'autres méthodes de détection reste peu claire, le mécanisme moléculaire des altérations de l'ADN causées par l'absence de protection grâce au lait humain est aussi un sujet pour de futures investigations.